Où sont ?
Où sont-ils les beaux dimanches en bras de chemise
Les pastis au soleil
Les films d’antan et l’odeur du pain grillé
Où sont-ils les jeux de marelles et les ombrelles exquises
Quand Paris s’éveille
Sur les Champs Elysées
Où sont-ils les cafés-chantants et l’ancienne police
Aux gants blancs et à la moustache qu’on étrille
Où sont-elles les feuilles vendues une gazette à la criée
Où sont-ils les malfrats aux monocles et chapeaux claques qui sévissent
Une rose à la boutonnière ceux là qui veillent
À laisser une carte de visite comme tout bon invité
Où sont-elles les maisons de tolérance où le vice
S’étale dans les salons vermeils
Où crânent de gentilshommes en fumant des havanes importés
Où sont-elles les parties de rami où on laisse les marquises
Emporter la banque pour un sourire qu’on réveille
Et la beauté du geste d’un croupier
Où sont-elles les valises
Qu’on prépare au boulevard lorsque s’éveillent
Les feux de la rampe et les comédiens au cachet
Où sont-elles les bêtises
Dont les vieux émerveillent
Les enfants au retour d’un voyage en train à Cambrai
Où sont-ils les calices
Du curé de Saint-Agil
Et le macchabée
Où sont-elles les hantises
Du croque-mitaine qui veille
Dessous les lits des châteaux de campagne ennuités...
* * *
Litanies pour le listel du paradis
La solive, le baldaquin, la banne, le dais, l’appentis, l’auvent, la charpente, le toit, le nimbe, le plafond, le couvercle, l’entablement, la corniche, la frise, le tailloir, l’abaque, l’architrave, les mutules, le triglyphe, la plinthe, le stylobate, le geison, le tympan, le faîte, le tambour, la sima, l’acrotère, le pilastre, le larmoir, la colonne, la coupole, la caryatide, les abats, le ciel. Enfin, cette lanterne facile pour un soldat de fortune.
* * *
Litanies pour le petit matin
Et si je te disais que mon petit chat est mort
Il était noir comme le charbon
Et tendre comme le satin
Il était rond comme une boule de graines
Et son ventre bedonnait quand il avait trop mangé
Ses yeux étaient verts comme l’émeraude
Mais brillaient aussi fort que deux diamants de rubis
Et si je te disais que je l’ai couché dans un petit lit
Fait de draps blancs et de paille chaude
Et si je te disais encor que je lui ai mis de quoi manger
Pour qu’il ne meurt pas de faim
Et ne prenne
Pas froid non plus et si je te disais que c’est au matin
Qu’il est mort pour de bon
Et qu’en jetant sur lui une motte de terre, en plus j’ai craché
Au ciel et sur tous les hommes - mais vraiment bien fort -.
* * *
A propos d’une pipe brabançonne
Y’a du soleil sur les rideaux
Et du vin dans un vieux pichet en terre blanc
Y’a d’l’Armagnac dans le buffet en cèdre blanc
Et sur la fenêtre du pain pour les moineaux
Y’a des murs de silence qui embaument le jasmin et la lavande
Et des petits pas qui s’endorment sur le canapé fleuri
Y’a le jour qui passe qui s’accroche et rougit
Et des grands chevaux bais qui s’élancent dans la lande
Y’a une Bible sur une table basse
Marquée par une pâquerette séchée et ouverte au livre de Jonas
Et y’a la p’tite misère sous un quinquet qui brille, fadasse
Y’a le temps qui passe
Et sur le grand lit de toile blanche
En merisier poli par l’ombre des dimanches
Y’a une vieille sans âge
Solitaire et ténue, qui somnole, tranquille et sage, à l’étage
Au pied du lit reposent ses sabots du dimanche
Emmaillotée de dentelle comme dans les gravures d’autrefois
Elle semble pourtant nue sous les draps
Une pip’ d’écum’ entre ses lèvres minces, elle attend que la Mort l’lui tranche
* * *
Avant le vin
Le cardinal rosé
Au bord de l’eau
La bergeronnette le moineau
Le bruant et les mouches de moire
Sur le raisin muscat
Blanc avec les guêpes entrant jaunes et noires
Dans les grappes crevant les grains
Le soir bavard
Les frelons topazes ivres de chasselas
Le Hambourg putréfié
Incarnat
Et fermenté
Traînent par terre les raisins dorés
Les vrilles les baies sucrées
Les ceps les grappes lourdes les grains
Entamés des caryopses sur le pavé
Les feuilles chauffées
L’avant le vin
* * *
La mouche
L’herbe est tendre et verte
L’air est lourd et s’empêtre
Le papillon vole et court alerte
Le chien le poursuit puis s’en va paître
