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I will show you dust in a handful of fear 

Postface à Carlo Bordini, Poussière, Alidades, Evian, 2007.

lundi 30 août 2010, par Olivier Favier

« Ce n’est pourtant pas avril le plus cruel des mois, c’est mai. »

Aldo Zargani

Toute poésie part d’une année zéro, la sienne,
porteuse aussi d’une longue histoire, de l’Histoire
comme destruction. Voilà pourquoi il y a peu de poètes,
et encore moins de poésie.

Carlo Bordini est le seul poète que je connaisse. Tout
ce qu’il touche parle de lui. Pour évoquer en 1992 le
photographe Luigi Ghirri, il fait le choix de ces mots :
simplicité, lucidité, caractère classique. Les lisant, j’ai compris que
Carlo Bordini était un poète. Seul un poète peut faire,
sans trahir, un portrait qui soit aussi un autoportrait.
En ce sens, la poésie pourrait être une forme épanouie
d’amour.

Carlo Bordini a une idée du monde, et s’il aime à dire
qu’il ne sait rien, qu’il n’a pas de culture, c’est qu’il rêve
toujours d’une possible totalité. Ce qui revient dans
chacun de ses poèmes, c’est l’idée d’un monde simple, qui
se créé seul, et qui n’a aucune, aucune possibilité d’être différent
.
Comme le A noir de la matière noire, A majuscule aux
deux tiers du poème – section dorée de l’alchimiste.

Dans Poussière, Carlo Bordini évoque, en une étrange
digression, le mécanisme de la fusion à froid, la possible
création d’énergie d’un atome sans dégagement
radioactif. Dans une seconde version, le A noir fait place
à ces mots, en majuscules eux aussi : I DOTI
DELL’ALCHIMISTA (« Qualités de l’alchimiste »).

Toute poésie se souvient de ce qu’elle n’a jamais su.
Libre à nous de faire des liens, de voir, comme je le fais
ici, une tension dialectique inconsciente entre Poussière
et The waste land.

T. S. Eliot écrit en 1922 :

« I will show you fear in a handful of dust. (I-30)
By the waters of Leman I sat down and wept... (III-182)
These fragments I have shored against my ruins » (V-430)

 [1]

Soixante-dix ans plus tard, un homme commence à
percevoir, dans le Tessin, ce qui s’est assaini en lui.
Redevenant poussière, c’est de ses ruines qu’il étaye
ces fragments. La poésie n’est plus là pour lui porter
secours.

Son poème ressemble à un dialogue ancestral
– étrangement inorganique – entre macrocosme et
microcosme. La civilisation des machines nous renvoie
à une pensée archaïque, l’au-delà de l’Histoire fusionne
avec son en-deçà.

Toute poésie est naissance et renaissance.
Dans ce dialogue, le paysage est fait de fleuves, de nappes, d’écoulements. L’homme renaît par tarissements successifs. La poussière leur est commune, la vue lavée de pluie des vieux peintres italiens.

Toute lecture est un rêve.

Editions Alidades.

Notes

[1« Je te montrerai la peur dans une poignée de poussière » ; « Au
bord du lac Léman je me suis assis et j’ai pleuré... » ; « De ces
fragments j’ai étayé mes ruines. »

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