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Hymnes à la nuit de Novalis 

samedi 10 septembre 2022, par Serge Meitinger (Date de rédaction antérieure : 25 décembre 2007).

I

Quel vivant, quel être sensible, n’aime avant tous les prodiges de l’espace s’élargissant autour de lui, la joie universelle de la Lumière - avec ses couleurs, ses rayons et ses vagues ; sa douce omniprésence dans le jour qui éveille ? Âme la plus intime de la vie, elle est le souffle du monde gigantesque des astres sans repos, et il nage en dansant dans son flot bleu - elle est le souffle de la pierre étincelante, éternellement immobile, de la plante songeuse, suçant la sève et de l’animal sauvage, ardent, aux formes variées - mais, plus que d’eux tous, de l’Étranger superbe au regard pénétrant, à la démarche ailée et aux lèvres tendrement closes, riches de musique. Comme une reine de la nature terrestre, elle appelle chaque force à d’innombrables métamorphoses, noue et dénoue des alliances infinies, enveloppe de sa céleste image chaque créature terrestre. - Sa présence seule révèle la prodigieuse splendeur des royaumes de ce monde.

Vers le bas je me tourne, vers la sainte, l’ineffable, la mystérieuse Nuit. Le monde est loin - sombré en un profond tombeau - déserte et solitaire est sa place. Dans les fibres de mon cœur souffle une profonde nostalgie. Je veux tomber en gouttes de rosée et me mêler à la cendre. - Lointains du souvenir, souhaits de la jeunesse, rêves de l’enfance, courtes joies et vains espoirs de toute une longue vie viennent en vêtements gris, comme des brouillards du soir après le coucher du soleil. La Lumière a planté ailleurs les pavillons de la joie. Ne doit-elle jamais revenir vers ses enfants qui l’attendent avec la foi de l’innocence ?

Que jaillit-il soudain de si prémonitoire sous mon cœur et qui absorbe le souffle douceâtre de la nostalgie ? As-tu, toi aussi, un faible pour nous, sombre Nuit ? Que portes-tu sous ton manteau qui, avec une invisible force, me va à l’âme ? Un baume précieux goutte de ta main, du bouquet de pavots. Tu soulèves dans les airs les ailes alourdies du cœur. Obscurément, ineffablement nous nous sentons envahis par l’émoi - je vois, dans un joyeux effroi, un visage grave, qui, doux et recueilli, se penche vers moi, et sous des boucles infiniment emmêlées montre la jeunesse chérie de la Mère. Que la Lumière maintenant me semble pauvre et puérile - heureux et béni l’adieu du jour ! - Ainsi c’est seulement parce que la Nuit détourne de toi les fidèles, que tu as semé dans les vastitudes de l’espace les globes lumineux, pour proclamer ta toute-puissance - ton retour - aux heures de ton éloignement. Plus célestes que ces étoiles clignotantes, nous semblent les yeux infinis que la Nuit a ouverts en nous. Ils voient plus loin que les plus pâles d’entre ces innombrables armées stellaires - sans avoir besoin de la Lumière ils sondent les profondeurs d’un cœur aimant - ce qui remplit d’une indicible extase un espace plus haut encore. Louange à la reine de l’univers, à la haute révélatrice de mondes sacrés, à la protectrice du céleste amour - elle t’envoie vers moi - tendre Bien-Aimée - aimable soleil de la Nuit, - maintenant je suis éveillé - car je suis tien et mien - tu m’as révélé que la Nuit est la vie - tu m’as fait homme - consume mon corps avec le feu de l’esprit, afin que, devenu aérien, je me mêle à toi de plus intime façon et qu’ainsi dure éternellement la Nuit Nuptiale.