Une mouche sur le carreau
L’air se fait chaud
Elle volette et se pose sur la desserte
Trois fruits reposent
Trois pêches ou choses
La mouche cherche son chemin
Le carreau est malin
Derrière arrive le chien
Qui halète pour laper
Le temps s’est eu fâché
L’air frais se brise
La tempête grise
Se tourmente contre trois nuages roses
Sèche la brise
La femme balance
De gauche de droite
Et se cause
Il faut qu’on se le dise
Point on ne parle en silence
Cause
Elle se sent moite
Ses mains collent
Au bois de la chaise
La mouche est au sol
Et avance à l’abri du chien
Du chien et du vent malin
Et leurs voix se taisent
Dans l’orage la vie tient à peu de choses
* * *
Je ne sais plus quel Alcibiade
Dans les bocages sans fond
Fument blancs et épars les foins
En molles bottes rondes
Et je ne sais plus quel Alcibiade
Ou quel lascar dans le fond
Parcourant les bocages et les foins
Fraîchement coupés et mouillés de la rosée du matin
Cherchant quelque Ménade blonde
M’a joué son aubade
Et m’a laissé dans les foins
Les jambes en rond
Et je ne sais plus dans le fond
Quelle araignée du matin
M’a dit que le chagrin passe comme une onde
* * *
’Dites-moi où, n’en quel pays,/ Est Flora la belle Romaine,/...’
Je ne veux pas finir au Père Lachaise,
De tout le jour visité comme on visite
Les anciens héros morts et cuits en fournaise,
Ces vieux hommes qui n’ont plus de chair que le mythe
Et dont nos yeux ne pleurent plus le mérite.
Je ne veux pas n’être qu’un nom sur un livre.
Je veux encor ronger le temps dans l’Aïon ivre,
Je veux encor me dépenser jusqu’à mourir
Mais renaître à chaque fois pour donc vivre,
Moi pour qui la jeune vie ne fait que s’ouvrir.
Je ne veux pas finir au Père Lachaise,
Oublieux que nous sommes de nos quirites,
Car alors mon corps finirait en terre glaise,
Inconnu que la foule passe vite.
Je ne veux pas voir mon squelette putride
Étaler ses os au Ciel pour qu’il le délivre,
Je préfère encor que le feu me dégivre
Et que mes cendres au soleil s’en aillent finir
Dans l’océan qui enfin les rendra libres.
Je ne veux pas que mon âme s’envole au zéphyr.
Je ne veux pas finir au Père Lachaise,
Je préfère que mon Triomphe comme un coït
Meurt, roi saturnien, dans l’ardente braise.
Mais si la Gloire ne connaît mon mérite,
À quoi donc servirait qu’une tombe ne l’imite
À graver pour toujours en haut son calibre,
Mes titres - closes épitaphes de mon livre -.
Mon nom sur la dalle n’aura cure de mérir
Quand, même à faire du grobis, ne pourrai revivre
De par Dieu ou par son funeste advenir.
Je ne serais donc au cimetière qu’un chiffre,
Quand sous ma stèle je ne serai plus libre,
Et mon âme, plus sombre qu’un nit, sans choisir,
Rien que pain pour les archiptères et les grives.
Onc sous riche tombeau me garmente pourrir.
* * *
Caves sarcoptes
Y fait noir j’y vois rien
Au fond du trou d’une cale
Le cou les pieds et les mains enchaînés
À la lourde rame immobile d’un banc bancal
Sur le navire blanc comme le crin
Des chevaux albinos de la mer morte
Les côtes rougies par le fouet et l’écume salée
Sur trois continents qu’importent
Pour quelques maigres deniers
Sel piment épices tabac
Femmes toiles de draps curcuma
Rhum jamaïcain et nippes sales
L’odeur des tonneaux de harengs et de porc séchés
Transperce nos nez
Sans mouchoir à travers les lattes bouchées au purin
A la quille une lanterne myope se bringuebale
Contre les restes puants d’un bucrane décharné
L’odeur nauséeuse des tonneaux de poisson et de porc séchés
Attaque maintenant la carène et nos peaux bouffées
Par les scolytes les sarcoptes caves et les poux de San José
* * *
J’oubliais Ophélie
Les grands oiseaux volaient dessus l’étang
Tandis que les longs nénuphars étendaient l’heure verte et pattes qui tiges de velours sur l’onyx de l’étang
En plages les libellules dansaient de fleurs jaunes
En mimosas jaunes
Moi j’y voyais mille et une portes d’Inde et de jade
La pluie battait dans le cœur de l’étang
Sans le bruit dans le miroir des temps
Sur les nénuphars roses
Et parmi les aigles blancs et les flamands roses
J’y voyais mille et une pluies d’Inde et de Jade
* * *
Les sanglots longs...
