J’ai le plus grand respect pour l’engagement politique d’Edward Said. Son travail sur l’Orient est à juste titre considéré comme une contribution essentielle à la question. Mais cela fait plus de douze ans que j’étudie la représentation de l’Orient et, tout en connaissant les travaux de Said, j’ai décidé de suivre ma propre voie. Après avoir longuement exposé ici et là [1] le résultat de mes recherches, je voudrais à présent mettre en relief ce qui, de mon point de vue, pose problème dans l’analyse de la notion d’Orient chez Said.
Conscience exilique
Orientalism d’Edward Said est considéré comme l’œuvre inaugurale des études postcoloniales. Mais la question posée par l’Orient à la conscience occidentale dépasse le cadre colonial tel que Edward Said l’a défini voilà une trentaine d’années. En effet, si l’Orient est considéré comme un des plus anciens et plus forts marqueurs d’altérité que l’Occident ait connus, il reste qu’« Orient » est une dénomination particulièrement floue qui va du Maghreb au Japon.
L’approche imagologique qui distingue l’alter de l’alius permet d’y voir plus clair. Elle différencie une altérité qui n’est que réflexive et relative à celui qui se la figure (c’est l’alter), et une altérité qui est irréductible au système de celui qui en fait la représentation (l’alius). On s’aperçoit ainsi que l’Orient n’existe qu’en tant que création de l’Occident. Mais sa naissance ne date pas de l’entreprise coloniale européenne : la naissance de l’Orient accompagne celle de l’idéalisme et de la métaphysique.
Pour mettre en évidence la teneur du discours que l’Occident tient non seulement sur l’Orient mais qu’il tient surtout sur lui-même, il est nécessaire d’avoir recours à une conscience exilique qui est au cœur du comparatisme perspectiviste. Notre but est de montrer comment le perspectivisme appliqué à l’Orient peut servir de méthode pour mettre en évidence, par une approche comparatiste, ‘ce qui se montre par soi-même’ à l’aune de ‘ce qui est dissimulé’ - et pour l’évaluer.
A cette fin, nous montrerons que certains choix effectués par Edward Said empêchent que l’Orient n’apparaisse pour ce qu’il est.
Lorsque Edward Said publia Orientalism en 1978, il existait très peu d’études d’ensemble sur la « matière orientale ». La principale était La Renaissance orientale (Payot, 1950) de Raymond Schwab, qui fait encore autorité en raison de la richesse d’information et de la sagacité de l’auteur à mettre en lumière la relation entretenue par le XIXe siècle et l’Orient. Schwab est souvent cité par Said qui semble s’inspirer de son élargissement du champ d’enquête au domaine extra-littéraire. Entre l’après-guerre et les années 1970 la décolonisation rendit nécessaire une approche nouvelle de l’objet « Orient » qui tirât les conséquences du relativisme culturel ainsi mis en exergue. C’est en grande partie la voie qu’explore Orientalism.
Dès son introduction, Said tient les propos suivants : « ma thèse est que l’orientalisme est [...] une dimension considérable de la culture politique et intellectuelle moderne et que, comme tel, il a moins de rapports avec l’Orient qu’avec ‘notre’ monde. » [2] Rien de moins anodin que cette affirmation à partir de laquelle il mettra en évidence la spécularité de l’Orient pour l’Occident. Il ne s’agit pas moins que de commencer à ne plus être dupe de la réalité de l’Orient. Telles semblent bien être les prémisses de l’étude de l’orientalisme exposées par Said :
« L’orientalisme repose sur l’extériorité, c’est-à-dire sur ce que l’orientaliste, poète ou érudit, fait parler l’Orient, le décrit, éclaire ses mystères pour l’Occident. [...] l’orientaliste est en dehors de l’Orient, à la fois comme fait existentiel et comme fait moral. [...]
