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L’entropie du « correct » vue par Marcela Iacub 

« Sexuellement correct » (citation intégrale)

mardi 20 septembre 2011, par Marcela Iacub

 Situation
 Marcela Iacub est une essayiste sulfureuse dont on ne présente plus les exploits publiquement engagés. En outre, son effet de séduction personnel — et médiatique, nous concernant, évidemment contradictoire de l’alignement général — tient autant à sa personnalité indépendante qu’à son pragmatisme exécutif face aux questions qui déplaisent et surtout, à son implacable pertinence théorique dans le domaine critique radical des mœurs, où peu d’intellectuels sinon pas du tout, y compris se revendiquant de la gauche, osent encore prendre le risque de s’aventurer aujourd’hui, laissant le cours de la morale dévorer l’étrangeté du monde. A fortiori s’agissant d’une œuvre philosophique juridictionnelle menée depuis une réflexion aux extrêmes, son action lui vaut des batailles externes contre ses idées, qui perturbent l’ordre du pouvoir restreint (le chef, la nomenklatura — les journalistes) aussi bien qu’étendu (l’opinion, les masses), et justement ceci prouvant que cela trouble l’ordre moral du "correct", parce que c’est de la liberté de penser la critique elle-même qu’il s’agit, la rend absolument nécessaire. [ ... ] [1]
 Nous lui adressons nos remerciements ainsi qu’au journal Libération de nous avoir autorisés.

A. G. C.


Sexuellement correct

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Par Marcela Iacub [2]
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 Pour un grand nombre de faiseurs d’opinion, même dans l’hypothèse où l’ancien patron du Fonds Monétaire International n’aurait pas commis de crime sexuel dans la suite du Sofitel de New York, il serait coupable de fautes « éthiques ». A leurs yeux, un homme qui aspire à devenir président doit non seulement s’abstenir de violer les femmes mais, de surcroît, avoir un comportement sexuel « exemplaire ». Or, cette idée qui semble si simple, si sensée à première vue, pose d’innombrables problèmes politiques.

D’abord, parce qu’elle signifie que les comportements sexuels doivent être classés en trois catégories : illicites, licites et exemplaires, ce qui contredit la logique de la révolution des mœurs mise en marche à partir des années 1970. En effet, l’ordre sexuel qui en est issu tire sa légitimité du fait que le seul critère déterminant pour qualifier un comportement sexuel est qu’il soit consenti ou non consenti.

Désormais, tous les autres critères pour juger la sexualité qui prenaient en considération les manières d’obtenir du plaisir ainsi que le cadre qui unissait les partenaires étaient devenus désuets et comme d’un autre âge. C’est pourquoi il n’y a plus d’actes tenus comme contre-nature, tous étant aussi dignes que le coït hétérosexuel, l’adultère a été décriminalisé et la qualification de viol appliqué dans le cadre conjugal. Quant à ceux qui aiment se retrouver pour pratiquer une sexualité en public et en groupe, ils peuvent se rendre dans des boîtes échangistes ou des saunas gays sans être menacés par les duretés du code pénal.

Or, affirmer que la sexualité d’un chef d’État doit être non seulement licite mais en plus exemplaire signifie que l’on ne croit pas, que l’on ne croit plus à cet ordre des mœurs et que, de ce fait même, l’on essayera de transposer ce modèle à d’autres personnes. Car, après tout, si l’on demande une conduite sexuelle exemplaire à un chef d’État, pourquoi ne pas la demander aux ministres, aux juges, aux fonctionnaires, aux avocats, aux huissiers, aux journalistes ? Et si la notion de sexualité exemplaire devient un véritable idéal, pourquoi ne pas l’imposer à la société dans son ensemble ?

On me dira que je suis de mauvaise foi car les faiseurs d’opinion ne demandent pas qu’un aspirant chef d’État soit un champion de vertu à l’instar de Robespierre. Ce qu’ils trouvent monstrueux, c’est le fait d’avoir un sex addict comme président de la République. Et ils ajouteraient que ce type de vice serait aussi dangereux que l’alcoolisme, le jeu ou la consommation des drogues. Or, à la différence de ce type d’addictions, la compulsion au sexe n’est pas problématique dans la mesure où l’individu atteint trouve des satisfactions avec des partenaires consentants et se protège du sida avec des préservatifs.

Dans ces conditions, cette addiction n’est pas plus dangereuse que celle que l’on peut avoir pour la lecture par exemple. Certes, il y a ceux qui, pour lire, sont capables de voler des livres, voire de rester chez eux pour terminer un roman au lieu de se rendre sur leur lieu de travail. Mais l’existence de ces cas extrêmes n’est pas une raison pour que l’on dise qu’un chef d’État ne peut pas avoir une telle passion, une telle addiction pour la lecture s’il ne veut pas mettre en danger le destin de son pays.

