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Cadavres exquis 

jeudi 16 octobre 2014, par Norbert Barbe

Où sont ?

Où sont-ils les beaux dimanches en bras de chemise

Les pastis au soleil

Les films d’antan et l’odeur du pain grillé

Où sont-ils les jeux de marelles et les ombrelles exquises

Quand Paris s’éveille

Sur les Champs Elysées

Où sont-ils les cafés-chantants et l’ancienne police

Aux gants blancs et à la moustache qu’on étrille

Où sont-elles les feuilles vendues une gazette à la criée

Où sont-ils les malfrats aux monocles et chapeaux claques qui sévissent

Une rose à la boutonnière ceux là qui veillent

À laisser une carte de visite comme tout bon invité

Où sont-elles les maisons de tolérance où le vice

S’étale dans les salons vermeils

Où crânent de gentilshommes en fumant des havanes importés

Où sont-elles les parties de rami où on laisse les marquises

Emporter la banque pour un sourire qu’on réveille

Et la beauté du geste d’un croupier

Où sont-elles les valises

Qu’on prépare au boulevard lorsque s’éveillent

Les feux de la rampe et les comédiens au cachet

Où sont-elles les bêtises

Dont les vieux émerveillent

Les enfants au retour d’un voyage en train à Cambrai

Où sont-ils les calices

Du curé de Saint-Agil

Et le macchabée

Où sont-elles les hantises

Du croque-mitaine qui veille

Dessous les lits des châteaux de campagne ennuités...

* * *

Litanies pour le listel du paradis

La solive, le baldaquin, la banne, le dais, l’appentis, l’auvent, la charpente, le toit, le nimbe, le plafond, le couvercle, l’entablement, la corniche, la frise, le tailloir, l’abaque, l’architrave, les mutules, le triglyphe, la plinthe, le stylobate, le geison, le tympan, le faîte, le tambour, la sima, l’acrotère, le pilastre, le larmoir, la colonne, la coupole, la caryatide, les abats, le ciel. Enfin, cette lanterne facile pour un soldat de fortune.

* * *

Litanies pour le petit matin

Et si je te disais que mon petit chat est mort

Il était noir comme le charbon

Et tendre comme le satin

Il était rond comme une boule de graines

Et son ventre bedonnait quand il avait trop mangé

Ses yeux étaient verts comme l’émeraude

Mais brillaient aussi fort que deux diamants de rubis

Et si je te disais que je l’ai couché dans un petit lit

Fait de draps blancs et de paille chaude

Et si je te disais encor que je lui ai mis de quoi manger

Pour qu’il ne meurt pas de faim

Et ne prenne

Pas froid non plus et si je te disais que c’est au matin

Qu’il est mort pour de bon

Et qu’en jetant sur lui une motte de terre, en plus j’ai craché

Au ciel et sur tous les hommes - mais vraiment bien fort -.

