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Aphorismes politiques 

lundi 23 avril 2007, par Novalis

La cause de toute absurdité dans les principes et les opinions réside dans la confusion du but et du moyen.

La plupart des révolutionnaires n’ont jamais su exactement ce qu’ils voulaient - forme, ou non-forme.

Les révolutions sont avant tout la preuve qu’une nation n’a pas de véritable énergie. Il existe une énergie issue d’un état maladif et d’une faiblesse - énergie qui agit plus violemment que l’authentique - mais qui s’achève hélas dans une faiblesse encore plus profonde.

Lorsqu’on juge une nation, on ne porte souvent un jugement que sur la partie particulièrement visible, frappante.

Aucun argument n’est plus préjudiciable à l’Ancien Régime que celui que l’on peut tirer de la force disproportionnée des membres d’un Etat apparaissant lors d’une révolution. Son administration devait être bien défectueuse pour que de nombreuses parties se détériorent et pour qu’une faiblesse si persistante s’enracine partout.

Plus une partie est faible, plus elle tend au désordre et à l’inflammation.

Que sont les esclaves ? Des hommes totalement affaiblis, comprimés. Que sont des sultans ? Des esclaves touchés par de violentes irritations. Comment finissent les sultans et les esclaves ? Violemment. Ceux-ci facilement comme esclaves, ceux-là facilement comme sultans, c’est-à-dire frénétiquement, follement. Comment peut-on soigner les esclaves ? Par de prudentes remises en liberté et par des éclaircissements. Il faut les traiter comme des corps gelés. Les sultans ? Comme Denis et Crésus furent soignés. Commencer par la terreur, le jeûne et la vie monacale et peu à peu remonter à l’aide de fortifiants. Les sultans et les esclaves sont des extrêmes. Il y a encore beaucoup de classes intermédiaires jusqu’au roi et au véritable cynique - la classe de la santé parfaite. Les terroristes et les courtisans sont à peu près dans la classe qui suit les sultans et les esclaves - et se confondent comme ceux-là. Tous deux sont les représentants des deux formes de maladie d’une constitution très faible.

La constitution la plus saine avec un maximum d’excitants est représentée par le roi - la même avec un minimum d’excitations - par le véritable cynique. Plus ces deux-là se ressemblent, plus ils pourraient échanger leur rôle facilement et imperturbablement, plus leur constitution s’approche de l’idéal de la constitution parfaite. Plus le roi vit indépendamment de son trône et plus il est roi.

Tous les excitants sont relatifs - sont des grandeurs - excepté un, qui est absolu - et plus qu’une grandeur.

La constitution parfaite naît d’une incitation et d’une liaison absolue avec cet excitant. Grâce à lui, elle peut se passer de tous les autres - car il agit au commencement plus fort, proportionnellement à la diminution des excitants relatifs, et inversement. S’est-il tout à fait imposé, cette constitution devient indifférente à l’égard des excitants relatifs. Cet excitant est - amour absolu.

Un cynique et un roi sans amour ne sont que des titres honorifiques.

On peut améliorer une constitution imparfaite si on la rend capable d’amour.

Le meilleur Etat est composé d’indifférentistes de cette sorte.

Dans les Etats imparfaits ils sont aussi les meilleurs citoyens. Ils prennent part à tout ce qui est bon, rient en silence des nigauderies de leurs contemporains et s’abstiennent de toute chose fâcheuse. Ils ne changent rien, car ils savent que chaque changement dans ces circonstances est une nouvelle erreur, et que le meilleur ne peut pas venir de l’extérieur. Ils laissent chaque chose à son rang, et comme ils ne gênent personne, personne ne les gêne, et ils sont partout les bienvenus.

Le débat actuel sur les formes de gouvernement est un débat sur ce qui est préférable, l’âge mûr ou la jeunesse fleurissante.

La république est le fluidum deferens de la jeunesse. Là où il y a des jeunes gens, il y a la république.

Avec le mariage le système se transforme. Le marié exige l’ordre, la sécurité et la paix - il souhaite, en tant que famille, vivre dans une famille - dans un ménage équilibré - il cherche une véritable monarchie.

Un souverain sans esprit de famille n’est pas un monarque.

Mais pourquoi un chef de famille unique, absolu ? À quel arbitraire n’est-on pas là exposé ?

Dans tous les rapports relatifs, l’individu est exposé une fois pour toute à l’arbitraire - et même si j’allais dans un désert, est-ce que mon intérêt essentiel ne serait pas encore tributaire de l’arbitraire de mon individualité ? L’individu, en tant que tel, est de par sa nature soumis au hasard. Dans la démocratie parfaite, je suis soumis à un très grand nombre de destins, dans une démocratie représentative à un nombre plus restreint, dans une monarchie à Un destin arbitraire.

Mais est-ce que la raison n’exige pas que chacun soit son propre législateur ? L’homme ne doit obéir qu’à ses propres lois.