Le deuxième problème que pose cette idée tient à la place exceptionnelle qu’elle accorde à la sexualité comme lieu de l’exemplarité au regard d’autres comportements. Ainsi, l’on se contente de savoir qu’un chef d’État est honnête et non pas un ardent philanthrope, qu’il ne frappe pas ni ne ruine sa vieille mère. Et si c’est la sexualité seule qui mérite un tel traitement, c’est que l’on ne croit pas véritablement que dans ce domaine on doive se contenter de juger la population en fonction du double et sobre paramètre du licite et de l’illicite.

Enfin, cette idée de l’exemplarité fait naître des interrogations plus profondes qui se rapportent à ce que doit être la nature d’un chef dans un pays démocratique. On oublie que les citoyens de ce type de régime n’ont pas besoin d’être édifiés par le chef de l’État, de le prendre pour modèle de quoi que ce soit. Ils ont besoin de penser, de choisir, de critiquer, de participer, de proposer, de se révolter, de demander aux autorités de rendre des comptes et non pas que le chef d’État devienne une figure éducative pour leur apprendre à être plus vertueux. Comme si, en s’indignant qu’un présidentiable puisse participer à des partouzes et payer des prostituées, ces gens étaient au fond mélancoliques d’un monarque absolu, d’un duce, censé ne jamais se tromper, savoir, voir et comprendre à la place du peuple lui-même.

Or, il me semble que c’est ce type de pulsions politiques — que la poussée des populismes ne cesse de raviver et dont les faiseurs d’opinion se font, sans toujours le savoir, les porte-voix — qui devraient inquiéter la population française davantage que les addictions sexuelles des aspirants chefs d’État. Car si les unes emplissent les chambres de sperme, les autres le salissent de sang.

M. I.

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Contribution de Marcela Iacub sous le titre original Sexuellement correct.
Extrait intégral de l’édition numérique du journal Libération.fr
du 17 septembre 2011 (rubrique : Société).

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Avec l’aimable autorisation de l’auteure et du journal Libération. ©Libération :
toute reproduction de cet article est soumise à l’autorisation de Libération.


N.B.

Pour éclairer cet essai on peut consulter les deux contributions précédentes de Marcela Iacub sur le même sujet (à propos de DSK) dans le même journal :

 - « Le non-lieu de DSK fait penser à tous ceux qui se trouvent en prison à tort » (Interview par Sylvain Bourmeau, édition du 24 août 2011) ;
 - DSK, le signe d’un changement (article, édition du 19 mai 2011).

P.-S.

Depuis l’été 2011 on peut suivre la nouvelle chronique hebdomadaire de Marcela Iacub dans l’édition du samedi du journal source de l’article cité.



De la même auteure dans Télérama :

 -Jamais le sexe n’a été autant réprimé, dans un espace aussi érotisé (entretien, à propos de son Tchat du 26 mai 2008 avec les lecteurs, dans le cadre de la rubrique "Idées" : Je trouve extrêmement inquiétant que l’État s’occupe de notre bonheur).

Dans Le journal Le monde (Le monde des religions) :

 - Marcela Iacub : "Plus on est athée, plus on est moraliste" (entretien par Jennifer Schwarz, édition du 1er juillet 2011).



Marcela Iacub, pour mémoire de son intervention incisive sur la parentalité (à propos de l’homoparentalité) à l’émission animée par Frédéric Taddéi Ce soir ou jamais (FR3), sur le thème : Famille : jusqu’où peut-on l’étendre ? (document non daté) :