J’écoute la rivière calme et tranquille couler
En un long et bruissant ruissellement
Et l’herbe presqu’encor verte se recroqueviller
Sous l’âcre odeur d’humus et de terre
Ailleurs au loin un chien aboie derrière la barrière
Où passe une voiture à quinze chevaux
Ô doux crépuscule tremblant
Sous les feuillages jaunis et roux
Elle est morte aujourd’hui
Je ne sais pas qui, je ne la connaissais pas.
Personne.
Ô violentes violes du trépas
La nuit coule comme une huile à gruaux
Le vent chevrotant agite les buissons salis
Par l’ombre nocturne du mildiou
’Les sanglots longs de l’automne/ Bercent mon cœur d’une langueur monotone’
* * *
Ultime ecmnésie - Hypnerotomachia
J’ai dormi comme la Loire
À flancs de coteaux quand il était tard
Les caryopses aux chairs blanches et les ceps charnus
Fleurissant dans le frétillant frichti du ru
Les lents ans passent paisibles producteurs de péricarpes
Et les flots du fleuve tapissent d’un épais tissu colloïdal son profond escarpe
Les barques lointaines et silencieuses franchissent une immobile écluse
Quelque part du bois brûle et se répand en un long filament de cirrus
Sombre ecmnésie cotonneuse de nos cœurs en catalepsie
Chevauchant au galop les champs d’écobuage aux reflets gris
J’ai dormi comme la Loire
Sous le pommier équarri aux moignons pris par le gui
A none j’ai dormi comme la Loire
Sur les carex tourbeux au verjus bleu des grasses ivresses noires
* * *
Cinquième Paradis avant l’Horizon
Le jour à son déclin le jour décline
Sans vouloir mourir
Comme la courbe d’un corps
Sur le lit du soleil couchant
L’air mat respire
Immobile éther d’or
Sur le flanc de l’automne qui s’endort Tyrans
Et famine
Mes doigts bougent sur le bras blanc
D’un fauteuil et dehors
Les feuilles seules jouent dans le vent
Leur danse maline
Couvre les souvenirs
Chagrins et ouverts les champs
* * *
’Souviens-toi, Barbara...’
Je mettrai ma vie dans un sac poubelle de couleur noire
Avec quelques confettis et mes parties de rire
Avec l’air du temps qui s’en va
Et les deux ou trois femmes qui auront fait ma vie
J’envelopperai mes souvenirs dans le papier gras de ma mémoire
Avec les pétales d’une rose et ces histoires qui m’ont tant fait frémir
Avec mon dentier et deux paires de bas
Avec mes secrets et tous leurs alibis
Je passerai mon cœur à la passoire
Avec ma solitude et pour la tapir
Les draps de mon lit
Avec mon dernier soupir et puis chapeau bas !
