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L’usine des espoirs de l’homme de l’appartement 503 

lundi 18 décembre 2006, par Cho Sehûi

Les deux premiers chiffres annoncent 28. Bien que la suite soit composée de trois et de quatre chiffres, elle est facile à mémoriser : 103, 203, 303, 403, 503...... 1003. 1103. 1203. Il manque encore une chose. C’est le nom ANDAMIRO : ABONDAMMENT.
C’est le responsable en publicité de la société immobilière qui, après une longue réflexion, a trouvé ce nom. C’est la seule résidence d’appartements désignée par un adverbe [1]. Les gens croient que ce nom vient d’une langue européenne, mais ce n’est pas exact. Le bâtiment n°28 d’Andamiro se dresse comme un tableau.
Il est difficile de connaître tous les habitants de ce bâtiment. On peut en connaître, sans trop de difficulté, une colonne.
Le premier appartement de la troisième colonne portant le numéro 3 est le 103. La profession du chef de famille est agent immobilier. Il a gagné pas mal d’argent ces dernières années. C’est un homme qui a profité plus que les autres de l’aide au logement. Ces jours-ci, il a du temps libre, gêné par la politique contre la spéculation immobilière. Mais il ne s’inquiète pas. Il sait très bien ce qu’ont fait les concepteurs de la politique du logement. Il attend en comptant sur eux. Il aime les maisons vides, les appartements vides dont il s’est emparé. Pour lui, le monde où les maisons vides et les appartements vides sont occupés par les gens sans logement est un monde de ténèbres.
Le propriétaire du n°203 juste au-dessus est une femme. Elle a cinquante ans, mais elle en paraît moins de quarante. Il paraît qu’elle a encore la peau lisse et le corps élastique. On sait tout de suite en la voyant que c’est quelqu’un qui n’a jamais éprouvé la moindre peine. Elle a emménagé il y a environ deux mois dans la résidence Andamiro. C’est la première fois que cette femme doit faire face à un moment difficile. Elle a l’impression que son appartement de 70 p’yông [2] est petit et étroit. Elle a souffert d’insomnie avec ses trois filles pendant quelques jours. La grande maison, le jardin large, et même la cave avec le couloir secret qui menait à la porte de derrière se sont envolés au moment où son mari a été emprisonné. Un jour, son mari, qui était dans les affaires, a soudain affirmé que l’avenir était désespérant. Selon lui, il n’avait personne à qui faire confiance, des tout jeunes gens sont venus jusque chez eux, sans gêne, pour lui faire payer correctement ses impôts, ils ont fouillé et découvert la trace des fonds détournés dans d’autres pays, ses soutiens financiers ont été coupés. Son mari, qui disait « C’est fini, ma belle époque », est allé en prison. Ressorti, il est actuellement hospitalisé. Depuis l’emménagement dans la résidence Andamiro, elle conduit une voiture coréenne. « Elle est en tôle, cette voiture. » Même si tout est difficile, la nourriture, le logement, le transport, cette femme supporte tout.
Au n°303 habite un ancien professeur. Il enseignait dans un lycée. Actuellement, il « enseigne » toujours, mais plus au lycée. Il aime les institutions. Ce qu’il aime le plus ensuite est l’institution de l’enseignement. Il gère des salles d’études supplémentaires. Même s’il gagne beaucoup d’argent, il ne paie pas d’impôts. Sa femme aime les coffres, les porcelaines, et les vases en bois de l’époque Chosôn. Ses enfants se nourrissent bien et s’amusent bien.
Les enfants du n°403, qui se trouve au-dessus, se nourrissent bien eux aussi et grandissent bien. Leur père gagne beaucoup d’argent et ne paie pas d’impôts. Il est artiste. Comme il est peintre, ça sent autrement dans son appartement. Les couleurs et le tabac à pipe sentent bon. C’est un artiste qui réfléchit beaucoup. Il peint vraiment beaucoup. Il lui arrive souvent de peindre continuellement le même tableau. Ses œuvres se vendent très cher. Un sculpteur très proche de lui est en train de faire le bronze du docteur Yi Sûngman [3] qu’on lui a commandé. On peut le connaître mieux par le travail qu’est en train de faire son ami.
Les amis du n°503 habitent à la campagne. Ils sont naïfs. Ils ne savent pas mentir, et si, par hasard, ils l’ont fait, cela n’a fait de mal à personne. L’homme du n°503 a quitté son pays natal à l’âge de quatorze ans pour venir à Séoul. Comme sa famille était pauvre, il n’a fréquenté l’école primaire que jusqu’à la troisième année. Il a commencé à travailler jeune dans une usine de fonte de banlieue. Il a grandi en travaillant dans l’usine. A quarante-cinq ans, il a pris en main une petite usine de fonte en faillite, à quarante-huit ans, il l’a redressée, l’a agrandie, et elle a fini par lui appartenir. Tous les chefs de famille de la résidence Andamiro sont sortis de l’université. L’homme du numéro 503 est une sorte « d’ignorant ». Il est la seule exception. Il paie régulièrement ses impôts. La fumée qui sort de son usine est propre.
Au n°803 habite une belle jeune femme. A strictement parler, cette jeune femme n’est pas sortie de l’université. Elle a arrêté ses études. Une femme comme elle n’avait pas besoin d’étudier. Elle est remarquablement belle. Beaucoup d’hommes riches ont vu cette femme, dont les mensurations sont 34-23-34, debout, complètement nue, à côté du jet d’eau qui se trouve au milieu de son salon. Les hommes riches achètent cette femme en lui donnant beaucoup d’argent. Elle est cent fois plus belle que les femmes de ces hommes riches.