* * *

A propos d’une pipe brabançonne

Y’a du soleil sur les rideaux

Et du vin dans un vieux pichet en terre blanc

Y’a d’l’Armagnac dans le buffet en cèdre blanc

Et sur la fenêtre du pain pour les moineaux

Y’a des murs de silence qui embaument le jasmin et la lavande

Et des petits pas qui s’endorment sur le canapé fleuri

Y’a le jour qui passe qui s’accroche et rougit

Et des grands chevaux bais qui s’élancent dans la lande

Y’a une Bible sur une table basse

Marquée par une pâquerette séchée et ouverte au livre de Jonas

Et y’a la p’tite misère sous un quinquet qui brille, fadasse

Y’a le temps qui passe

Et sur le grand lit de toile blanche

En merisier poli par l’ombre des dimanches

Y’a une vieille sans âge

Solitaire et ténue, qui somnole, tranquille et sage, à l’étage

Au pied du lit reposent ses sabots du dimanche

Emmaillotée de dentelle comme dans les gravures d’autrefois

Elle semble pourtant nue sous les draps

Une pip’ d’écum’ entre ses lèvres minces, elle attend que la Mort l’lui tranche

* * *

Avant le vin

Le cardinal rosé

Au bord de l’eau

La bergeronnette le moineau

Le bruant et les mouches de moire

Sur le raisin muscat

Blanc avec les guêpes entrant jaunes et noires

Dans les grappes crevant les grains

Le soir bavard

Les frelons topazes ivres de chasselas

Le Hambourg putréfié

Incarnat

Et fermenté

Traînent par terre les raisins dorés

Les vrilles les baies sucrées

Les ceps les grappes lourdes les grains

Entamés des caryopses sur le pavé

Les feuilles chauffées

L’avant le vin

* * *

La mouche

L’herbe est tendre et verte

L’air est lourd et s’empêtre

Le papillon vole et court alerte

Le chien le poursuit puis s’en va paître

Une mouche sur le carreau

L’air se fait chaud

Elle volette et se pose sur la desserte

Trois fruits reposent

Trois pêches ou choses

La mouche cherche son chemin

Le carreau est malin

Derrière arrive le chien

Qui halète pour laper

Le temps s’est eu fâché

L’air frais se brise

La tempête grise

Se tourmente contre trois nuages roses

Sèche la brise

La femme balance

De gauche de droite

Et se cause

Il faut qu’on se le dise

Point on ne parle en silence

Cause

Elle se sent moite

Ses mains collent

Au bois de la chaise

La mouche est au sol

Et avance à l’abri du chien

Du chien et du vent malin

Et leurs voix se taisent

Dans l’orage la vie tient à peu de choses

* * *

Je ne sais plus quel Alcibiade

Dans les bocages sans fond

Fument blancs et épars les foins

En molles bottes rondes

Et je ne sais plus quel Alcibiade

Ou quel lascar dans le fond

Parcourant les bocages et les foins

Fraîchement coupés et mouillés de la rosée du matin

Cherchant quelque Ménade blonde

M’a joué son aubade

Et m’a laissé dans les foins

Les jambes en rond

Et je ne sais plus dans le fond

Quelle araignée du matin

M’a dit que le chagrin passe comme une onde

* * *

’Dites-moi où, n’en quel pays,/ Est Flora la belle Romaine,/...’

Je ne veux pas finir au Père Lachaise,

De tout le jour visité comme on visite

Les anciens héros morts et cuits en fournaise,

Ces vieux hommes qui n’ont plus de chair que le mythe

Et dont nos yeux ne pleurent plus le mérite.

Je ne veux pas n’être qu’un nom sur un livre.

Je veux encor ronger le temps dans l’Aïon ivre,

Je veux encor me dépenser jusqu’à mourir

Mais renaître à chaque fois pour donc vivre,

Moi pour qui la jeune vie ne fait que s’ouvrir.

Je ne veux pas finir au Père Lachaise,

Oublieux que nous sommes de nos quirites,

Car alors mon corps finirait en terre glaise,

Inconnu que la foule passe vite.

Je ne veux pas voir mon squelette putride

Étaler ses os au Ciel pour qu’il le délivre,

Je préfère encor que le feu me dégivre

Et que mes cendres au soleil s’en aillent finir

Dans l’océan qui enfin les rendra libres.

Je ne veux pas que mon âme s’envole au zéphyr.

Je ne veux pas finir au Père Lachaise,

Je préfère que mon Triomphe comme un coït

Meurt, roi saturnien, dans l’ardente braise.

Mais si la Gloire ne connaît mon mérite,

À quoi donc servirait qu’une tombe ne l’imite

À graver pour toujours en haut son calibre,

Mes titres - closes épitaphes de mon livre -.

Mon nom sur la dalle n’aura cure de mérir

Quand, même à faire du grobis, ne pourrai revivre

De par Dieu ou par son funeste advenir.

Je ne serais donc au cimetière qu’un chiffre,

Quand sous ma stèle je ne serai plus libre,

Et mon âme, plus sombre qu’un nit, sans choisir,

Rien que pain pour les archiptères et les grives.

Onc sous riche tombeau me garmente pourrir.

* * *

Caves sarcoptes

Y fait noir j’y vois rien

Au fond du trou d’une cale

Le cou les pieds et les mains enchaînés

À la lourde rame immobile d’un banc bancal

Sur le navire blanc comme le crin

Des chevaux albinos de la mer morte

Les côtes rougies par le fouet et l’écume salée

Sur trois continents qu’importent

Pour quelques maigres deniers

Sel piment épices tabac

Femmes toiles de draps curcuma

Rhum jamaïcain et nippes sales

L’odeur des tonneaux de harengs et de porc séchés

Transperce nos nez

Sans mouchoir à travers les lattes bouchées au purin

A la quille une lanterne myope se bringuebale

Contre les restes puants d’un bucrane décharné

L’odeur nauséeuse des tonneaux de poisson et de porc séchés

Attaque maintenant la carène et nos peaux bouffées

Par les scolytes les sarcoptes caves et les poux de San José

* * *

J’oubliais Ophélie

Les grands oiseaux volaient dessus l’étang

Tandis que les longs nénuphars étendaient l’heure verte et pattes qui tiges de velours sur l’onyx de l’étang

En plages les libellules dansaient de fleurs jaunes

En mimosas jaunes

Moi j’y voyais mille et une portes d’Inde et de jade

La pluie battait dans le cœur de l’étang

Sans le bruit dans le miroir des temps

Sur les nénuphars roses

Et parmi les aigles blancs et les flamands roses

J’y voyais mille et une pluies d’Inde et de Jade

* * *

Les sanglots longs...