Mon analyse du texte orientaliste met donc l’accent sur le témoignage, nullement invisible, donné par ces représentations en tant que représentations, non en tant que descriptions ‘naturelles’ de l’Orient. » [3]
Ainsi, l’objet d’étude de Said est-il l’orientalisme en tant que représentation induite par l’Occident lui-même : « L’orientalisme a plus répondu à la culture qui l’a produit qu’à son objet putatif, lui aussi produit par l’Occident » [4], affirme-t-il. Said distingue d’une part la production de l’Orient par l’Occident puis celle de l’orientalisme par ce dernier. Mais « tout l’orientalisme tient lieu de l’Orient, et s’en tient à distance » [5], si bien que son étude est davantage celle d’un discours second sur l’Orient (l’orientalisme) que l’étude de l’Orient lui-même [6]. Eviter de lâcher la proie pour l’ombre, c’est ce que le perspectivisme se propose de faire. Car une certaine ambiguïté s’installe dès l’introduction : « Orient » sert aussi bien à désigner le discours produit par l’orientalisme que l’Orient « réel » !
La méthode de Said permet de la comprendre en partie :
« J’utilise [...] cette notion de stratégie pour définir le problème rencontré par tout écrivain traitant de l’Orient : comment l’appréhender, comment l’approcher, comment éviter d’être vaincu ou submergé par sa sublimité, son étendue, ses terribles dimensions. Celui qui écrit sur l’Orient doit définir sa position vis-à-vis de celui-ci [...]. » [7]
Or il écrit plus loin : « mon investissement personnel dans cette étude vient en grande partie du fait que, en grandissant dans deux colonies anglaises, j’ai compris que j’étais un Oriental. Dans ces colonies (la Palestine et l’Egypte), puis aux Etats-Unis, toute mon éducation a été occidentale, et pourtant ce sentiment ancien a persisté. » [8] La conscience d’être un Oriental façonné par l’Occident est au cœur de la démarche de Said. Sa position lorsqu’il parle de l’Orient s’enracine donc dans le sentiment d’être soumis, en tant qu’Oriental, à la domination culturelle de l’Occident. Cela pourrait ressembler à la notion de conscience exilique à laquelle nous avons fait référence : l’exil intérieur (en Palestine et en Egypte) puis géographique (aux Etats-Unis) conférerait à Edward Said une position privilégiée pour mettre en évidence le discours sur l’Orient tenu par l’orientalisme en tant que système hégémonique saturant.
Mais sa position n’est privilégiée qu’en apparence. « En étudiant l’orientalisme, ajoute-t-il, j’ai essayé de bien des manières de faire l’inventaire des traces laissées en moi, sujet oriental, par la culture dont la domination a été un facteur si puissant dans la vie de tous les Orientaux. » [9] Le ‘connais-toi toi-même’ qu’il revendique n’est pas suffisant. Nous en voulons pour preuve la confession suivante : « C’est pourquoi j’ai dû centrer mon attention sur l’Orient islamique. » [10] Le projet de Said était de mettre au jour, de dénoncer, voire de renverser l’édifice orientaliste qui, de son point de vue, se dressait entre son sentiment d’être un « Oriental » (il place lui-même les guillemets) et le constat d’être un sujet oriental. La différence entre les deux est bien sûr la sujétion : c’est pourquoi il accuse l’orientalisme d’être le plus bel exemple de relations productives entre culture et impérialisme politique : « [...] j’étudie l’orientalisme comme un échange dynamique entre les auteurs individuels et les vastes entreprises politiques formées par les trois grands empires - le britannique, le français, l’américain - sur le territoire intellectuel et imaginaire » [11].
La position d’exil partiel d’Edward Said lui a permis de démontrer d’incontestable façon que la structure de l’orientalisme était en partie impérialiste, mais cette même position a singulièrement restreint les possibilités de retracer non seulement la généalogie du discours orientaliste sur l’Orient, mais surtout celle de l’Orient lui-même en tant que création de l’Occident.
