Sexuellement correct
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Par Marcela Iacub [2]
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Pour un grand nombre de faiseurs d’opinion, même dans l’hypothèse où l’ancien patron du Fonds Monétaire International n’aurait pas commis de crime sexuel dans la suite du Sofitel de New York, il serait coupable de fautes « éthiques ». A leurs yeux, un homme qui aspire à devenir président doit non seulement s’abstenir de violer les femmes mais, de surcroît, avoir un comportement sexuel « exemplaire ». Or, cette idée qui semble si simple, si sensée à première vue, pose d’innombrables problèmes politiques.
D’abord, parce qu’elle signifie que les comportements sexuels doivent être classés en trois catégories : illicites, licites et exemplaires, ce qui contredit la logique de la révolution des mœurs mise en marche à partir des années 1970. En effet, l’ordre sexuel qui en est issu tire sa légitimité du fait que le seul critère déterminant pour qualifier un comportement sexuel est qu’il soit consenti ou non consenti.
Désormais, tous les autres critères pour juger la sexualité qui prenaient en considération les manières d’obtenir du plaisir ainsi que le cadre qui unissait les partenaires étaient devenus désuets et comme d’un autre âge. C’est pourquoi il n’y a plus d’actes tenus comme contre-nature, tous étant aussi dignes que le coït hétérosexuel, l’adultère a été décriminalisé et la qualification de viol appliqué dans le cadre conjugal. Quant à ceux qui aiment se retrouver pour pratiquer une sexualité en public et en groupe, ils peuvent se rendre dans des boîtes échangistes ou des saunas gays sans être menacés par les duretés du code pénal.
Or, affirmer que la sexualité d’un chef d’État doit être non seulement licite mais en plus exemplaire signifie que l’on ne croit pas, que l’on ne croit plus à cet ordre des mœurs et que, de ce fait même, l’on essayera de transposer ce modèle à d’autres personnes. Car, après tout, si l’on demande une conduite sexuelle exemplaire à un chef d’État, pourquoi ne pas la demander aux ministres, aux juges, aux fonctionnaires, aux avocats, aux huissiers, aux journalistes ? Et si la notion de sexualité exemplaire devient un véritable idéal, pourquoi ne pas l’imposer à la société dans son ensemble ?
On me dira que je suis de mauvaise foi car les faiseurs d’opinion ne demandent pas qu’un aspirant chef d’État soit un champion de vertu à l’instar de Robespierre. Ce qu’ils trouvent monstrueux, c’est le fait d’avoir un sex addict comme président de la République. Et ils ajouteraient que ce type de vice serait aussi dangereux que l’alcoolisme, le jeu ou la consommation des drogues. Or, à la différence de ce type d’addictions, la compulsion au sexe n’est pas problématique dans la mesure où l’individu atteint trouve des satisfactions avec des partenaires consentants et se protège du sida avec des préservatifs.
Dans ces conditions, cette addiction n’est pas plus dangereuse que celle que l’on peut avoir pour la lecture par exemple. Certes, il y a ceux qui, pour lire, sont capables de voler des livres, voire de rester chez eux pour terminer un roman au lieu de se rendre sur leur lieu de travail. Mais l’existence de ces cas extrêmes n’est pas une raison pour que l’on dise qu’un chef d’État ne peut pas avoir une telle passion, une telle addiction pour la lecture s’il ne veut pas mettre en danger le destin de son pays.
Le deuxième problème que pose cette idée tient à la place exceptionnelle qu’elle accorde à la sexualité comme lieu de l’exemplarité au regard d’autres comportements. Ainsi, l’on se contente de savoir qu’un chef d’État est honnête et non pas un ardent philanthrope, qu’il ne frappe pas ni ne ruine sa vieille mère. Et si c’est la sexualité seule qui mérite un tel traitement, c’est que l’on ne croit pas véritablement que dans ce domaine on doive se contenter de juger la population en fonction du double et sobre paramètre du licite et de l’illicite.
Enfin, cette idée de l’exemplarité fait naître des interrogations plus profondes qui se rapportent à ce que doit être la nature d’un chef dans un pays démocratique. On oublie que les citoyens de ce type de régime n’ont pas besoin d’être édifiés par le chef de l’État, de le prendre pour modèle de quoi que ce soit. Ils ont besoin de penser, de choisir, de critiquer, de participer, de proposer, de se révolter, de demander aux autorités de rendre des comptes et non pas que le chef d’État devienne une figure éducative pour leur apprendre à être plus vertueux. Comme si, en s’indignant qu’un présidentiable puisse participer à des partouzes et payer des prostituées, ces gens étaient au fond mélancoliques d’un monarque absolu, d’un duce, censé ne jamais se tromper, savoir, voir et comprendre à la place du peuple lui-même.
Or, il me semble que c’est ce type de pulsions politiques — que la poussée des populismes ne cesse de raviver et dont les faiseurs d’opinion se font, sans toujours le savoir, les porte-voix — qui devraient inquiéter la population française davantage que les addictions sexuelles des aspirants chefs d’État. Car si les unes emplissent les chambres de sperme, les autres le salissent de sang.
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Contribution de Marcela Iacub sous le titre original Sexuellement correct.
Extrait intégral de l’édition numérique du journal Libération.fr
du 17 septembre 2011 (rubrique : Société).
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Avec l’aimable autorisation de l’auteure et du journal Libération. ©Libération :
toute reproduction de cet article est soumise à l’autorisation de Libération.
N.B.
Pour éclairer cet essai on peut consulter les deux contributions précédentes de Marcela Iacub sur le même sujet (à propos de DSK) dans le même journal :
– - « Le non-lieu de DSK fait penser à tous ceux qui se trouvent en prison à tort » (Interview par Sylvain Bourmeau, édition du 24 août 2011) ;
– - DSK, le signe d’un changement (article, édition du 19 mai 2011).