J’écoute la rivière calme et tranquille couler

En un long et bruissant ruissellement

Et l’herbe presqu’encor verte se recroqueviller

Sous l’âcre odeur d’humus et de terre

Ailleurs au loin un chien aboie derrière la barrière

Où passe une voiture à quinze chevaux

Ô doux crépuscule tremblant

Sous les feuillages jaunis et roux

Elle est morte aujourd’hui

Je ne sais pas qui, je ne la connaissais pas.

Personne.

Ô violentes violes du trépas

La nuit coule comme une huile à gruaux

Le vent chevrotant agite les buissons salis

Par l’ombre nocturne du mildiou

’Les sanglots longs de l’automne/ Bercent mon cœur d’une langueur monotone’

* * *

Ultime ecmnésie - Hypnerotomachia

J’ai dormi comme la Loire

À flancs de coteaux quand il était tard

Les caryopses aux chairs blanches et les ceps charnus

Fleurissant dans le frétillant frichti du ru

Les lents ans passent paisibles producteurs de péricarpes

Et les flots du fleuve tapissent d’un épais tissu colloïdal son profond escarpe

Les barques lointaines et silencieuses franchissent une immobile écluse

Quelque part du bois brûle et se répand en un long filament de cirrus

Sombre ecmnésie cotonneuse de nos cœurs en catalepsie

Chevauchant au galop les champs d’écobuage aux reflets gris

J’ai dormi comme la Loire

Sous le pommier équarri aux moignons pris par le gui

A none j’ai dormi comme la Loire

Sur les carex tourbeux au verjus bleu des grasses ivresses noires

* * *

Cinquième Paradis avant l’Horizon

Le jour à son déclin le jour décline

Sans vouloir mourir

Comme la courbe d’un corps

Sur le lit du soleil couchant

L’air mat respire

Immobile éther d’or

Sur le flanc de l’automne qui s’endort Tyrans

Et famine

Mes doigts bougent sur le bras blanc

D’un fauteuil et dehors

Les feuilles seules jouent dans le vent

Leur danse maline

Couvre les souvenirs

Chagrins et ouverts les champs

* * *

’Souviens-toi, Barbara...’

Je mettrai ma vie dans un sac poubelle de couleur noire

Avec quelques confettis et mes parties de rire

Avec l’air du temps qui s’en va

Et les deux ou trois femmes qui auront fait ma vie

J’envelopperai mes souvenirs dans le papier gras de ma mémoire

Avec les pétales d’une rose et ces histoires qui m’ont tant fait frémir

Avec mon dentier et deux paires de bas

Avec mes secrets et tous leurs alibis

Je passerai mon cœur à la passoire

Avec ma solitude et pour la tapir

Les draps de mon lit

Avec mon dernier soupir et puis chapeau bas !

* * *

Sur un petit air de Mélancolie

Au son d’un tango-illusions

Sous la boule qui se facette

Vieux phono et fado triste

Slow argentin et vieille guinguette

Dans la vieille langueur des passions

Sous la boule et ses paillettes

Résumé de nos désespoirs et de la mélancolie qui se listent

Disco sicilien et vieilles dentelles

Au son des désillusions

Une vieille chanson réaliste

Et des danseuses qui ne sont plus belles

Dans un paso déraison

Et nos cœurs solitaires qui s’embêtent

Cherchant encor leurs amours taris sur la piste

* * *

Alors - (des yeux)

Joueur d’orgue

Fait marcher ce refrain

Qui s’appelait je ne le sais plus

Et même qui faisait tourner - la tête -

Mais les mots me manquent

J’ai oublié ces dernières paroles

Ou bien je suis trop saoul pour aller dans cette Morgue

Qu’on appelle le souvenir où tu ne joue pas bien

Ou ton barbarie ne connaît pas les rues

Le parfum de nos lavandières nos joies nos chants nos fêtes

Ces chants là qui m’hantent

Eh - joueur d’orgue

Que ta voix l’accompagne ton engin

Chante-moi l’air qu’j’ai voulu

Et vous les gens les passants

Les badauds les fenêtres toutes mes sœurs soyez prêtes

Maintenant

Puisque aujourd’hui c’est bien à mon passé que la ’zique me flanque

Quand le cœur gros des manèges s’ensommeille ad vitam aeternam les chevaux de bois aux larges yeux oublient facilement ces rapides évanescences de patchoulis de santal