L’on pourrait presque dire que Said a lui-même été victime de l’élaboration culturelle occidentale qu’il dénonce : il ne croit pas à l’Orient représenté par l’orientalisme mais a semblé croire à la réalité de « l’Orient », à tel point que dans sa postface de 1994 et sa préface de 2003, il éprouva le besoin de préciser que « la thèse de [s]on livre n’est pas de donner à penser qu’il y a quelque chose comme un Orient réel ou véritable » [12] et revint à la charge plus tard : « je dois redire que je n’ai pas de « véritable » Orient à défendre » [13]. Non qu’il n’ait eu l’intuition, dans Orientalism, de son peu de réalité, lui qui y considère l’Orient comme un « objet varié et complexe » [14], lui qui pose la question du pouvoir imaginaire de l’Orient sur celui qui l’étudie, et lui qui constate son ‘étendue’. Mais ces questions n’ont pas eu de réponse dans son étude. Si son propos n’en est pas atténué, c’est en raison d’un choix qu’il explique et revendique :
« Pour des raisons que je vais expliquer à présent, j’ai limité cet ensemble de questions, déjà limité (mais encore démesurément vaste), à la perception qu’ont eue les Anglais, les Français et les Américains qui ont vécu dans le monde arabe et le monde islamique, lesquels ont, à eux deux, représenté l’Orient pendant presque un millénaire. Cela a éliminé d’emblée, semble-t-il, une grande partie de l’Orient - l’Inde, le Japon, la Chine, et d’autres parties de l’Extrême-Orient - non parce que ces régions ne sont pas importantes (elles le sont, évidemment), mais parce qu’on peut étudier la perception européenne du Proche-Orient ou de l’islam indépendamment de sa perception de l’Extrême-Orient. » [15]
Un Orient restricto sensu
La pierre d’achoppement de l’étude de Said affleure précisément ici. Il n’a pas tort d’affirmer que la représentation européenne de l’Orient arabo-musulman peut être étudiée indépendamment de celle de l’Extrême-Orient - sauf à laisser dans l’ombre de quoi comprendre ce qu’est l’Orient.
En effet, la labilité et la ‘complexité’ de l’Orient tiennent à ce qu’il n’est jamais défini. Il est entendu, de façon tacite, que l’on sait de quoi l’on parle lorsqu’on évoque l’Orient. Pourtant, le flou le plus propice aux approximations semble de mise, à tel point que la fragmentation de son ‘domaine’ paraît être le seul remède à l’imprécision. On parlera des Orients maghrébin, levantin, proche, moyen et extrême, de l’Orient de l’Europe ; on étudiera l’Orient des voyageurs du XVIe siècle, celui des Romantiques, celui des beat ; on analysera l’Orient de Voltaire, de Byron, de Flaubert, de Hesse, de Kerouac, etc. Toutes ces études passionnantes sont indispensables, mais elles entérinent un Orient insaisissable qui échapperait à toute vue d’ensemble. L’approche postcoloniale d’Edward Said est une de celles qui prennent le plus de recul.
Néanmoins, malgré toutes les qualités de son travail, Said en revient sans cesse à l’aspect colonial et impérialiste : « l’orientalisme est fondamentalement une doctrine politique imposée à l’Orient parce que celui-ci était plus faible que l’Occident, qui supprimait la différence de l’Orient en la fondant dans sa faiblesse. » [16] Cette vérité, à force d’être répétée [17], prend le pas sur toute autre. Said déconstruit fort bien cet « ensemble de contraintes et de limites de la pensée » [18] qu’est l’orientalisme à ses yeux, mais la restriction de son champ d’étude à l’aire arabo-musulmane l’amène à opposer « ce qui est familier (l’Europe, l’Occident, « nous ») et ce qui est étranger (l’Orient, « eux ») » [19] - du point de vue imagologique, il reste dans l’alter. A plusieurs reprises cependant, son analyse aurait pu le sortir de l’impasse coloniale qui ne saurait rendre compte de la représentation de l’Orient dans toute son extension historique et géographique puisque la Chine et encore moins le Japon ne cadrent avec la « clef » coloniale avancée par Said. Historiquement, Said remonte jusqu’aux Perses d’Eschyle, montrant par là qu’il ne fait pas de différence entre « Orient » (le mot n’existait pas encore) et « Asie » ; géographiquement, nous l’avons constaté, il privilégie « le monde arabe et le monde islamique, lesquels ont, à eux deux, représenté l’Orient pendant presque un millénaire » [20] (alors que l’Orient a une histoire deux fois plus ancienne !), sans égards pour le reste du continent eurasiatique (la Russie et la Chine par exemple) où se joue l’essentiel.