II

Le matin doit-il toujours revenir ? La puissance du Terrestre ne prend-elle jamais fin ? Une malheureuse turbulence dévore l’intuition céleste de la Nuit. L’intime sacrifice de l’Amour ne brûlera-t-il jamais éternellement ? Son temps a été mesuré, à la Lumière ; mais sans espace ni temps est le règne de la Nuit. - Éternelle est la durée du Sommeil. Sommeil sacré - ne comble pas trop rarement ceux qui sont voués à la Nuit en ce terrestre labeur quotidien. Seuls les fous te méconnaissent et ne savent d’aucun sommeil que l’ombre, que, compatissant, tu jettes sur nous dans ce crépuscule de la vraie Nuit. Ils ne te sentent pas dans le flot doré des grappes, - dans l’huile merveilleuse de l’amandier et le suc brun du pavot. Ils ne savent pas que c’est toi qui voltiges près de la gorge de la tendre vierge et fais de ce sein le paradis - ils ne pressentent pas qu’issu des anciennes légendes tu viens vers nous en ouvrant le ciel et que tu portes la clef pour les demeures des bienheureux, muet messager de mystères infinis.

III

Un jour que je laissais couler des larmes amères, que mon espérance, décomposée, s’anéantissait en douleur et que je me tenais solitaire près du tertre aride qui dérobait en son étroite et sombre dimension la Figure de ma vie - solitaire comme nul solitaire encore ne le fut, étreint par une angoisse indicible - sans force, n’étant plus qu’une pensée de détresse. - Comme je cherchais une aide des yeux, que je ne pouvais ni avancer ni reculer, et que je m’agrippais avec un regret infini à la vie fuyante qui s’éteignait : - alors m’arriva des lointains bleutés - des hauteurs de mon bonheur passé, un frisson crépusculaire - et d’un seul coup se rompit le lien, le cordon natal - la chaîne de la Lumière. Disparut la splendeur terrestre et mon deuil avec elle - la nostalgie s’épancha en un monde nouveau, insondable - toi, ferveur de la Nuit, sommeil céleste, tu vins sur moi - le paysage s’éleva doucement dans les airs ; au-dessus du paysage planait mon esprit libéré, renaissant. Le tertre devint nuage de poussière - à travers le nuage je vis les traits radieux de la Bien-Aimée. Dans ses yeux reposait l’Éternité - je lui pris les mains et nos larmes devinrent un lien étincelant, indestructible. Des millénaires disparurent dans les lointains comme des orages. À son cou, je pleurai sur la vie nouvelle des larmes enthousiastes. - Ce fut le premier, l’unique rêve - et c’est alors que je vouai une foi éternelle, immuable au ciel de la Nuit et à sa lumière, la Bien-Aimée.

IV

Maintenant je sais quand sera le dernier matin - quand la Lumière ne chasse plus la Nuit et l’Amour - quand le sommeil ne sera plus qu’un rêve d’une éternelle et insondable Unité. Je sens en moi une céleste langueur. - Long et épuisant fut pour moi le pèlerinage au saint Sépulcre, accablante la croix. L’eau cristalline, insaisissable aux sens vulgaires, qui jaillit au sein obscur du tertre au pied duquel se brise le flux terrestre - qui l’a goûtée, qui s’est tenu haut sur les crêtes-frontières du monde et a vu au-delà le pays nouveau, séjour de la Nuit - en vérité il ne retourne pas au tourbillon du monde, au pays où habite la Lumière dans un perpétuel tourment.