Que les mioches suivant les éphémères crinolines emportent au jeu ininterrompu des danses des pauvres choses frelons et abeilles

Quand pour moi le jour s’achève quand vient l’aube blafarde je sens monter le mal comme si passé et futur vie et mort avant et alors combattaient d’inégal

* * *

Marie

Marie casse-croûte

Marie la fraîche Marie couche-toi

Marie torchon

Marie passe moi l’pain

Marie t’as vu ta gueule

Marie

Marie

Marie bonbon

Marie sac à vin

Marie vingt ans

Marie qui broute

Marie c’est fini

Marie c’est la fin

Marie

Marie

* * *

Allégorie de la Mort

Comme dans un film de Jean Renoir

Bien triste et bien puant

Comme dans un film de Jean Renoir

Bien triste et bien sale

Je dois étendre mon linge

Et faire mes comptes d’apothicaire

Car voici venue la fin du mois

Et qu’il fait froid

Et l’hiver est proche

Alors il faut couper puis acheter du bois

Comme dans un film de Jean Renoir

Comme dans un film de Renoir

Sans héros ni bon gars

Mais rempli de salauds et de Gavroches

Voici que j’ai bien froid

Car c’est la fin de mon mois

A l’heure où la luzerne même abandonne la rocaille il me faudra un vicaire

Car mon âme et mon corps sont prêts à s’étendre comme mon linge

Je prie donc l’Abbé et Saint-François-de-Sales

Comme dans un film de Jean Renoir

Bien triste et bien gluant

Quand on meurt à la fin comme dans un film de Jean Renoir

* * *

Vieillesse

Des confuses infusions

Dans des tasses sans tâche

Et le corps des hivers

Encore plus longs que l’ennui

Des stalactites qui s’amassent

Dans des armoires de jasmin

Et le temps qui passe

Sous l’aile des lendemains

De longues nuits sans alluvions

Dans le lac immobile des jours qui se détachent

Et des grains de sésame sur le chemin des vieilles écolières

La chaleur qui se relâche

Sur la peau-vieille carcasse tannée sur le revers

Et dans son cercueil de porcelaine et de verres

Teints le temps qui s’ennuie

* * *

Golden party

Je voudrais une chanson au coin de mon lit, comme autrefois,

Je voudrais un drap bien chaud, comme autrefois,

Je voudrais n’avoir plus peur, comme autrefois,

Je voudrais une nounou, une nanie, qu’importe encore, comme autrefois,

Je voudrais une écuelle d’argent et une cuillère d’or, comme autrefois,

Je voudrais un quelconque bouillon, poisson, carottes, comme autrefois,

Je voudrais n’y être pas, comme autrefois,

Enfin je voudrais être mort, comme autrefois,...

* * *

Damnation !

Sur moi les cieux se sont ouverts

Comme un mauvais présage

Et je me sens des fers aux pieds

Comme les bottines bleues de Barbey

Car petite j’ai découvert

Que ce soir tu n’as pas été sage

Et j’aimerai te mettre les fers aux pieds

Comme les bottines bleues de Barbey

Ô tu mériterais l’enfer

Fille imbécile et volage

Tu le sais bien puisque déjà tes mains ont couvert ton visage

Comme celles du cocu qui reçoit son outrage

Puisque tes bas bleus cachent à présent ton lâche adultère

Comme les bottines bleues de Barbey

* * *

Chanson mouillée. quatre - cinq.

