Journaliste devenu homme de lettres et de théâtre, l’écrivain Mohamed Kacimi part toujours, très loin, loin, moins loin, et même de temps en temps : non loin. Il en tire chaque fois quelques lignes sévères contre l’islam radical qu’il accuse de réprimer les femmes, ou des mots charmants et simplement émouvants sur ses rencontres et ses aventures, paradoxalement emprunts de nostalgie, ironisant et provoquant le rire, parfois des sanglots, souvent l’onirisme qui ne s’annonce que par le style, et qu’il partage en statut de sa page pour ses amis. Hier il était à Bruxelles, demain à Charenton : « Vous n’avez pas encore eu l’occasion de rencontrer le Diable ? Vous avez un compte à régler avec Dieu ? Rejoignez La Table de l’Éternité (...) » [1]
Je viens de débarquer à Bruxelles. J’aime Bruxelles car la ville à mes yeux a la beauté d’un Paris qu’on aurait vidé des Parisiens. Aujourd’hui sortant à la Gare du Midi j’ai pris le métro et là j’ai été frappé par l’ambiance extraordinairement exotique qui y régnait, un mélange de Casamance et de Rif, partout des jeunes filles voilées et des femmes drapées, des grands mères tchadorisées, des enfants, par grappes, pleurant, tettant, riant ou rotant. Il y régnait, selon l’expression des touristes français, une ambiance de souk, avec les parfums, les épices, les odeurs. Ah l’Orient en rut entre le Parvis de Saint Gilles et les Etangs noirs. Absorbé, fasciné par ce spectacle, je me suis cru au Caire et je n’ai pas de place ici pour dire l’amour que j’ai pour le Caire. Arrivé à Sainte Catherine, j’étais tellement convaincu d’être au Caire pour de vrai que j’ai arrêté un taxi et en prenant place j’ai dit au chauffeur dans un arabe classique parfait :
– La mosquée Al Hussein face au Khan Khalili s’il vous plait et que Dieu illumine votre visage.
Et le chauffeur, un flamand natif de Kloosterzande me répond dans un égyptien irréprochable :
–
Alla rassi, ya Bacha, alla ayni. Bas toumour (ce qui veut dire : « Je vous porterai sur ma tête, sur mes yeux, Ô Pacha, il vous suffit de me commander. ») — Je ferme les yeux. La nuit tombe. Les enceintes diffusent la voix de la diva Oum Kalsoum qui me susurre :
« Ne me quitte pas, il faut oublier, oublier le temps des malentendus et le temps perdu à savoir comment oublier ces heures qui tuaient parfois à coups de pourquoi le cœur du bonheur. »
M. K.
avec l’aimable autorisation de l’auteur © Mohamed Kacimi