La Revue des Ressources
Accueil > Idées > Agora > Des amours multiples

Des amours multiples 

jeudi 14 juillet 2011, par Jean Zin


Si le mode de vie communautaire des années 1960 ne semble plus de mise, quelque chose de l’esprit qui l’animait demeure et se diffuse jusque dans les milieux qui en sont les plus éloignés en modifiant profondément les valeurs traditionnelles. Au travers d’expériences diverses et contrastées s’élaborent de nouveaux modèles relationnels, dont l’apparition d’une autre façon d’aimer n’est pas le moindre apport. Ce qui caractérise peut-être notre époque, c’est la multiplicité des formes et l’absence d’un référent unique, ce qui rend toute lecture unidimensionnelle caduque. Ce sont les relations à la parenté, l’éducation des enfants, le rapport à l’espace et à l’habitat, aux relations sociales de voisinage, à la transmission de la mémoire familiale... qui en sont du même coup modifiées. Autant d’éléments qui perturbent en profondeur les structures familiales traditionnelles. Or si la famille, comme le prétendent tant les conservateurs que les socialistes positivistes, est un élément fondateur de la structure sociale d’une société, on peut émettre l’hypothèse que ces transformations agissent sur l’ensemble du corps social. C’est donc de l’invention d’une nouvelle société qu’il faut traiter. Car il s’agit moins, comme on l’entend dire couramment, d’un délitement du lien familial, ou d’un effondrement des structures familiales, que d’une métamorphose qui invente de nouveaux rapports, de nouvelles façons d’être ensemble, de faire lien et de donner sens à une commune existence.

Il faut relativiser les bouleversements, en se souvenant que ce qui paraît nouveau pour notre époque n’est peut-être qu’un retour à une juste moyenne des choses. Une lecture anthropologique montre que la structure conjugale concrétisée par le mariage de deux êtres unis pour la vie est, somme toute, loin d’être une constante historique et culturelle. Ainsi avant que l’idéologie bourgeoise ne relaie l’idéal religieux et ne parvienne à imposer ce modèle à l’ensemble du corps social, une partie importante de la société vivait sous la forme du concubinage, de l’amour libre, et d’unions plus ou moins éphémères et successives. La déliaison amoureuse, De la fusion romantique au désir d’indépendance
Serge Chaumier, Payot, 2004 [1]p 15-16

Alors que Jean-Luc Marion, dans Le phénomène érotique (Grasset, 2003) insiste sur l’unicité de l’amour et son caractère fondateur, son intériorité, Serge Chaumier tire de l’histoire et de nos comportements actuels la conviction de la diversité des formes d’amour, de leur caractère éphémère, historique et culturel mais c’est un point de vue extérieur, sociologique. Après l’amour idéalisé unique et éternel, nous examinons ici les amours multiples et temporaires de nos vies concrètes. Il y a toutes sortes d’amours qui n’ont rien à voir avec l’amour romantique et la fusion sexuelle. Il y a aussi plusieurs amours dans une vie et des relations plurielles. Serge Chaumier met surtout en cause le critère de la durée dans l’amour, valorisant plutôt l’intensité, mais on ne peut évacuer la question de la continuité des liens créés par un véritable amour vécu, liens qui ne se brisent pas si facilement et par fidélité au souvenir au moins, durent souvent toute la vie. Il n’y a pas d’un côté un amour immuable, de l’autre une multiplicité infinie, c’est à la fois beaucoup plus modeste et plus compliqué.

L’amour "fissionnel" que l’auteur oppose à l’amour fusionnel est sensé rendre compte de l’évolution actuelle des moeurs depuis Mai 68 et l’émancipation des femmes mais ce modèle est loin d’être stabilisé ou satisfaisant entre survalorisation de l’amour et reconstitution de la division traditionnelle du conjoint et des amours adultères. On assiste plutôt à la confrontation de différentes conceptions de l’amour ajoutant encore obstacles et malentendus à nos impossibles histoires d’amour. Il n’empêche qu’il y a bien multiplication des ruptures, c’est indéniable hélas et cause de tellement de souffrances. Nous devons résoudre dans nos vies la question de ces amours successifs et de ces modèles contradictoires.

On peut trouver agaçant le prétendu regard scientifique qui énonce comme une vérité que tout amour-passion est éphémère, voire qu’il n’y a pas de rapport sexuel comme disait effectivement Lacan mais à condition d’ajouter, comme lui, que l’amour est l’exception à la règle, "ce qui cesse de ne pas s’écrire". On ne peut regarder tout cela de loin alors qu’on est parti pris. Le discours moraliste ou rationaliste est un peu ridicule de vouloir tout contrôler en ce domaine. On fait plutôt l’expérience d’une passion subie qui nous submerge. Si notre époque se distingue, ce n’est donc pas par cet échec programmé de toute passion, la décristallisation succédant inévitablement à la cristallisation (on connaît la chanson : "Les histoires d’amour finissent mal, en général"). Tout le côté réquisitoire contre l’amour-passion est un peu dérisoire et plein de ressentiments. Les amoureux savent bien que l’amour est impossible, c’est même ce qui le rend si précieux, et que le coeur a ses raisons que la raison ne connaît point. La passion donne l’image de l’esclavage, et longtemps méprisée comme telle, mais c’est tout autant la libération de toutes les autres contraintes, une ascèse mystique, une force révolutionnaire. Rien de grand ne s’est fait sans passion (c’est ce que Hegel appelle la ruse de la raison, portée par l’irrationnel). Amour et passion incarnent l’esprit dans sa négativité et sa créativité, effets de la parole et du sens, faits de pensée et d’imagination (pour Aristote, dans la rhétorique des passions, ce sont des réactions aux représentations que nous nous faisons des représentations que les autres ont de nous).

