Le présumé processus de paix syrien entre maintenant dans sa phase de mascarade à Genève. Il se peut que ça dure des mois ; préparez-vous à des doses somptueuses de gesticulations et de fanfaronnades capables de surprendre jusqu’à Donald Trump lui-même.
Pour commencer, la notion selon laquelle Genève puisse être en mesure d’usurper l’identité de Damas dans une pantomime en costume-cravate est ridicule. Même l’émissaire de l’ONU à la superbe élégance vestimentaire, Staffan de Mistura, reconnait à l’avance une tâche de Sisyphe — y compris si tous les acteurs concernés étaient autour de la table.
Ensuite, nous avons la « figure de l’opposition » syrienne George Sabra [2] annonçant qu’aucune délégation du haut comité de l’opposition basé à Riyad ne sera à la table des négociations à Genève. Comme si les Syriens avaient besoin d’une « opposition » instrumentalisée par l’Arabie saoudite.
Aussi, dans l’objectif d’informer le contexte, voici un récapitulatif très concis des derniers faits cruciaux sur le terrain syrien que la « nouvelle capitale » Genève ne pourrait ignorer qu’à ses risques et périls.
Commençons par l’été dernier, lorsque Qasem Soleimani en personne, le commandant superstar des forces iraniennes al-Qods, déposa à Moscou la sentence qu’à travers le théâtre de la guerre syrienne la situation sans aucun doute était dramatique.
Essentiellement Soleimani dit alors au Kremlin et au Renseignement russe qu’Alep allait être sur le point de tomber, que Jabhat al-Nusra était aux portes sud de Damas, que Idlib était tombée et que Lattaquié — siège de la base navale russe de Tartous — serait la prochaine.
On peut imaginer l’effet de cette secousse de realpolitik dans l’esprit du Président Poutine. Lequel décrocha sa résolution pour arrêter la chute de la Syrie et l’empêcher de devenir un remix libyen.
Il est avéré que la campagne de la force aérienne russe in extremis changea la donne. Elle est dans un processus de sécurisation du réseau Damas-Homs-Hama-Lattaquié-Alep — l’ouest urbain développé de la Syrie qui détient 70 pour cent de la population du pays. ISIS / ISIL / Daesh et/ou Jabhat al-Nusra — alias al-Qaïda en Syrie,— ont zéro chance de se reprendre de ce territoire. Le reste est en grande partie désertique.
Jaish al-Islam (l’Armée de l’Islam) — une équipe hétéroclite armée par l’Arabie saoudite — détient encore quelques positions au nord de Damas. C’est maîtrisable. Les rustres de la province de Deraa, au sud de Damas, ne pourraient faire une poussée vers la capitale que dans un contexte impossible de Tempête de Désert de 1991.
Les « rebelles modérés » — de la concoction périphérique — ont essayé de tenir Homs et Qousseir, coupant le ravitaillement de Damas. Ils ont été repoussés. Quant à la horde de rebelles « modérés » qui ont pris toute la province d’Idlib, ils sont impitoyablement pilonnés depuis maintenant quatre mois par l’Armée de l’air russe. Le front sud d’Alep est également sécurisé.
Ne bombardez pas « nos » rebelles
Il est facile d’épingler ceux que l’ensemble de l’action russe rend livides : l’Arabie saoudite, la Turquie et — dernièrement mais pas le moindre — l’« Empire du Chaos » [3], tous à table à Genève.
Jabhat al-Nusra — contrôlé à distance par Ayman al-Zawahiri [4] — est intimement lié à une tripotée de salafistes-djihadistes de l’« Armée de la conquête » parrainée par l’Arabie, ainsi qu’alliée sur le plan tactique avec une myriade de milices nominalement regroupées dans l’Armée syrienne libre presque éteinte (ASL).
La CIA, recourant aux Saoudiens pour plausible déni, a entièrement militarisé une sélection de groupes de l’ASL qui a reçu, entre autres, des missiles antichars américains TOW. L’invité qui a pratiquement "intercepté" toutes les armes est : Jabhat al-Nusra.
Le suivi ne fut rien qu’hilarant : Washington, Ankara et Riyad dénonçant furieusement Moscou de bombarder leurs « rebelles modérés » au lieu d’ISIS / ISIL / Daesh.