Là-haut il dresse ses tentes, tentes de paix ; nostalgique et aimant, il regarde au-delà, jusqu’à ce que la mieux venue d’entre toutes les heures le tire en bas vers le bassin de la source - le Terrestre y nage en surface, ramené par les tempêtes, mais ce qui a été sanctifié au contact de l’Amour, s’écoule, fluidifié, par des voies secrètes vers le règne de l’au-delà où il se mêle, comme des parfums, au sommeil des Bien-Aimés. Tu éveilles encore, fraîche Lumière, l’homme de fatigue pour le travail - tu insinues en moi la joie de la vie - mais tu ne m’écartes pas de la pierre moussue du souvenir. Je veux bien mouvoir mes mains laborieuses, chercher de tous côtés la place que tu m’assignes - exalter la toute splendeur de ton éclat - poursuivre infatigablement le beau principe unificateur de ton œuvre d’art - je veux bien examiner la marche pleine de sens de ta puissante et étincelante horlogerie - scruter la régularité des forces et les lois du jeu prodigieux des espaces innombrables et de leurs temporalités. Mais mon cœur en son intimité reste fidèle à la Nuit et à l’Amour créateur, son enfant. Peux-tu me montrer un cœur éternellement fidèle ? Ton soleil a-t-il des yeux pleins d’amitié qui me reconnaissent ? Tes étoiles prennent-elles ma main suppliante ? Me rendent-elles mon affectueuse pression et ma parole caressante ? As-tu embelli la Nuit de couleurs et de vaporeux contours - ou est-ce Elle qui donna un sens plus élevé, plus aimable à ta beauté ? Quelle extase, quelle volupté offre ta vie, qui compense les délices de la mort ? Tout ce qui nous exalte ne porte-t-il pas les couleurs de la Nuit ? Elle te porte maternellement et tu lui dois toute ta majesté. Tu disparaîtrais en toi-même - tu te disperserais dans l’espace infini si elle ne te tenait pas, ne t’enchaînait pas afin que tu t’échauffes et que tu engendres le monde par ton feu. En vérité j’étais avant que tu ne fusses ! - la Mère m’envoya avec mes frères et sœurs pour habiter ton monde, pour le sanctifier par l’Amour, afin qu’il devînt un mémorial voué à une éternelle contemplation - pour le semer d’inaltérables fleurs. Elles n’ont pas encore mûri ces divines pensées. - Il y a encore peu de traces de notre révélation. - Qu’un jour ton horlogerie marque la fin du temps, et alors tu deviens pareille à nous, et pleine de regret et de douleur tu t’éteins et meurs. En moi je sens s’épuiser ta turbulence - céleste liberté, retour bienheureux. À travers mes âpres souffrances j’éprouve la distance qui te sépare de notre patrie, et ta résistance au splendide ciel ancien. Ta fureur et ta rage ne servent à rien. Insensible au feu se dresse la croix, victorieux étendard de notre espèce.

Je vais vers l’au-delà,

Et toute peine

Sera un jour un aiguillon

De l’extase.

Encore quelques temps

Et une fois délivré,

Je gis, enivré

Dans le sein de l’Amour.

La vie infinie

Coule puissamment en moi.

Je regarde d’en haut

Vers toi en bas.

Près de ce tertre

S’éteint ton éclat -

Une ombre apporte

La fraîche couronne

O ! aspire-moi, Bien-Aimée,

Avec force vers toi,

Que je m’endorme

Et puisse aimer.

Je sens de la mort

Le flux rajeunissant.

Mon sang se change

En baume et en éther.

Je vis des jours

Pleins de foi et de courage

Et je meurs pendant les nuits

Dans un embrasement sacré.

V

Sur les races humaines au loin éparpillées, régnait, il y a longtemps, un Destin de fer avec une muette vigueur. Un noir et lourd bandeau enserrait leur âme angoissée. - Sans bornes était la terre - séjour des Dieux et leur patrie. Depuis des éternités se dressait leur mystérieuse demeure. Au-delà des rouges montagnes du matin, dans le sein sacré de la mer habitait le Soleil, la Lumière vivante embrasant toutes choses. Un vieux géant portait le monde bienheureux. Entravés sous les monts gisaient les premiers fils de la Terre-Mère. Impuissants dans leur fureur destructrice contre la nouvelle et splendide race des Dieux et leurs parents, les heureux humains. Les profondeurs vert-sombre de la mer étaient le sein d’une déesse. Dans les grottes cristallines s’ébattait un peuple folâtre. Fleuves, arbres, fleurs et animaux avaient un sens humain. Le vin offert par la plénitude même de la jeunesse paraissait plus doux - il y avait un Dieu dans les grappes - une Déesse aimante et maternelle, croissait dans les fortes gerbes d’or - l’ivresse sacrée de l’Amour était un doux culte rendu à la plus belle des Déesses - une éternelle fête bariolée des enfants du ciel et des habitants de la terre, tel bruissait le cours de la vie, comme un printemps s’étendant sur des siècles. - Toutes les races révéraient filialement la douce flamme aux mille formes comme ce qu’il y avait de plus haut dans le monde. Seulement il y avait une pensée, une épouvantable image de cauchemar,

Qui effrayante abordait les joyeuses tablées

Et étreignait le cœur d’une terreur sauvage.