Quand Solon et Lycurgue ont donné des lois véritables et générales, des lois de l’humanité, d’où les prirent-ils ? - Probablement du sentiment de leur humanité et de ce qu’ils en observèrent. Si je suis un homme, comme eux, d’où puis-je les prendre ? - certainement de la même source - et suis-je infidèle à la raison lorsque je vis selon les lois de Solon et de Lycurgue ? Chaque loi véritable est ma loi - peu importe qui l’énonce et l’établit. Mais cet acte d’énoncer et d’établir une loi, ou l’observation du sentiment originel et sa représentation, ne doivent pas être si simples - sinon nous n’aurions pas besoin de lois écrites particulières. S’agirait-il alors d’un art ? De même, appliquer la loi semble être en fait un exercice de longue haleine et nécessiter un perfectionnement de la faculté de juger. Pourquoi les clans et les corporations apparaissent-ils ? - Par manque de temps et de forces individuels. Jusqu’à présent, chaque homme ne pouvait pas apprendre tous les arts et toutes les sciences et les pratiquer en même temps - être tout dans tout. Les travaux et les arts furent divisés. Peut-être aussi l’art du gouvernement ? Selon l’exigence générale de la raison tous les hommes devraient être médecins, poètes, et ainsi de suite. En ce qui concerne les autres arts il est d’usage la plupart du temps que les hommes s’en contentent, mais quand il s’agit de l’art du gouvernement et de la philosophie, chacun croit qu’il ne faut posséder là que de l’audace, et chacun évite d’en parler en connaisseur et de prétendre avoir de l’expérience et du talent.

Mais la supériorité de la démocratie représentative est indéniable. Un homme naturel, exemplaire est un rêve de poète. Par conséquent, que reste-t-il, sinon la composition d’un homme artificiel ? Les hommes supérieurs de la nation se complètent les uns les autres. Dans cette société s’enflamme un esprit pur de la société. Les décrets sont son émanation - et le régent idéal devient réel.

D’abord je mets en doute les hommes supérieurs de la nation et l’inflammation de l’esprit pur. Je ne veux pas même me référer à l’expérience qui contredit cela. Il est clair qu’on ne pas composer un corps vivant à partir d’éléments morts - ni un homme juste, altruiste et libéral à partir d’ hommes injustes, égoïstes et étroits. Il est vrai que c’est justement l’erreur d’une majorité étroite, et il va passer encore du temps avant qu’on soit convaincu de cette simple vérité. Une majorité ainsi constituée ne va pas élire les hommes supérieurs, mais, en moyenne, seulement les plus bornés et les plus intelligents. Par « plus bornés », j’entends ceux chez lesquels la médiocrité est devenue une vraie nature, les modèles classiques de la grande masse. Par « intelligents », les courtisans les plus habiles de la grande masse. Là aucun esprit ne s’enflammera - au moins pas un esprit pur - un grand mécanisme se formera - une routine - que seule l’intrigue interrompt quelquefois. Les rênes du gouvernement vont balancer entre les partisans du discours et les multiples faiseurs de parti. Le despotisme d’un seul est quand même préférable à ce despotisme : on économise au moins du temps et des souliers lorsqu’on a affaire avec le gouvernement, et on y joue cartes sur table, tandis qu’avec l’autre on ne sait pas toujours très bien par qui le gouvernement est représenté, et quels chemins sont les meilleurs pour y accéder.
Puisque la hauteur à laquelle il se trouve élevé doit déjà faire mûrir et réformer le représentant, qu’en sera-t-il du régent tout seul ? Si les hommes étaient déjà ce qu’ils devraient et pourraient être - toutes les formes de gouvernement ne formeraient qu’une seul - l’humanité serait partout gouvernée d’une seule façon, partout selon les lois originelles de l’humanité. Mais alors on choisirait en premier la forme la plus naturelle, la plus poétique, la plus belle - la forme familiale - la monarchie - plusieurs seigneurs - plusieurs familles - Un seigneur - Une famille !

Aujourd’hui il semble qu’une antinomie indissoluble oppose la démocratie parfaite et la monarchie - les bienfaits de l’une étant contrebalancés par les bienfaits opposés de l’autre. Le peuple jeune est du côté de l’une, les chefs de famille plus établis sont du côté de l’autre. Une différence absolue dans les inclinations semble être la cause de cette séparation. L’un aime les changements - l’autre pas. Peut-être aimons-nous tous à un certain âge les révolutions, la libre concurrence, les compétitions et les phénomènes démocratiques du même ordre. Mais cet âge passe chez la plupart - et nous nous sentons attirés par un monde plus paisible, où au centre un soleil mène la danse, et où l’on préfère devenir une planète plutôt que de mener un combat destructeur pour être le premier danseur. Que l’on soit donc au moins politique, mais aussi religieux, tolérant - que l’on accepte la possibilité qu’un autre être raisonnable incline autrement que nous. Cette tolérance mène peu à peu, me semble-t-il, à la noble conviction de la relativité de toute forme positive - à l’indépendance véridique de tout esprit mûr par rapport à toute forme individuelle qui ne soit rien d’autre pour lui qu’un instrument indispensable. Le temps doit venir où l’enthéisme politique et le panthéisme seront reliés le plus profondément comme des membres interactifs et nécessaires.

P.-S.

Traduction de Laurent Margantin

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