Parallèlement à l’offensive russe, l’armée arabe syrienne (AAS), lentement mais sûrement, a repris l’initiative. Les « 4 + 1 » — Russie, Syrie, Iran (« Les forces spéciales », beaucoup d’entre elles venant d’Afghanistan), Irak, plus le Hezbollah — ont commencé à coordonner leurs efforts. La province de Lattaquié — qui accueille non seulement la base navale russe de Tartous, mais encore la base aérienne russe de Hmeimim — est maintenant sous le contrôle total de Damas.
Et cela nous amène aux cauchemars d’Ankara. La force aérienne russe a fracassé la plupart des milices par procuration d’Ankara, les Turkmènes — fortement infiltrés par les fascistes turcs — dans le nord ouest de la Syrie. Ce fut la principale raison de la décision désespérée du Sultan Erdogan d’abattre un Sukhoi Su-24.
Telles que ressortent les choses sur le terrain, il est maintenant clair que les gagnants sont les « 4 + 1 », et les perdants sont l’Arabie saoudite et la Turquie. Donc pas étonnant que les Saoudiens veuillent pour le moins une partie de leurs groupes par procuration à la table des négociations à Genève, tandis que la Turquie tente de changer de sujet en y interdisant les Kurdes syriens, ceux-ci, bien plus qu’ISIS / ISIL / Daesh, étant accusés d’être des terroristes.
Quitter Genève, entrer à Jerablus [5]
Comme si cela n’était pas assez confus, un « groupe de réflexion » des États-Unis est maintenant en train de tricoter une « compréhension » entre Washington et Ankara pour ce qui serait, à toutes fins utiles, une invasion turque du nord de la Syrie, sous prétexte qu’Ankara aille briser ISIS / ISIL / Daesh dans le nord d’Alep [6].
Ceci est une absurdité totale. Le jeu d’Ankara est à trois volets : soutenir ses mandataires turkmènes fortement vaincus ; garder bien vivant le couloir d’Alep — couloir qui contient principalement la route djihadiste entre la Turquie et la Syrie ; et surtout empêcher par tous les moyens nécessaires que « Les unités de protection du peuple » kurdes (GPJ) réduisent l’écart d’Afrin à Kobane, et unissent les trois cantons kurdes syriens près de la frontière turque.
Rien de tout cela n’a à voir avec les combats contre ISISL / ISIL / Daesh. Et la partie la plus sucrée est que Washington aide réellement les Kurdes syriens avec un support aérien. La schizophrénie ne peut s’appliquer dans ce cas : soit le Pentagone soutient les Kurdes syriens, soit il soutient l’invasion du nord de la Syrie par Erdogan.
Un Erdogan désespéré au cours de sa dite « invasion » peut être assez fou pour affronter la force aérienne russe. Quand Poutine dit que la réponse à toute provocation sera immédiate et mortelle, il est sur le coup. Pour couronner le tout, les Russes et les Américains sont en train de coordonner de fait leur action dans l’espace aérien au nord de la Syrie.
Ce qui concerne la prochaine grande chose annoncée, éclipsant totalement la pantomime de Genève : le GPJ et ses alliés prévoient une attaque majeure pour saisir enfin le tronçon de 100 kilomètres de la frontière entre la Syrie et la Turquie toujours contrôlée par ISIS / ISIL / Daesh — et réunissant ainsi leurs trois cantons.
Erdogan a été franc, si le GPJ pousse à l’ouest de l’Euphrate, ce sera la guerre. Bon, ça pourrait bien être la guerre, alors. Le GPJ se prépare à attaquer les villes cruciales de Jerablus et de Manbij [7]. La Russie va certainement aider le GPJ à reconquérir Jerablus. Et ce sera sur le terrain — une fois encore — le choc de la Turquie contre la Russie.
Genève ? C’est pour les touristes. La capitale du spectacle de l’horreur syrienne est maintenant Jerablus.
Trad. L.D.
Source : Pepe Escobar, “You have now landed in Geneva, Syria”, Op-Edge, 29 janvier 2016, RT Question more. Traduction FB, le 30 janvier 2016.