A cela les Dieux mêmes ne connaissaient pas de remède

Qui pût rassurer les poitrines oppressées.

Impénétrables étaient les voies de ce monstre,

Aucune prière, aucune offrande n’en apaisait la rage.

C’était la Mort qui interrompait cette orgie

Par l’angoisse, la douleur et les sanglots.

Désormais privé pour l’éternité de tout

Ce qu’ici-bas le cœur goûte de douce volupté,

Séparé des Bien-Aimés que sur cette terre

Un vain regret, un long deuil tourmentent -

Le rêve semblait bien pâle, sommaire simplement,

Au mort qui ne lui livrait qu’un impuissant combat.

Les vagues de la jouissance s’étaient brisées

Sur le roc de l’infinie frustration.

Avec un esprit hardi et un noble embrasement des sens

L’homme s’embellissait l’affreux fantôme :

Un doux jeune homme souffle la lumière et repose,

Douce vient la fin comme un soupir de harpe.

Le souvenir se fond en un fleuve ombreux et frais ;

Ainsi le chant incantait-il la triste nécessité.

Mais l’éternelle Nuit demeurait indéchiffrable,

Signe austère d’une étrangère puissance.

Le monde ancien touchait à sa fin. Le paradis de la jeune espèce humaine se flétrissait - les hommes sortis de l’enfance et encore en croissance, cherchaient à atteindre plus haut l’espace plus libre et désert. Les Dieux disparurent avec leur cortège - Solitaire et sans vie demeura la Nature. Le Nombre aride et la stricte Mesure la lièrent avec une chaîne de fer. Comme en poussière et en courants d’air, se dissémina en mots obscurs l’inestimable fleur de la vie. Disparues, la Foi évocatrice et l’Alliée du ciel qui tout transforme et tout marie, l’Imagination. Avec hostilité un glacial vent du Nord souffla sur la campagne pétrifiée, et la merveilleuse patrie pétrifiée se fondit dans l’éther. Les lointains célestes se remplirent de mondes étincelants. L’âme du Monde se retira avec ses forces dans un sanctuaire plus obscur, dans un espace plus élevé du cœur - afin d’y régner jusqu’au commencement d’un jour nouveau dans la splendeur du Monde. La Lumière ne fut plus ni séjour des Dieux, ni signe céleste - ils jetèrent sur eux le voile de la Nuit. La Nuit devint le sein puissant des révélations - en lui les Dieux firent retour - ils s’y endormirent, pour se répandre un jour sous de nouvelles et plus belles formes dans le monde transfiguré. Dans un peuple qui avait été plus que tous méprisé, mûr trop tôt et fièrement étranger à la bienheureuse innocence de la jeunesse, apparut, sous un visage encore jamais vu, le Monde Nouveau. - Sous le poétique abri de l’indigence - un fils de la première Vierge-Mère - fruit infini d’une mystérieuse étreinte. La sagacité fleurie et prophétique de l’Orient reconnut la première le commencement des Temps Nouveaux. - Jusqu’à l’humble berceau du Roi, une étoile leur montra le chemin. Avec les noms mêmes du lointain avenir, ils lui rendirent hommage par l’éclat et le parfum, les plus hauts prodiges de la Nature. Solitaire s’épanouit le cœur céleste comme une corolle de l’Amour tout-puissant - tournée vers le haut visage du Père et reposant sur le sein plein de pressentiment de la Mère aimablement grave. Avec une ferveur divinisante l’œil prophétique de l’enfant en fleur voyait les jours de l’avenir et ses préférés, les rejetons de sa souche divine, insoucieux des jours de son destin terrestre. Bientôt se rassemblèrent les cœurs les plus candides, miraculeusement saisis d’un intime Amour, autour de lui. Comme naissant des fleurs, une vie nouvelle, étrangère, germa dans ses parages. D’inépuisables paroles et la plus heureuse des nouvelles tombaient de ses aimables lèvres comme les étincelles d’un esprit divin. Venu d’une côte lointaine, né sous le ciel lumineux de l’Hellade, un Chanteur arriva en Palestine et se voua de tout son cœur à l’Enfant du miracle :

