Je dis que le monde est à réinventer.
Vaste, peuplé d’êtres libres, égalitaire. Un monde chamarré, ensoleillé. Où il ferait bon habiter. Où l’espace ne serait pas clos par des frontières étanches, où chacun pourrait s’épanouir sans exclure les autres des ressources. Où l’on ne rougirait pas devant les cartes, à l’écoute des nouvelles du lointain, du prochain, du différent. Où la parole serait respectée, au lieu d’être muselée dans des forums, interprétée. Je rêve de magiciens du réel, d’histoires à venir qui ne soient pas dévoyées par ceux qui mettent à terre les utopies, au lieu d’en créer, et qui se réclament de la révolution, en reprenant son vocabulaire mais en en détruisant l’esprit. Je refuse l’objectivité du marché, l’idéologie de l’argent-roi et de la précarité généralisée. Je rêve de subjectivités solidaires.
J’ai besoin d’imaginaires et d’idées pour décrire ce monde nouveau, le peindre, le filmer, l’exprimer. D’arpenteurs et de promeneurs, de géographes et de poètes. Voulez-vous en être ? J’ai besoin de vous aussi, philosophes, historiens, sociologues, économistes, logiciens, scientifiques, Waldgänger, et aventuriers. Voulez-vous constituer avec moi une commune ? Je vous invite à inventer, à sortir des sentiers battus, à interroger à tout le moins ce que l’on vous dicte de réalité. A penser ce monde, s’il est possible, selon des angles inédits, des points de vue imprenables. A vivre selon vos idéaux, et selon des modes nouveaux.
En relisant Anna Sprengel, j’ai eu envie de réaliser à partir de la rentrée son souhait d’organiser les Rencontres du Lendemain, en éditant un dossier du même nom où je réunirais vos contributions. Exigeant mais fécond, ce groupe serait constitué d’intellectuels, comme elle tâche de les définir et cependant je voudrais élargir le cercle des seuls initiés à ceux précités, artistes et aventuriers de l’idée. On pourra aussi songer au Waldgänger selon Jünger avec Jean Pascal : dans l’énergie du refus, dans un principe d’à côté, de marginalité. Mu par une certaine éthique et se réclamant du Recours aux forêts, il est l’horizon négatif qui nous manque, dans nos vies étouffées. Comment réactualiser ces figures salvatrices ? Qui d’entre vous voudra penser et écrire un monde nouveau dès l’automne ? Je vous enjoins à traverser le désert, cet été, en vous inspirant de ces esquisses. Car il faudra parfois savoir voyager loin sans peur, avec Rodolphe Christin, pour amasser des trésors d’inventivité. Tout comme partir à la dérive tout près, avec Guy Debord, pour renouveler sa vision du réel, en découvrir d’autres aspects que ceux routiniers. Je vous vois partir en vacances avec l’esprit libre, valises légères pour revenir chargées d’idées. A ceux qui restent, le plaisir d’un espace reconquis. Puis nous tâcherons de nous constituer en commune, avec le Comité invisible, s’il est possible, en tissant des liens, en formant de nos vies singulières une trame propre à résister. Car il sera temps de s’opposer, de proposer, avec Ken Knabb, de se prouver. Ne pas seulement manifester son accord, acquiescer, mais participer activement. Je vous attends, impatiemment. Je vous vois critiquer, déciller, éclairer, comme François Niney regardant un film. Faire de la prospection comme Raymond Caroubier, faire oeuvre. « Peindre et com-peindre » avec Georges Amar, selon un art dirigé vers, étayé de savoir et de pratique. Pour clore et ouvrir à la fois ce cheminement propédeutique et estival, Serge Velay nous fait signe, mais vous trouverez certainement votre propre méthode…
N’hésitez pas, si ces quelques lignes vous parlent, à me contacter, et en attendant, bonne lecture, bonne écriture, bel été.
Anna Sprengel : Où sont les intellectuels ?
Jean Pascal : Figures du Waldgänger
Rodolphe Christin : L’esprit de l’aventure
Guy Debord : Théorie de la dérive
Comité invisible : Se constituer en communes
Ken Knabb : Avis à propos de la société dominante et de ceux qui la contestent
François Niney : Tu n’as rien vu à Mwanza : à propos du « Cauchemar de Darwin » de Hubert Sauper
Raymond Caroubier :
Mémoire sur la façon dont les démocraties basculèrent
vers la dictature au début du XXIème siècle
Georges Amar : Art poétique élémentaire
Serge Velay : Méthode