Strawberries

Parce qu’elle avait les joues roses

Comme le fruit humide

Blackberry

Parce qu’il avait le cheveu comme le coeur

De l’oiseau-crépuscule

Strawberries

* * *

L’escargot

J’avais mis l’escargot dans ma main

Un parfum entêtant

De fougère et de thym

il me mordillait comme un chien

J’avais mis l’escargot dans ma main

Maintenant

Il y dessinait son sinueux chemin

Dans le grêle petit matin

Il était là comme bout de rien

J’avais mis l’escargot dans ma main

Et sa bave comme un train

Dans la paume fait son temps

Puis s’en va c’est malin

* * *

Suis jazzy, Minuit derrière la cuisine

Berlin 1920

Un whisky dry coulait dans un verre

Et un nègre blanc

Jouait du jazz la gorge dans sa trompett’ acide

New Orleans Cajun 1920

Un glaçon descendait dans un verre

Et un nègre noir

Jouait du Dixieland les trips dans son sax livide

Quelque part on n’en sait rien

1920 ou bien plus tard dans le temps

Si une blanche vaut bien deux noires

Quelque part on n’en sait rien

A Paris ou bien dans un coin de l’Afrique Noire

Un homme se lève il se nomme Lumumba et a le pouvoir entr’ ses mains limpid’s

* * *

Masques

Ouara Kachmounouk

Et Oum Kalsoum chantait

Ouara Kachmounouck

Il faisait chaud

Je buvais un thé froid

A la terrasse d’un café

Un quelconque boui-boui

Comme il y en avait tant sur la rue principale

Il faisait chaud

Il faisait de plus en plus chaud

Et la ville s’écroulait

Sous ses amas de ruines

Et j’ai craqué

J’ai craqué une cigarette

Une jeep a surgit soudain

Elle venait du Souk

Des noirs en armes la remplissaient

Un instant j’ai cru voir des mamelouks

Mais ce n’étaient que des soldats nationaux

Ils renversèrent un noir qui courait vers moi

En essayant de leur échapper

Il pouvait s’appeler Mohamed ou Ali

Et dans cette lutte inter-raciale

Il était leur frère au sang chaud

Qu’ils assommaient à coups de bottes et de cro-

Sses et soudain il s’écroulait

Il est tombé

Oui il est tombé comme se fane

Une marguerite dans un champ aux couleurs sanguines

L’été malgré le soleil qui tape sur sa tête

Et contre les apostrophes que lui lance la vie en vain

C’est alors que me vint cette phrase saugrenue et libertine

Du fond de mes lèvres en panne :

’Merci Marianne

Et God Save The Queen

’Merci Marianne

Et God Save The Queen !’

Je me rapprochais de mon thé glacé

Pour y plonger mon nez

Et je continuais d’écouter le refrain entêtant et amer

De cette chanson d’Oum Kalsoum

Qui traversait comme une lame les rues vides de Karthoum

C’était aujourd’hui

Ou hier

C’était çà la colonie

* * *

Afrique

Les femmes battaient les bols de riz

De leurs mains nues comme des baguettes

Assises en croix devant les greniers remplis

Leurs ombres semblaient danser dans la chaleur fluette

Les hommes étaient absents

Et le riz s’envolait en grappes blanches

Vers le soleil dardant

Les femmes assises sur leur tapis de tresses et de chanvre

Le rattrapaient maintenant sur des tamis

Les oiseaux Maori

Semblaient caqueter comme font les grues

Et les lions silencieux et repus

Restaient songeurs et accroupis

Dans la savane assoupie

* * *

Mise à Mort - Matamore

Matador

Tu portes bien ton nom

Tu m’as arraché le cœur

Et comme une fleur il est tombé sur le sable encor chaud de l’arène

Matador

Tu portes mieux ton nom

Que ton habit de lumière où suinte la peur

Et comme une fleur elle est tombé sur le sable encor chaud de l’arène

Matador

Tu portes bien ton nom

Assassin démon et malheur

Qui comme une fleur est tombé sur le sable encor chaud de l’arène

Matador - stupide Matamore

Tu portes trop bien ton nom

Et lui fait bien trop honneur

Le taureau comme une fleur est tombé sur le sable encor chaud de l’arène

* * *

Amateurs

Amateurs

Dans leurs habits de fer et de sang

Sur la piste qui brille

Sous le soleil mort

D’une après-midi déjà reposant

Corps inerte qui se convulse et se vrille

Au son des trompettes des maracas et des cors

Amateurs

Amateurs

Filet rigoles fleuve et mer et océan mort

Fleurs fanées yeux vides des monstres d’Azaël ensorcelés en leurs leurres

Amateurs

Vision funeste ultime apocalypse sans clairons ni apôtre

Bijoux luisants odeur de sciure et de sueur sous leurs habits de lumières et de pacotille