Marcela Iacub juriste et chercheuse au CNRS sur... par noop
 

Notes

[1*La suite de l’édito :
[... ] Au siècle dernier, dans les années 70, aux USA, en pleine intégration institutionnelle de la société pluri-ethnique inaugurant, en même temps que le multi-communautarisme hétéro et homo, les droits civiques égaux pour tous, l’intolérance morale normative face au transgenre biologique ou social non assimilable à l’ethnique, au sexué communautaire, ou au religieux, fut contradictoirement une des causes politiques de la création du mouvement Queer. Contre le politically correct de la société américaine aux droits renouvelés. Subversion des modes de vie conformistes qui se développa plus largement dans les années 80 et 90, ainsi qu’en Europe (dans une voie mutante singulière) en Europe du nord. Où autrui n’était pas reconnu dans un système social qui avait abusivement fait croire que tous ses possibles seraient désormais prévus, apparut l’étrange, l’autre non réductible à l’un donc pas à autrui — ni à la cité ni à ses résidents. Cela concernait autant l’opposition de fait au conformisme communautaire ou national du comportement, ou du mode de vie de classe, que la norme de l’habitat (critiquée par les adaptations résidentielles précaires d’anciennes architectures industrielles ou publiques désertées, habitat sédentaire collectif auto-organisé, improvisé à la marge des quartiers centraux des villes ou se reprenant de la ruine rurale), par une "faune humaine" refusant de s’intégrer ou exclue, vivant sa vie alternative encore légitime dans le cadre dialectique du droit... La singularité sexuelle inter-communautaire (dans le S&M ou l’échangisme, par exemple) y étant fortement fondatrice finit à son tour par avoir droit de cité — consommation et part maudite.
 Ce sont aujourd’hui des raisons de penser contre l’éradication des droits acquis au prix des luttes postmodernes, maintenant réduits et expropriés chaque jour du code social par les normes médiatiques et sécuritaires, exclusives, qui installent les nouveaux décrets puritains du système démocratique post-républicain. De la même façon les citoyens de la vie nue sont exclus de la possibilité économique des sociétés post-industrielles, en même temps que ceux qui poursuivent de s’y trouver intégrés en survivants deviennent les chasseurs de leur prochain inadapté (toutes inadaptations confondues). Sexe des riches contre nourriture des pauvres, en réalité c’est du même du corps qu’il s’agit : sub-séquences d’une même scène métapolitique (au paradis politique perdu).
On retrouve ici l’article d’éthique émergent de l’affaire DSK, publié récemment dans le journal Libération par l’auteure qui nous intéresse et dont nous proposons la découverte commentée à nos lecteurs. Où le précédent point de vue de l’auteure sur le même sujet, publié à chaud au mois de mai, était plus circonstanciel et par conséquent moins philosophique que celui-ci. Pourtant, cela compose un diptyque indissociable, qui peut prédire son développement, puisque le fil de l’affaire DSK suggère un événement dans la ligne expérimentale de l’œuvre de recherche entreprise par Marcela Iacub dès ses premiers ouvrages.
En effet, si la comparaison de la mésaventure du plénipotentiaire du FMI (DSK) avec celle du président des USA (Bill Clinton) s’impose, d’autant plus que la déclaration télévisée de l’ex favori des présidentielles présenté par Claire Chazal sur TF1, dimanche dernier, eut l’air de plagier mot pour mot son prédécesseur, (lorsque qu’à l’issue de l’affaire Lewinski, en 1998, Clinton s’excusa publiquement dont à l’égard de son épouse devant le peuple qu’il représentait), et plus encore s’il pût s’agir de pièges orchestrés en amont contre chacun d’entre eux, le fait nouveau remarquable est que DSK fut emprisonné et contraint de démissionner avant tout jugement, où le président des USA resta en poste (la CIA et le Pentagone ayant repris la part active du pouvoir dont il pût secrètement mais réellement être dépossédé ? — cela est une autre histoire). La comparaison vaut donc de s’interroger sur le temps, le pouvoir représentatif et exécutif, l’argent, la société, et ce que la sexualité du pouvoir soudain révélée au premier plan peut bien conformer des chefs d’État contre les démocraties.
Car ce n’est pas une sensibilité féminine vénale en Marcela Iacub qui va à la rencontre de DSK, mais la situation institutionnelle du déclassement de DSK qui vient rebondir dans la stratégie sensible d’une œuvre sociologique et juridictionnelle, d’essais réflexifs des mœurs sexuelles et du corps et de leur impact sur le code moral du mode de vie, et plus largement du pouvoir qui change de nature après le politique, par une féministe atypique qui discerne l’objet de son leurre. Son livre ouvert et ses actes publics, signés Marcela Iacub, chercheure émergente, auteure styliste, et citoyenne active, sont le socle instituant d’une autre façon intellectuelle « organique » d’exister ensemble, non normative (par déréglementation des limites), sans fusionner avec autrui. Saisir ce qui travaille le monde, son entropie destructrice, ou ce qui peut le transformer — l’ouvrir sans prescription (dans le sens de l’ordre expressément formulé), c’est aussi la question de se maintenir à distance de répondre au jugement attendu.
.

[ ... ]

[2* Marcela Iacub est chercheure (CNRS), juriste, philosophe des droits humains individuels et sociaux (de la question de la prostitution à celle de la parentalité au XXIe siècle), sociologue, essayiste — auteure de plusieurs ouvrages remarqués, — féministe engagée défenseure des libertés notamment sexuelles, au grand dam du conformisme social et/ou communautariste en usage dans ces domaines, tant hétérosexuels qu’homosexuels ou transgenre. Certains l’ont référée au mouvement Queer, au début des années 2000 ; d’autres la disent libérale (à lire l’article du 31 mai 2011 par Thomas Clerc : Affaire DSK : la gauche face à la pulsion masculine — toujours dans Libération). Elle a surtout une personnalité originale, révoltée, à la fois provocatrice et guerrière, sensible en tout état de ses causes publiques d’une implacable logique juridictionnelle — explorant les limites paradoxales, — et par conséquent héroïque. Ses derniers ouvrages parus : Confessions d’une mangeuse de viande, Fayard, 2011 ; De la pornographie en Amérique, Fayard, 2010 ; Par le trou de la serrure. Une histoire de la pudeur publique, XIX-XXIe siècle, Fayard, 2008. Voir sa bibliographie complète et sa biographie à l’article éponyme qui lui est dédié dans Wikipédia
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