Le propriétaire du n°903 est un économiste dont le diplôme est douteux, selon lui plus les gens ont gagné de fortunes immenses par soutien ou par chance, plus ils les ont accumulées de façon malhonnête, plus ils dépensent bassement leur argent. C’est uniquement à sa famille qu’il parle ainsi. Lui qui aime être appelé critique économique a participé au projet à long terme d’une communauté et a décrit l’endroit où nous vivrons en 2001 comme un paradis sur terre. Il n’a ajouté aucun commentaire.
Au n°1003, un jeune couple marié dont le mari est magistrat. C’est son beau-père qui leur a acheté cet appartement. Quand l’entremetteuse est arrivée, lui qui prêtait de l’argent aux taux du marché noir a promis d’acheter un appartement « valable » pour sa chère fille et son gendre qui avait fait de difficiles études et réussi un examen difficile. Il a tenu sa promesse. Et quand les entreprises souffrent de difficultés financières, lui qui en profite, écoute avec intérêt dans les tribunes réservées au public les jugements prononcés par son gendre.
Au n°1103 vit un ancien fonctionnaire de l’administration centrale. Auparavant, c’était un jeune courageux. Dans les journaux jaunis, nous pouvons encore le voir sur des photos courir en tête d’un groupe de jeunes. Il criait « On a gagné », en courant dans une rue où une statue du docteur Yi Sûngman était abattue. C’est devenu un homme gras d’âge moyen. Son embonpoint lui a causé bien des soucis. Il est chômeur. Comme il a quitté son emploi administratif, il ne lui est plus nécessaire de ménager les autres. Il aime cuisiner les escargots que sa femme n’aime pas.
L’appartement au-dessus de cet ancien fonctionnaire, le 1203, est vide. Dans cet espace complètement vide de 70 p’yông habitent lumière et obscurité. Il appartient à l’homme du 103, qui l’a mis au nom de son beau-frère. Ce beau-frère doit dépenser quarante jours du revenu des six membres de sa famille pour payer péniblement les charges de la résidence Andamiro.
C’est le toit qui est au-dessus du n°1203, c’est le ciel qui est au-dessus du toit.
Même s’il y a la même lumière, l’éclairage varie selon l’espace éclairé. On ne sait si c’est la technologie des constructeurs qui règle jusqu’à la lumière ou si c’est quelque chose d’autre. La résidence Andamiro reçoit une lumière claire.
Bien sûr, je n’ai pas encore pu m’informer sur les douze appartements de la troisième colonne. J’ai laissé les 6ème et 7ème étages. Il y a les numéros 603 et 703, mais ce ne sont pas deux foyers différents. C’est un seul foyer. Un escalier a été installé en perçant le plafond du salon du 603. Le 703 est l’étage de ce foyer. Une femme de ménage et une fille de service s’occupent l’appartement.
- On dit qu’il a beaucoup neigé.
Dit la fille de service.
- C’est amusant de faire du ski ?
- Je ne sais pas
Dit la femme de ménage.
- Après le repas, tu vas faire les vitres au premier. Fais le ménage des chambres. Savonne la baignoire des salles de bains.
- Ces médailles, c’est monsieur qui les a gagnées ?
- N’y touche pas
Dit la femme de ménage.
- Ils vont rentrer demain. Il faut se dépêcher. Le benjamin est violent. Ne touche jamais à aucun objet dans sa chambre. Et fais attention. Lorsqu’il t’appelle dans sa chambre, n’y entre pas toute seule.
- Pourquoi ?
- Fais ce que je dis. Tu n’as pas entendu l’histoire de la fille qui était là avant ? Le benjamin, qui regardait des photos obscènes dans sa chambre, l’a appelée et l’a déshabillée. Madame a donné de l’argent à la fille, mais ça n’a pas de sens. Elle a peiné chez un autre et on a abusé d’elle.
- Moi, je m’en vais dès que j’ai le salaire de ce mois.
- Ca dépend de toi.
- Non.
- Il y a encore beaucoup de temps avant le jour de paye, réfléchis bien.
- Ce n’est pas la peine de réfléchir. Cet appartement est trop grand.
Il est vraiment trop grand. Tous les appartements Andamiro sont grands, mais celui-là est deux fois plus grand que les autres. Le responsable en publicité de la société immobilière a trouvé, en se creusant la tête, un adverbe qui convenait comme nom de cette résidence. Dans cette résidence, personne ne connaît la vie où il faut se préoccuper de tout, comme du prix du riz, des choux, du piment, du coiffeur, des transports, des études. Si, il y en a un. C’est l’homme du 503.

Nous avons le devoir de protéger son usine.

P.-S.

Traduction de Patrick Maurus. Tous droits réservés à l’auteur et au traducteur.

Notes

[1D’où notre choix de traduction, mais le mot n’est pas compréhensible tel quel ; car il « fait » étranger.

[2Unité de surface, 3,3 mètres carrés. C’est donc proportionnellement un grand appartement, surtout à cette époque.

[3Yi Sûngman, connu sous son nom américanisé de Syngman Rhee, est le premier président de Corée du Sud. Soutenu par les Américains, il a tenu pendant quinze ans le pays sous une botte de fer, sans même l’excuse du développement économique. La mémoire coréenne ne sait trop que faire de lui, la légitimité de la république étant liée à sa dictature.

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