* * *

Comptes courants - Incarnation

Ce soir je suis rentré petite

Et tu étais déjà couchée

L’ennui est une mort plus sûre

J’ai vu tes clés posées entr’ les reliefs de ton repas

Sous le toit qui nous abrite

Je suis tout seul dans le noir

L’ennui est une mort plus certaine

J’attends couché à côté de toi, mais ça ne vient pas

On est toujours tout seul petite

Mouche ton nez

Et vaque à tes propres blessures

Le temps égrène encore ses tics et ses rites

Sur nos cuirs d’animaux stupides je prends de la bedaine

Et toi tu es laide comme la figure de mon désespoir

(Mais toi qui es plus laide encore que la propre figure de mon désespoir)

* * *

Claustrophobie - 8H du matin, un mercredi

Jeux de miroirs et de lumière

A travers le rideau blanc et encor tendu

De ma claustrophobie

Derrière le volet tiré

Petit matin blanc et parme qui mousse de vétiver

Tête penchée entre le mur et mon lit

Dans la ruelle de son ru

Les yeux mi clos et les pieds au chaud comme un chat couché

Tâtant ma solitude du bout des pieds

Lèvres palpitantes sur l’orange du silence qui s’emmure comm’ du lierre

Raie blanche de lumière

Sous les plis secs et distendus

De l’instant qui n’espère

Plus

*

Corps en catalepsie

* * *

La Femme-Taon

O femme cyclopéenne

Aux dessous affriolants

Ouvre ton oeil unique

Ouvre ton unique oeil

Comme un treuil-échafaud

Et engloutis-moi

Dévore-moi

O femme cronienne

A la bouche pleine de dents

O femme panique

Comme la guerre se réveille Eucalyptus sanglant sur nos sexes ouvrent-l’œil

O antique fournaise humide réchaud

Regarde-moi

Crevons nos yeux à l’épine de nos nous-deux émois

* * *

Ecriture oghamique

Ah ! mon amour je ferai tout pour toi

J’irai jusqu’au bout de la noire Nuit

Sur la nappe ivre de tes orgasmes

Et je me sacrifierai à ton autel de chair

Je t’aimerai comme on adore une déesse de chair

Et je mourrai dans tes spasmes

Je m’égorgerai au lit de tes envies

Et m’évanouirai en toi

Je te chanterai

Les hymnes grégaires

De mon esclavage au désir de tes folies carnassières

Et j’offrirai mon corps à ton omophagie

Argh ! mon amour je ferai tout pour toi

A deux ou trois choses près

* * *

Ventre vide (Amours dialectiques)

Dans tes yeux éperdus de chagrin et de tendresse

Et sur ton corps qui maintenant mollement s’affaisse

Et retombe dans son silence et sa tristesse

Morte mais assouvie animal que l’on blesse

Je m’approche m’apprête puis te laisse

Attendante souffle court comme en laisse

Et mes doigts se promènent entre les draps et ton corps qui me presse

Avivé par ton parfum et tes effluves félines plein d’ivresse

Guettant ton moindre geste épuisant ta faim jusqu’à la paresse

Guettant ta faiblesse

Dans l’antre de ton sein palpitant et empourpré par le jour qui baisse

Et ce crépuscule en liesse

Fête la fin de ton allégresse

Quand rouge et blanche l’eau coule au bord impudique bouton de ton cteis

* * *

Heute Abend

Heute Abend

Je voulais voir Verdun et le Kossovo

Mais dans ces plaines misérables au ciel pissant plus d’eau que Waterloo

Il ne restait même plus rien des anciennes guerres

Ni de ces soldats aux masques de fer

Le ciel plombé

Laissait retomber

Les brumes de ma tendresse

A peine un monument aux morts

Moisi mais l’air presse

De sombres visions de femmes déglinguées sur le zinc

Et de buveurs d’absinthe

Sans corps...

Heut’ Abend

Les enfants à Hiroshima

Boivent du coca

* * *

La chanson de Caspar David Friedrich

Par un beau matin de printemps

Je me réveillais mon travail accompli et la mâchoire pleine

Des rêves de la veille et du sourire qui s’amène

Avec le chant des mazettes sur la croupe des nuages blancs

Avec Nietzsche à la main et le cœur serein

Je me réveillais dans mon lit de plumes et de paresse

Encore plein du sommeil et de caresses

Derrière la fenêtre où baillaient des chemins

Une bruine légère remplissait l’air salin

A la croisée de l’hiver et d’un beau matin de printemps

Je me réveillais dans l’habit de lumière d’un soleil qui se lève

Par un beau matin de printemps

Où il ne se passait absolument rien

Sur le ventre des marées qui s’élèvent

* * *

Alléluia et Hosanna !