* * *
Sur un petit air de Mélancolie
Au son d’un tango-illusions
Sous la boule qui se facette
Vieux phono et fado triste
Slow argentin et vieille guinguette
Dans la vieille langueur des passions
Sous la boule et ses paillettes
Résumé de nos désespoirs et de la mélancolie qui se listent
Disco sicilien et vieilles dentelles
Au son des désillusions
Une vieille chanson réaliste
Et des danseuses qui ne sont plus belles
Dans un paso déraison
Et nos cœurs solitaires qui s’embêtent
Cherchant encor leurs amours taris sur la piste
* * *
Alors - (des yeux)
Joueur d’orgue
Fait marcher ce refrain
Qui s’appelait je ne le sais plus
Et même qui faisait tourner - la tête -
Mais les mots me manquent
J’ai oublié ces dernières paroles
Ou bien je suis trop saoul pour aller dans cette Morgue
Qu’on appelle le souvenir où tu ne joue pas bien
Ou ton barbarie ne connaît pas les rues
Le parfum de nos lavandières nos joies nos chants nos fêtes
Ces chants là qui m’hantent
Eh - joueur d’orgue
Que ta voix l’accompagne ton engin
Chante-moi l’air qu’j’ai voulu
Et vous les gens les passants
Les badauds les fenêtres toutes mes sœurs soyez prêtes
Maintenant
Puisque aujourd’hui c’est bien à mon passé que la ’zique me flanque
Quand le cœur gros des manèges s’ensommeille ad vitam aeternam les chevaux de bois aux larges yeux oublient facilement ces rapides évanescences de patchoulis de santal
Que les mioches suivant les éphémères crinolines emportent au jeu ininterrompu des danses des pauvres choses frelons et abeilles
Quand pour moi le jour s’achève quand vient l’aube blafarde je sens monter le mal comme si passé et futur vie et mort avant et alors combattaient d’inégal
* * *
Marie
Marie casse-croûte
Marie la fraîche Marie couche-toi
Là
Marie torchon
Marie passe moi l’pain
Marie t’as vu ta gueule
Marie
Marie
Marie bonbon
Marie sac à vin
Marie vingt ans
Marie qui broute
Marie c’est fini
Marie c’est la fin
Marie
Marie
* * *
Allégorie de la Mort
Comme dans un film de Jean Renoir
Bien triste et bien puant
Comme dans un film de Jean Renoir
Bien triste et bien sale
Je dois étendre mon linge
Et faire mes comptes d’apothicaire
Car voici venue la fin du mois
Et qu’il fait froid
Et l’hiver est proche
Alors il faut couper puis acheter du bois
Comme dans un film de Jean Renoir
Comme dans un film de Renoir
Sans héros ni bon gars
Mais rempli de salauds et de Gavroches
Voici que j’ai bien froid
Car c’est la fin de mon mois
A l’heure où la luzerne même abandonne la rocaille il me faudra un vicaire
Car mon âme et mon corps sont prêts à s’étendre comme mon linge
Je prie donc l’Abbé et Saint-François-de-Sales
Comme dans un film de Jean Renoir
Bien triste et bien gluant
Quand on meurt à la fin comme dans un film de Jean Renoir
* * *
Vieillesse
Des confuses infusions
Dans des tasses sans tâche
Et le corps des hivers
Encore plus longs que l’ennui
Des stalactites qui s’amassent
Dans des armoires de jasmin
Et le temps qui passe
Sous l’aile des lendemains
De longues nuits sans alluvions
Dans le lac immobile des jours qui se détachent
Et des grains de sésame sur le chemin des vieilles écolières
La chaleur qui se relâche
Sur la peau-vieille carcasse tannée sur le revers
Et dans son cercueil de porcelaine et de verres
Teints le temps qui s’ennuie
* * *
Golden party
Je voudrais une chanson au coin de mon lit, comme autrefois,
Je voudrais un drap bien chaud, comme autrefois,
Je voudrais n’avoir plus peur, comme autrefois,
Je voudrais une nounou, une nanie, qu’importe encore, comme autrefois,
Je voudrais une écuelle d’argent et une cuillère d’or, comme autrefois,
Je voudrais un quelconque bouillon, poisson, carottes, comme autrefois,
Je voudrais n’y être pas, comme autrefois,
Enfin je voudrais être mort, comme autrefois,...
* * *
Damnation !
Sur moi les cieux se sont ouverts
Comme un mauvais présage
Et je me sens des fers aux pieds
Comme les bottines bleues de Barbey
Car petite j’ai découvert
Que ce soir tu n’as pas été sage
Et j’aimerai te mettre les fers aux pieds
Comme les bottines bleues de Barbey
Ô tu mériterais l’enfer
Fille imbécile et volage
Tu le sais bien puisque déjà tes mains ont couvert ton visage
Comme celles du cocu qui reçoit son outrage
Puisque tes bas bleus cachent à présent ton lâche adultère
Comme les bottines bleues de Barbey
* * *
Chanson mouillée. quatre - cinq.