Tu es l’Enfant qui depuis longtemps se tient

Sur nos tombeaux dans un profond recueillement,

Un signe consolateur dans la ténèbre -

Heureux commencement d’une plus haute humanité.

Ce qui nous plongeait dans une profonde tristesse,

Nous attire maintenant vers l’au-delà avec une douce aspiration,

Dans la Mort se révèle la vie éternelle,

Tu es la Mort et déjà tu nous guéris.

Le Chanteur s’en fut plein de joie vers l’Hindoustan - le cœur ivre de doux amour ; et il l’épancha en chants de feu sous ce ciel clément, si bien que des milliers de cœurs vinrent à lui et que l’heureuse nouvelle se mit à croître en milliers de surgeons. Peu après l’adieu du Chanteur, la précieuse Vie fut victime de la profonde bassesse humaine. - Il mourut en pleine jeunesse, arraché au monde aimé, à sa mère en pleurs et à ses amis ébranlés. L’aimable bouche vida le sombre calice des souffrances indicibles. - Dans une épouvantable angoisse approchait l’heure même de la naissance du Monde Nouveau. Âprement il s’affrontait à la terreur de l’ancienne Mort. - Écrasante était sur lui la pesée du Monde Ancien. Une dernière fois il regarda avec tendresse vers la Mère - alors vint la main libératrice de l’Amour éternel - et il s’endormit. Quelques jours seulement un voile épais plana sur la mer grondante, sur la terre tremblant - les Bien-Aimés pleuraient d’innombrables larmes - le sceau du mystère fut brisé - des esprits célestes levèrent la pierre très ancienne du sombre sépulcre. Des Anges étaient assis près de l’endormi - formes fragiles issues de ses rêves. - Éveillé, dans sa neuve splendeur divine, il gravit les hauteurs du Monde ressuscité - ensevelit de sa propre main le cadavre de l’Ancien dans la tombe délaissée et replaça de sa main toute-puissante la pierre qu’aucune puissance ne soulève.

Tes Aimés pleurent encore sur ta tombe des larmes de joie, des larmes d’émotion et d’infinie reconnaissance - toujours ils te voient ressusciter à nouveau avec un joyeux effroi, et eux avec toi ; ils te voient pleurer avec une douce ferveur sur le sein bienheureux de la Mère, te promener gravement avec tes amis, dire des paroles comme cueillies à l’Arbre de la Vie ; ils te voient te précipiter avec une pleine ardeur dans les bras du Père, conduisant la jeune humanité et apportant la coupe intarissable de l’avenir doré. La Mère se hâta bientôt de te suivre - dans un céleste triomphe -. Elle fut la première près de toi dans la nouvelle patrie. De longs temps se sont enfuis depuis, et dans un éclat toujours plus grand se meut ta nouvelle création - et des milliers d’êtres délivrés des douleurs et des tortures, pleins de foi, de désir et de fidélité, t’ont - ils règnent avec toi et la Vierge céleste sur le royaume d’Amour - ils servent le temple de la céleste Mort et sont à toi pour l’éternité.

Levée a été la pierre -

l’humanité ressuscitée -

Nous te restons tous fidèles

Et ne sentons plus de chaînes.

Le plus amer tourment fuit

Devant ta coupe d’or,

Quand terre et vie s’estompent

Dans l’ultime Cène.

Aux Noces convie la Mort -

Les lampes brûlent avec clarté -

Les vierges sont à leur place -

L’huile ne manque pas -

Que résonne donc le lointain

Déjà de ton cortège,

Et que les étoiles nous interpellent

Avec langue et voix humaines !