Pour le taureau dans l’arène

Et la bête aux aguets

Alléluia et Hosanna

Pour l’injustice et la haine

Pour la fleur écrasée

Alléluia et Hosanna

Pour le travail à la chaîne

Et la mort sur les pavés

Alléluia et Hosanna

Pour l’esclave dans la carène

Pour le nègre qu’on matraque et la femme violée

Alléluia et Hosanna

Pour la Santé et le bagne de Cayenne

Pour Cuauhtémoc et le poète massacrés

Alléluia et Hosanna

Pour le poids de la peine

Et le feu du bûcher

Alléluia et Hosanna

Pour le lapin de garenne

Pour le juif honni et le chrétien crucifié

Alléluia et Hosanna

Pour moi enfin et le temps qui m’entraîne

Pour le pénitent fatigué

Alléluia et Hosanna

Alléluia et Hosanna

Sur le monde et par-dessus les toits

Sans espoir de secours et dans le vide Astra-

- Le Alléluia et Hosanna

Pour tous les dieux absents et pour le flagellé

Pour la guerre la misère la faim le cancer pour la république et la reine

Alléluia et Hosanna

* * *

- Inlassablement

Mouvements incontrôlés dans la nuit

De masses indistinctes sous les draps d’un lit

A l’heure où tout le monde dort

Excepté les écrans de surveillance qui continuent de scruter les stades abandonnés

Inlassablement et sans bruit

Leurs yeux de monstres opales glissent sur les rues salies

Pendant que dans leur ronde des corps

Roulent sur les matelas dans de sordides chambres d’hôt’ à l’atmosphèr’ avinée

D’étranges neiges orgasmiques

Tapissent les longues courbes allongées

Comm’ des plaines atterrées

L’ombre litchi des néons électriques

Renvoie de vagues raies hygiéniques

Sur les caves-citées où ratinent encor des humanidés

* * *

Carré magique

Cadavres de chagrin abandonnés à la Riere-Vénus

Arpèges et solfèges jetés aux violes de la déesse-zéphyr

Par ses enfants au mors de Saturne

O méchantes vieillesses des cœurs qui se fanent

Nous vivions en doux castel d’ignorante Ivresse

Mais Felonie hostesse

Lâcha son broc à la rivière et ribaude

Des fausses larmes de Fraude

Villages asphyxiés par l’aspic

Dont les soufflets aux oreilles mélancoliques

Dissipent leurs antiques chorus

Et nous rêvions de fleurs répandues et de rires

Là où périt ce qui se glane

L’Amour fossoyé et son calice aux tremblantes urnes

* * *

ATHANOR

Par un de ces beaux matins de fièvres et de sang

Satan chevauchant ses grands chevaux grenats et blancs

Descendait le long de mes viscères

Sur ma peau sèche et luisante

Comme de la poudre d’or

Mes sphanges, mes reins mon coeur ma rate et mon foie coupés

Bouillaient dans un de ces grands chaudrons de sorciers

De sombres serpents y grouillaient

Dévertébrés par les griffes acérées des orfraies

Sages et hurlantes

Et écartelé sous le joug d’une roue de supplice

Un aigle solaire me dévorait la langue

Ma bouche aux lèvres pendantes

Souriant

Par une atroce malice

Suintante de salive blanche et de glaires

Comme une moite et mâche mangue

Et dans l’orbe de mes yeux déjà injectés je voyais

S’inscrire en lettres de sang

L’antique nom d’Athanor

* * *

Lion Vert

Je suis arrivé au bout de la route

Il faisait chaud et j’étais fatigué

De longs serpents de feu dansaient dans le lointain

Et les monstres aux yeux impavides de mon chagrin

Rêvassaient sur des montagnes de nuages

Le ciel se craquelait comme une vieille croûte

Et sur les rivages du chemin

La Médecine de mes années

Laissait s’échapper ses cavaliers d’Apocalypse sur mon passage

Dieu aux pieds de Méduse crochus

Envoyait sa Némésis

Un revolver à la main

Et crachant sur l’Eglise repue

J’accrochai une fleur de pavot rouge sur la peau lisse

De ma fin

* * *

Apocalypse millénaire

Nous cherchons de chauds soleils qui ne brillent plus

En nous enroulant dans les feuilles mortes et les plis du vent qui s’insinue

Entre les portes rouillées de nos mémoires closes et perdues

Dans les ailes mortes du Temps qui ne s’écoule plus

Parfois nos yeux fermés voient ressurgir du néant

En vrille les photos jaunies et les rires d’enfants

D’un ailleurs indélicat traînant à la main son sœur sanglant

Dans le fard des années qui ne vivent qu’à rebrousse-dents

Et les chiens oedipiens de l’Enfer grouillant

Rient de leurs yeux caves et de leurs crocs luisants

Leurs griffes pointant des piédestaux de morts sans monument

Enfin venu l’Hiver suintant de nuit et les vertèbres chenues

Dos voûté et marchand à vue

Ecrase dans l’air plat les âmes qui hier encor croyaient au salut

* * *

Ce soir, il paraît encor...