Ainsi met-il en garde contre les conséquences du comparatisme qui est devenu, chez Renan et Gobineau, « synonyme de l’inégalité ontologique apparente entre l’Occident et l’Orient » [21]. De même a-t-il cette remarquable intuition :
« [...] ayant une fois porté son choix sur l’Orient comme le lieu propre à incarner l’infini sous une forme finie, l’Europe ne pouvait cesser de le faire : l’Orient et l’Oriental, l’Arabe, le musulman, l’Indien, le Chinois, que sais-je encore, sont devenus des pseudo-incarnations répétitives d’un grand original (le Christ, l’Europe, l’Occident) qu’ils étaient supposés avoir imité. Seule la source de ces idées occidentales plutôt narcissiques a changé avec le temps, non leur caractère. » [22]
Être ou ne pas être ’postcolonial’ ?
La cage méthodologique et conceptuelle induite par les choix de Said joue pleinement son rôle : il ne lui est pas possible de sortir d’une représentation réflexive de l’Orient (imitation, narcissisme) par rapport à l’Occident, même en étant aussi proche de la nature métaphysique de la représentation occidentale de l’Orient qu’il l’est en affirmant que l’Orient est le lieu propre à incarner l’infini sous une forme finie ! Pour cela, il aurait fallu, à la façon du perspectivisme, prendre davantage de distance et sortir du pré carré où joutent les deux adversaires.
La clef de la représentation de l’Orient est cependant à portée de main lorsque, à propos du langage, Said cite Nietzsche selon qui « les vérités sont des illusions dont on a oublié qu’elles le sont » [23]. La solution n’est donc pas de réaffirmer une définition politique de l’Orient [24] mais de suivre l’auteur de Généalogie de la morale. Ainsi l’Orient est-il une illusion créée par l’Occident non à des fins politiques mais métaphysiques, non à des fins réalistes mais idéalistes, quelles qu’en soient les conséquences pratiques par la suite.
Les choix opérés par Edward Said ne lui permettaient pas de le mettre en évidence, pour plusieurs raisons qui sont liées : l’Orient arabo-musulman a les mêmes présupposés philosophico-religieux que l’Occident : l’idéalisme platonicien, l’aristotélicisme, le monothéisme judéo-chrétien. De ce fait, la comparaison entre l’Orient et l’Occident pouvait difficilement faire apparaître un élément discriminant autre que l’islam qui ne suffit pas pour comprendre le rôle de l’Inde, de la Russie, de la Chine et du Japon dans l’image de l’Orient. L’autre raison tient à ce que la différence entre « Orient » et « Asie » n’a pas été soulevée, l’un et l’autre étant très vaguement synonymes [25]. Pour saisir la différence entre « Asie » et « Orient », il faut non seulement s’extraire du discours sur l’Orient mais aussi de celui sur l’Asie (déjà à l’œuvre dans Les Perses). En d’autres termes, il faut chercher au plus près de l’invention de l’Asie et retracer la généalogie de l’Orient.
Quant au monde arabo-musulman, dont Said écrit avec raison qu’il a éclipsé le monde romain par sa splendeur, il n’est pas cet Autre irréductible (Alius) à l’Occident, mais seulement son alter ego. En effet, il est un héritier direct du platonisme et de l’aritotélicisme grecs jusque dans l’utilisation du mythe de l’androgyne et l’opposition, chez Avicenne et Sohrawardî, de l’Orient et de l’Occident. Ce sera d’ailleurs par Sohrawardî que l’androgynie spirituelle fera son retour en Europe au Moyen-Age : l’opposition entre l’Orient et l’Occident qu’on retrouve dans l’alchimie vient de lui. Si bien qu’il n’est pas possible de saisir ce qu’est l’Orient à partir de l’Orient proche et moyen. Non seulement il faut prendre en compte l’Asie, mais il convient aussi de changer de méthode.