Vers toi, Marie, se lèvent

Déjà des milliers de cœurs.

Dans cette vie ombreuse

Ils n’ont cherché que toi.

Ils espèrent la guérison

Avec une joie prophétique

Si tu les presses, divine créature,

Contre ton sein fidèle.

Tant d’hommes, se consumant,

Dévorés d’âpres tourments,

Et fuyant ce monde

Se sont tournés vers toi,

Qui nous semblait si secourable

Parmi tant de maux et de peines -

Nous venons maintenant avec eux

Pour être toujours près de toi.

À présent il ne pleure plus de douleur

Sur un tombeau, celui qui croit avec Amour.

Le doux avoir de l’Amour

Ne lui sera plus enlevé -

Pour apaiser sa nostalgie,

La Nuit le remplit d’extase -

Les fidèles Enfants du Ciel

Veillent sur son cœur.

Confiance, la vie marche

Vers l’éternelle Vie ;

Elargi par un feu intérieur

S’illumine notre esprit.

Le monde des astres va se fondre

En une liqueur de vie, dorée,

Nous la boirons

Et serons des astres lumineux.

L’Amour s’est libéré,

Plus de séparation désormais.

Elle moutonne la pleine Vie

Comme une mer infinie.

Une seule Nuit de délice

Un seul poème éternel

Et tout notre soleil

Est le visage de Dieu.

VI

ASPIRATION A LA MORT

Vers le bas au sein de la terre,

Loin des royaumes de la Lumière,

La rage des douleurs et leur violence

Sont signe d’heureux départ.

Bien vite sur l’étroite nacelle

Nous parvenons aux rivages des cieux.

Louons la Nuit éternelle,

Louons l’éternel Sommeil.

Le jour nous a épuisés de chaleur

Et flétris la longueur du tourment.

Le plaisir du voyage nous a quittés,

Nous voulons rentrer chez le Père, à la maison.

Que nous servent en ce monde

Notre amour et notre foi !

L’Ancien est laissé pour compte,

Que nous sert désormais le Nouveau !

O ! il reste seul et dans un trouble profond

Celui qui aime le passé avec chaleur et foi !

Passé où les sens lumineux

Se consumaient en hautes flammes,

Les hommes reconnaissaient encore

La main du Père et son visage.

Et parmi ces hauts esprits, avec simplicité,

Maint encore ressemblait à son modèle.

Passé où encore dans leur fleur

Les races antiques resplendissaient,

Et pour le royaume des cieux, des enfants

Recherchaient la torture et la mort.

Et quand l’appelaient aussi le plaisir et la vie,

Maint cœur pourtant se brisait d’amour.

Passé où dans le feu de la jeunesse

Dieu lui-même se révélait,

Et vouait sa douce vie

Par Amour, à une fin précoce.

Et il n’écarta de lui ni angoisse ni douleur

Afin de nous demeurer cher.

Avec une angoissante nostalgie nous voyons

Le passé enveloppé de sombre Nuit,

Dans ce temps éphémère jamais

La soif brûlante n’est apaisée.

Nous devons revenir au pays

Pour revoir ce temps sacré.

Qu’est-ce qui retarde encore notre retour ?

Les Mieux-Aimés reposent depuis longtemps déjà.

Leur tombe borne le cours de notre vie :

Nous n’avons plus rien à chercher -

Le cœur en a assez - le Monde est vide.

Infinis et mystérieux

Nous traversent de doux frissons -

Il me semble que des profonds lointains,

Un écho réponde à notre deuil.

Les Aimés tendent aussi avec force vers nous

Et nous ont envoyé ce souffle de nostalgie.

Vers le bas, vers la douce Fiancée,

Vers Jésus, le Bien-Aimé -

Confiance, le crépuscule du soir nimbe

Ceux qui aiment avec douleur.

Un rêve brise nos liens

Et nous plonge au sein du Père.

P.-S.

Traduit par Serge Meitinger d’après la version parue dans l’Athenaeum(1800).

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