Strawberries
Parce qu’elle avait les joues roses
Comme le fruit humide
Blackberry
Parce qu’il avait le cheveu comme le coeur
De l’oiseau-crépuscule
Strawberries
* * *
L’escargot
J’avais mis l’escargot dans ma main
Un parfum entêtant
De fougère et de thym
il me mordillait comme un chien
J’avais mis l’escargot dans ma main
Maintenant
Il y dessinait son sinueux chemin
Dans le grêle petit matin
Il était là comme bout de rien
J’avais mis l’escargot dans ma main
Et sa bave comme un train
Dans la paume fait son temps
Puis s’en va c’est malin
* * *
Suis jazzy, Minuit derrière la cuisine
Berlin 1920
Un whisky dry coulait dans un verre
Et un nègre blanc
Jouait du jazz la gorge dans sa trompett’ acide
New Orleans Cajun 1920
Un glaçon descendait dans un verre
Et un nègre noir
Jouait du Dixieland les trips dans son sax livide
Quelque part on n’en sait rien
1920 ou bien plus tard dans le temps
Si une blanche vaut bien deux noires
Quelque part on n’en sait rien
A Paris ou bien dans un coin de l’Afrique Noire
Un homme se lève il se nomme Lumumba et a le pouvoir entr’ ses mains limpid’s
* * *
Masques
Ouara Kachmounouk
Et Oum Kalsoum chantait
Ouara Kachmounouck
Il faisait chaud
Je buvais un thé froid
A la terrasse d’un café
Un quelconque boui-boui
Comme il y en avait tant sur la rue principale
Il faisait chaud
Il faisait de plus en plus chaud
Et la ville s’écroulait
Sous ses amas de ruines
Et j’ai craqué
J’ai craqué une cigarette
Une jeep a surgit soudain
Elle venait du Souk
Des noirs en armes la remplissaient
Un instant j’ai cru voir des mamelouks
Mais ce n’étaient que des soldats nationaux
Ils renversèrent un noir qui courait vers moi
En essayant de leur échapper
Il pouvait s’appeler Mohamed ou Ali
Et dans cette lutte inter-raciale
Il était leur frère au sang chaud
Qu’ils assommaient à coups de bottes et de cro-
Sses et soudain il s’écroulait
Il est tombé
Oui il est tombé comme se fane
Une marguerite dans un champ aux couleurs sanguines
L’été malgré le soleil qui tape sur sa tête
Et contre les apostrophes que lui lance la vie en vain
C’est alors que me vint cette phrase saugrenue et libertine
Du fond de mes lèvres en panne :
’Merci Marianne
Et God Save The Queen
’Merci Marianne
Et God Save The Queen !’
Je me rapprochais de mon thé glacé
Pour y plonger mon nez
Et je continuais d’écouter le refrain entêtant et amer
De cette chanson d’Oum Kalsoum
Qui traversait comme une lame les rues vides de Karthoum
C’était aujourd’hui
Ou hier
C’était çà la colonie
* * *
Afrique
Les femmes battaient les bols de riz
De leurs mains nues comme des baguettes
Assises en croix devant les greniers remplis
Leurs ombres semblaient danser dans la chaleur fluette
Les hommes étaient absents
Et le riz s’envolait en grappes blanches
Vers le soleil dardant
Les femmes assises sur leur tapis de tresses et de chanvre
Le rattrapaient maintenant sur des tamis
Les oiseaux Maori
Semblaient caqueter comme font les grues
Et les lions silencieux et repus
Restaient songeurs et accroupis
Dans la savane assoupie
* * *
Mise à Mort - Matamore
Matador
Tu portes bien ton nom
Tu m’as arraché le cœur
Et comme une fleur il est tombé sur le sable encor chaud de l’arène
Matador
Tu portes mieux ton nom
Que ton habit de lumière où suinte la peur
Et comme une fleur elle est tombé sur le sable encor chaud de l’arène
Matador
Tu portes bien ton nom
Assassin démon et malheur
Qui comme une fleur est tombé sur le sable encor chaud de l’arène
Matador - stupide Matamore
Tu portes trop bien ton nom
Et lui fait bien trop honneur
Le taureau comme une fleur est tombé sur le sable encor chaud de l’arène
* * *
Amateurs
Amateurs
Dans leurs habits de fer et de sang
Sur la piste qui brille
Sous le soleil mort
D’une après-midi déjà reposant
Corps inerte qui se convulse et se vrille
Au son des trompettes des maracas et des cors
Amateurs
Amateurs
Filet rigoles fleuve et mer et océan mort
Fleurs fanées yeux vides des monstres d’Azaël ensorcelés en leurs leurres
Amateurs
Vision funeste ultime apocalypse sans clairons ni apôtre
Bijoux luisants odeur de sciure et de sueur sous leurs habits de lumières et de pacotille