Le perspectivisme permet d’éviter de s’enferrer dans les difficultés rencontrées par les études postcoloniales, qui se focalisent sur les rapports entre l’hégémonie d’une puissance coloniale et les phénomènes d’assimilation ou de résistance de l’élément colonisé. L’ethnocentrisme littéraire et esthétique occidental serait ipso facto constesté, voire déconstruit et l’objet « Orient » censé apparaître dans sa pureté. C’est ce que Said a fait. Sauf que dans le cas qui nous intéresse ici, celui de l’Orient, le colonisateur et le colonisé baignent dans la même culture. La seule façon de déjouer le processus à l’œuvre dans la construction de l’Orient par l’Occident est de sortir de leur commun système de références, de prendre du recul. Comme la transcendance nous est inaccessible, il nous reste deux possibilités : soit considérer le jeu Orient /Occident depuis une autre culture, soit trouver dans la culture qui a créé ce jeu une autre tradition, parallèle ou non, concurrente ou pas. La première solution consiste à pénétrer une pensée très différente de la pensée occidentale platonicienne, aristotélicienne et monothéiste pour analyser de l’extérieur la création de l’Orient par l’Occident. Admettons que la pensée chinoise soit celle qui convienne le mieux, il faut pour cela être au moins sinisant, sinon sinologue. C’est la méthode employée avec éclat par François Jullien et qui offre des perspectives si saisissantes sur notre culture. Le perspectivisme que nous proposons n’exclut pas d’emprunter ses analyses et ses constats à cette première méthode, mais il reste dans l’orbe de la culture occidentale.
Après une longue et patiente analyse de la représentation de l’Orient par l’Occident [26], nous avons constaté qu’elle obéissait à une structure binaire similaire à celle de la pensée idéaliste. Il nous a donc fallu sortir de cette tradition idéaliste pour expliquer d’où venait l’Orient et à quoi il répondait - en considérant que toute réprésentation répond à un désir. La démarche perspectiviste dénonce ainsi toute prétention à la « vérité » d’une entreprise qui n’aurait pas d’abord mis au jour le désir autour duquel elle organise son propos. L’épreuve consiste à ce qu’elle voie ce qui se passe en ses propres coulisses : dès lors, soit elle en récuse le spectacle, soit elle l’entérine avec une foi renouvelée. C’est ce que nous avons fait en mettant en évidence le moment pré-platonicien puis platonicien de la genèse de l’Asie puis de l’Orient. Pour ce qui nous concerne, l’herméneutique de Nietzsche nous a semblé la plus appropriée pour montrer à quoi jouait l’Occident lorsqu’il parlait de l’Orient. S’agissant d’un autre objet à analyser, un belvédère différent pourrait s’avérer crucial ; néanmoins, le perspectivisme reste mu par la nécessité de trouver le désir qui organise la représentation : à cet égard, l’impulsion nietzschéenne reste bel et bien décisive.
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Pour conclure, nous voudrions insister sur le fait que le perspectivisme n’est pas que dénonciation, sans quoi il s’apparenterait de façon regrettable au relativisme. Le premier mouvement fait certes subir de rudes contraintes à l’objet qu’il appréhende, mais c’est pour le confronter à sa propre vérité afin de lui permettre un geste affirmatif. Si penser et construire des sphères sont bien la même chose, comme l’affirme Peter Sloterdijk, alors le comparatisme perspectiviste oppose à un « devenir-monde de la littérature » un monde où une pluralité de « sphères littéraires » assument leur différence. Plutôt que de dénoncer, comme le fait la critique postcoloniale, l’écart entre le Centre et la Périphérie et d’envisager l’expansion coloniale comme élément de référence, il faut, à l’instar d’un Esprit des lois, tenter d’énoncer un Désir des formes qui rendrait manifeste les paramètres biologiques, climatiques, philosophiques, historiques, énonciatifs, géographiques et sociologiques de la forme littéraire.