Je voudrais te parler d’Al-Ghazâlî quand je déprime

Et de cette vieille qui donne la main à un enfant

De ces fenêtres allumées dans la nuit qui laissent voir notre passant

Au passant attardé et attendri que je suis et qui l’examine

Je voudrais te lire Duns Scot pour t’endormir

Ma mie et regarder les grands lynx s’abreuver le soir venant

Aux fontaines bientôt taries par les cités s’étendant

Je voudrais les pleurer comme un mime

Et imaginer leur cri silencieux déchirer la cime

De nos buildings où il paraît que s’exprime

La liberté individuelle dans le bien collectif et partant

Où les vieux ne crèvent pas seuls abandonnés par les enfants

Où l’oiseau ne picore pas sa propre chair pour survivre

Où le solitaire ne pointe pas sur sa tempe l’ombre affûtée de son calibre

* * *

Rêves sans Rompope

Je voudrais me perdre dans les rues jaunes du souk

A boire du jus de cerise

Dans les yeux sombres ou verts d’une fille-gazelle

Au visage caché sous son voile de tulle blanc

Ou bien sous le soleil sauvage d’un début d’après-midi

Je voudrais boire de l’eau aromatisée à la menthe fraîche avant de goût

- Er comme une friandise

La langue râpeuse d’une chamelle

Pleine aux senteurs fermentées de lait blanc

Contre ma barbe mal rasée sous l’éclat de rire ivre et tonitruant

D’un homme gris

Je voudrais me perdre entre les rives sèches et grises

Du Nil et de la Mer Noire ou marcher sur les belles

Terrasses sableuses d’Oran

J’aurais voulu parler berbère au chergui

La bouche pleine de pâtisseries au caramel

De figues noires et de dattes sèches les pieds dans des babouches

A écouter

Transpirer sur les hauteurs derrière le minaret

Les accords d’une guitare chantant

* * *

Apocalypse ésotérique

Une K7 joue en cycle du Cocker, il pleut.

La télé marche seule dans le noir complet,

Je regarde dehors les vapeurs de fumée

De la ville silencieuse qui s’endort. Il pleut.

Le brouillard brouille la vitre devant mes yeux,

Et au loin un chien aboie sous le parapet

Du pont en construction au bord du ru calme mais

Où passe sa dernière nuit quelque gueux.

Aux mains brûlées et au visage plein de creux.

Sale et saline l’onde à ses pieds s’est calmée,

L’ombre d’une grande grue transperce la nuit bleue.

Les passants noctambules voyagent par deux.

La ville qui monte est moins belle qu’on ne veut,

Qui ronronne en attendant son Paraclet.

* * *

Estribillo

Peux pas dormir

Veux pas dormir

Sans toi

Sans ta cuna

Peux pas dormir

M’en fous dormirai pas

Sans toi

Sans ta cuna

Veux pas m’endormir

Ma niña chiquita

Chiquitita

Veux pas dormir

Sans t’avoir dans mes bras

Et que maman ou poupée tu me chantes enfin ma canción de cuna

* * *

Au revoir

Je n’aime pas les Aux revoirs

Tu es en retard

J’attends mais je n’ose plus t’espérer j’ai froid il fait nuit noire

J’suis encore tout seul ce soir

Et d’ailleurs je n’aime pas les Aux revoirs

Je n’aime pas les Aux revoirs

Il pleut sur la rivière de nos châloirs

Et tu me laisses mourir par manque de toi dans mon tout noir

Je crève à l’idée d’attendre pour te revoir

Mais je n’aime pas les Aux revoirs

Quel jour quelle nuit quel soir

Me fera oublier nos espoirs

Ta voix et ton regard

Quel air quelle terre quelle mare

Quelle musique quelle autre m’aidera à oublier ton retard

Je n’aime pas les Aux revoirs

Et ton souvenir s’en va sur le crépuscule du trottoir

Moi je reste là à te regarder t’éloigner dans ma mémoire

Tu ne m’as même pas souri à peine un Au revoir

Et puis d’ailleurs je n’ai jamais aimé les Aux revoirs


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