* * *
Comptes courants - Incarnation
Ce soir je suis rentré petite
Et tu étais déjà couchée
L’ennui est une mort plus sûre
J’ai vu tes clés posées entr’ les reliefs de ton repas
Sous le toit qui nous abrite
Je suis tout seul dans le noir
L’ennui est une mort plus certaine
J’attends couché à côté de toi, mais ça ne vient pas
On est toujours tout seul petite
Mouche ton nez
Et vaque à tes propres blessures
Le temps égrène encore ses tics et ses rites
Sur nos cuirs d’animaux stupides je prends de la bedaine
Et toi tu es laide comme la figure de mon désespoir
(Mais toi qui es plus laide encore que la propre figure de mon désespoir)
* * *
Claustrophobie - 8H du matin, un mercredi
Jeux de miroirs et de lumière
A travers le rideau blanc et encor tendu
De ma claustrophobie
Derrière le volet tiré
Petit matin blanc et parme qui mousse de vétiver
Tête penchée entre le mur et mon lit
Dans la ruelle de son ru
Les yeux mi clos et les pieds au chaud comme un chat couché
Tâtant ma solitude du bout des pieds
Lèvres palpitantes sur l’orange du silence qui s’emmure comm’ du lierre
Raie blanche de lumière
Sous les plis secs et distendus
De l’instant qui n’espère
Plus
*
Corps en catalepsie
* * *
La Femme-Taon
O femme cyclopéenne
Aux dessous affriolants
Ouvre ton oeil unique
Ouvre ton unique oeil
Comme un treuil-échafaud
Et engloutis-moi
Dévore-moi
O femme cronienne
A la bouche pleine de dents
O femme panique
Comme la guerre se réveille Eucalyptus sanglant sur nos sexes ouvrent-l’œil
O antique fournaise humide réchaud
Regarde-moi
Crevons nos yeux à l’épine de nos nous-deux émois
* * *
Ecriture oghamique
Ah ! mon amour je ferai tout pour toi
J’irai jusqu’au bout de la noire Nuit
Sur la nappe ivre de tes orgasmes
Et je me sacrifierai à ton autel de chair
Je t’aimerai comme on adore une déesse de chair
Et je mourrai dans tes spasmes
Je m’égorgerai au lit de tes envies
Et m’évanouirai en toi
Je te chanterai
Les hymnes grégaires
De mon esclavage au désir de tes folies carnassières
Et j’offrirai mon corps à ton omophagie
Argh ! mon amour je ferai tout pour toi
A deux ou trois choses près
* * *
Ventre vide (Amours dialectiques)
Dans tes yeux éperdus de chagrin et de tendresse
Et sur ton corps qui maintenant mollement s’affaisse
Et retombe dans son silence et sa tristesse
Morte mais assouvie animal que l’on blesse
Je m’approche m’apprête puis te laisse
Attendante souffle court comme en laisse
Et mes doigts se promènent entre les draps et ton corps qui me presse
Avivé par ton parfum et tes effluves félines plein d’ivresse
Guettant ton moindre geste épuisant ta faim jusqu’à la paresse
Guettant ta faiblesse
Dans l’antre de ton sein palpitant et empourpré par le jour qui baisse
Et ce crépuscule en liesse
Fête la fin de ton allégresse
Quand rouge et blanche l’eau coule au bord impudique bouton de ton cteis
* * *
Heute Abend
Heute Abend
Je voulais voir Verdun et le Kossovo
Mais dans ces plaines misérables au ciel pissant plus d’eau que Waterloo
Il ne restait même plus rien des anciennes guerres
Ni de ces soldats aux masques de fer
Le ciel plombé
Laissait retomber
Les brumes de ma tendresse
A peine un monument aux morts
Moisi mais l’air presse
De sombres visions de femmes déglinguées sur le zinc
Et de buveurs d’absinthe
Sans corps...
Heut’ Abend
Les enfants à Hiroshima
Boivent du coca
* * *
La chanson de Caspar David Friedrich
Par un beau matin de printemps
Je me réveillais mon travail accompli et la mâchoire pleine
Des rêves de la veille et du sourire qui s’amène
Avec le chant des mazettes sur la croupe des nuages blancs
Avec Nietzsche à la main et le cœur serein
Je me réveillais dans mon lit de plumes et de paresse
Encore plein du sommeil et de caresses
Derrière la fenêtre où baillaient des chemins
Une bruine légère remplissait l’air salin
A la croisée de l’hiver et d’un beau matin de printemps
Je me réveillais dans l’habit de lumière d’un soleil qui se lève
Par un beau matin de printemps
Où il ne se passait absolument rien
Sur le ventre des marées qui s’élèvent
* * *
Alléluia et Hosanna !
Pour le taureau dans l’arène
Et la bête aux aguets
Alléluia et Hosanna
Pour l’injustice et la haine
Pour la fleur écrasée
Alléluia et Hosanna
Pour le travail à la chaîne
Et la mort sur les pavés
Alléluia et Hosanna
Pour l’esclave dans la carène
Pour le nègre qu’on matraque et la femme violée
Alléluia et Hosanna
Pour la Santé et le bagne de Cayenne
Pour Cuauhtémoc et le poète massacrés
Alléluia et Hosanna
Pour le poids de la peine
Et le feu du bûcher
Alléluia et Hosanna
Pour le lapin de garenne
Pour le juif honni et le chrétien crucifié
Alléluia et Hosanna
Pour moi enfin et le temps qui m’entraîne
Pour le pénitent fatigué
Alléluia et Hosanna
Alléluia et Hosanna
Sur le monde et par-dessus les toits
Sans espoir de secours et dans le vide Astra-
– Le Alléluia et Hosanna
Pour tous les dieux absents et pour le flagellé
Pour la guerre la misère la faim le cancer pour la république et la reine
Alléluia et Hosanna
* * *
– Inlassablement
Mouvements incontrôlés dans la nuit
De masses indistinctes sous les draps d’un lit
A l’heure où tout le monde dort
Excepté les écrans de surveillance qui continuent de scruter les stades abandonnés
Inlassablement et sans bruit
Leurs yeux de monstres opales glissent sur les rues salies
Pendant que dans leur ronde des corps
Roulent sur les matelas dans de sordides chambres d’hôt’ à l’atmosphèr’ avinée
D’étranges neiges orgasmiques
Tapissent les longues courbes allongées
Comm’ des plaines atterrées
L’ombre litchi des néons électriques
Renvoie de vagues raies hygiéniques
Sur les caves-citées où ratinent encor des humanidés
* * *
Carré magique
Cadavres de chagrin abandonnés à la Riere-Vénus
Arpèges et solfèges jetés aux violes de la déesse-zéphyr
Par ses enfants au mors de Saturne
O méchantes vieillesses des cœurs qui se fanent
Nous vivions en doux castel d’ignorante Ivresse
Mais Felonie hostesse
Lâcha son broc à la rivière et ribaude
Des fausses larmes de Fraude
Villages asphyxiés par l’aspic
Dont les soufflets aux oreilles mélancoliques
Dissipent leurs antiques chorus
Et nous rêvions de fleurs répandues et de rires
Là où périt ce qui se glane
L’Amour fossoyé et son calice aux tremblantes urnes
* * *
ATHANOR
Par un de ces beaux matins de fièvres et de sang
Satan chevauchant ses grands chevaux grenats et blancs
Descendait le long de mes viscères
Sur ma peau sèche et luisante
Comme de la poudre d’or
Mes sphanges, mes reins mon coeur ma rate et mon foie coupés
Bouillaient dans un de ces grands chaudrons de sorciers
De sombres serpents y grouillaient
Dévertébrés par les griffes acérées des orfraies
Sages et hurlantes
Et écartelé sous le joug d’une roue de supplice
Un aigle solaire me dévorait la langue
Ma bouche aux lèvres pendantes
Souriant
Par une atroce malice
Suintante de salive blanche et de glaires
Comme une moite et mâche mangue
Et dans l’orbe de mes yeux déjà injectés je voyais
S’inscrire en lettres de sang
L’antique nom d’Athanor
* * *
Lion Vert
Je suis arrivé au bout de la route
Il faisait chaud et j’étais fatigué
De longs serpents de feu dansaient dans le lointain
Et les monstres aux yeux impavides de mon chagrin
Rêvassaient sur des montagnes de nuages
Le ciel se craquelait comme une vieille croûte
Et sur les rivages du chemin
La Médecine de mes années
Laissait s’échapper ses cavaliers d’Apocalypse sur mon passage
Dieu aux pieds de Méduse crochus
Envoyait sa Némésis
Un revolver à la main
Et crachant sur l’Eglise repue
J’accrochai une fleur de pavot rouge sur la peau lisse
De ma fin
* * *
Apocalypse millénaire
Nous cherchons de chauds soleils qui ne brillent plus
En nous enroulant dans les feuilles mortes et les plis du vent qui s’insinue
Entre les portes rouillées de nos mémoires closes et perdues
Dans les ailes mortes du Temps qui ne s’écoule plus
Parfois nos yeux fermés voient ressurgir du néant
En vrille les photos jaunies et les rires d’enfants
D’un ailleurs indélicat traînant à la main son sœur sanglant
Dans le fard des années qui ne vivent qu’à rebrousse-dents
Et les chiens oedipiens de l’Enfer grouillant
Rient de leurs yeux caves et de leurs crocs luisants
Leurs griffes pointant des piédestaux de morts sans monument
Enfin venu l’Hiver suintant de nuit et les vertèbres chenues
Dos voûté et marchand à vue
Ecrase dans l’air plat les âmes qui hier encor croyaient au salut
* * *
Ce soir, il paraît encor...
Je voudrais te parler d’Al-Ghazâlî quand je déprime
Et de cette vieille qui donne la main à un enfant
De ces fenêtres allumées dans la nuit qui laissent voir notre passant
Au passant attardé et attendri que je suis et qui l’examine
Je voudrais te lire Duns Scot pour t’endormir
Ma mie et regarder les grands lynx s’abreuver le soir venant
Aux fontaines bientôt taries par les cités s’étendant
Je voudrais les pleurer comme un mime
Et imaginer leur cri silencieux déchirer la cime
De nos buildings où il paraît que s’exprime
La liberté individuelle dans le bien collectif et partant
Où les vieux ne crèvent pas seuls abandonnés par les enfants
Où l’oiseau ne picore pas sa propre chair pour survivre
Où le solitaire ne pointe pas sur sa tempe l’ombre affûtée de son calibre
* * *
Rêves sans Rompope
Je voudrais me perdre dans les rues jaunes du souk
A boire du jus de cerise
Dans les yeux sombres ou verts d’une fille-gazelle
Au visage caché sous son voile de tulle blanc
Ou bien sous le soleil sauvage d’un début d’après-midi
Je voudrais boire de l’eau aromatisée à la menthe fraîche avant de goût
– Er comme une friandise
La langue râpeuse d’une chamelle
Pleine aux senteurs fermentées de lait blanc
Contre ma barbe mal rasée sous l’éclat de rire ivre et tonitruant
D’un homme gris
Je voudrais me perdre entre les rives sèches et grises
Du Nil et de la Mer Noire ou marcher sur les belles
Terrasses sableuses d’Oran
J’aurais voulu parler berbère au chergui
La bouche pleine de pâtisseries au caramel
De figues noires et de dattes sèches les pieds dans des babouches
A écouter
Transpirer sur les hauteurs derrière le minaret
Les accords d’une guitare chantant
* * *
Apocalypse ésotérique
Une K7 joue en cycle du Cocker, il pleut.
La télé marche seule dans le noir complet,
Je regarde dehors les vapeurs de fumée
De la ville silencieuse qui s’endort. Il pleut.
Le brouillard brouille la vitre devant mes yeux,
Et au loin un chien aboie sous le parapet
Du pont en construction au bord du ru calme mais
Où passe sa dernière nuit quelque gueux.
Aux mains brûlées et au visage plein de creux.
Sale et saline l’onde à ses pieds s’est calmée,
L’ombre d’une grande grue transperce la nuit bleue.
Les passants noctambules voyagent par deux.
La ville qui monte est moins belle qu’on ne veut,
Qui ronronne en attendant son Paraclet.
* * *
Estribillo
Peux pas dormir
Veux pas dormir
Sans toi
Sans ta cuna
Peux pas dormir
M’en fous dormirai pas
Sans toi
Sans ta cuna
Veux pas m’endormir
Ma niña chiquita
Chiquitita
Veux pas dormir
Sans t’avoir dans mes bras
Et que maman ou poupée tu me chantes enfin ma canción de cuna
* * *
Au revoir
Je n’aime pas les Aux revoirs
Tu es en retard
J’attends mais je n’ose plus t’espérer j’ai froid il fait nuit noire
J’suis encore tout seul ce soir
Et d’ailleurs je n’aime pas les Aux revoirs
Je n’aime pas les Aux revoirs
Il pleut sur la rivière de nos châloirs
Et tu me laisses mourir par manque de toi dans mon tout noir
Je crève à l’idée d’attendre pour te revoir
Mais je n’aime pas les Aux revoirs
Quel jour quelle nuit quel soir
Me fera oublier nos espoirs
Ta voix et ton regard
Quel air quelle terre quelle mare
Quelle musique quelle autre m’aidera à oublier ton retard
Je n’aime pas les Aux revoirs
Et ton souvenir s’en va sur le crépuscule du trottoir
Moi je reste là à te regarder t’éloigner dans ma mémoire
Tu ne m’as même pas souri à peine un Au revoir
Et puis d’ailleurs je n’ai jamais aimé les Aux revoirs