On n’éprouve jamais l’amour pour la première fois, on se le rappelle toujours, prévient Danilo Martuccelli, pour qui le véritable organe de l’amour n’est ni le coeur, ni le sexe, mais l’imagination. 35


L’attente stimule l’imagination, les promesses de concrétisation semblant d’autant plus douces qu’elles sont différées [...] C’est parce que l’amour est empêché qu’il devient indispensable.
73

Beaucoup insistent sur l’obstacle à l’amour pour qu’il ne s’épuise pas sans laisser de trace. Il est certain que la distance exacerbe le désir jusqu’à la folie, on a le témoignage de tant de lettres d’amour, mais la proximité aussi peut mener à un excitation mutuelle jusqu’à la transe, même si on n’a pas le temps d’en décrire les jouissances inouïes. Il est par contre indispensable de souligner la fonction normalisatrice de l’amour, de surmoi, de refoulement mais aussi de manipulation, d’asservissement, de domination (de la femme), de possession de l’autre et d’exclusion du tiers. Il faut donc prêter attention dans cette déliaison amoureuse que nous expérimentons depuis quelque temps, à l’exigence d’indépendance et d’autonomie qui s’y manifeste, sous la pression de l’individualisme, du féminisme et de l’épanouissement personnel, dérivant sans doute vers un amour utilitaire plus qu’un amour libre. On est dans les petites négociations plus que dans le choc amoureux où ce que je suis dépend entièrement de l’autre ! Mais il est indéniable qu’on a besoin de relations plus durables que les sentiments d’amour, en même temps que de garder un jardin secret, une vie à soi, une personnalité indépendante.

Les familles ont toujours été des institutions sociales faites pour assurer une continuité intergénérationnelle. "Les structures élémentaires de la parenté" sont à la base des relations sociales ainsi que des relations de pouvoir et de propriété qui en découlent (mariages arrangés, d’intérêt ou de raison). Non seulement elles n’ont presque jamais été basées sur les sentiments mais, comme faits de culture s’opposent ouvertement aux élans naturels. Ce n’est pas que l’amour n’existe pas dans ces sociétés mais il est rarement valorisé socialement et surtout ne se confond pas avec la relation conjugale. "La relation extraconjugale est possible, encouragée, exceptionnelle ou clandestine, mais les relations sont de toute façon rarement monogames et exclusives" 108. Le paradoxe c’est que la valorisation de l’amour et de la monogamie, qui apparaît au IIè siècle en même temps que la chrétienté et la répression de la sexualité, est un effet de l’individualisme (chrétien) qui finit par rendre la monogamie impossible, sinon l’amour lui-même...

Ce qui caractérisera cette nouvelle éthique, ce n’est pas simplement que l’homme et la femme seront réduits à n’avoir qu’un seul partenaire sexuel - le conjoint ; c’est aussi que leur activité sexuelle sera problématisée comme un élément essentiel, décisif et particulièrement délicat de leur relation conjugale personnelle.
Michel Foucault, Histoire de la sexualité III, p 202

Le désir d’aimer et d’être aimé, cette reconnaissance mutuelle de deux singularités incommensurables, ce lien personnel, intersubjectif, noué sur le plan des intériorités respectives, tel est l’amour comme sensibilité, désir et projet. Ce que la personne cherche (avec angoisse) dans l’amour, c’est d’être aimée pour elle-même, c’est-à-dire reconnue dans sa singularité irréductiblement particulière.
Roch Hurtubise,in Chaumier, p 166

Le mouvement historique d’individualisation qui a permis à l’amour romantique de voir le jour au sein de la structure conjugale se poursuit avec l’exigence de reconnaissance des individualités de chacun des partenaires, et vient tempérer cet amour fusionnel. La déliaison amoureuse, De la fusion romantique au désir d’indépendance,
Serge Chaumier, p 95

Notre situation historique se caractérise donc par le fait que l’amour-passion, réservé aux relations extra-conjugales depuis l’amour-courtois sinon depuis Sénèque (p175), prétend devenir désormais le fondement du couple ; et nous éprouvons la contradiction de vouloir fonder la normalité sur l’exception, multipliant les ruptures et les déchirements mais aboutissant à des familles recomposées où ces relations multiples s’entrelacent et cohabitent cahin-caha. On a souvent du mal à recoller les morceaux de sa vie éclatées en mondes multiples, entre besoin de continuité et d’autonomie, de fermeture et d’ouverture. On rêve de se donner complètement alors que le sacrifice de soi devient impensable et qu’il faut apprendre à vivre une relation ouverte sur les autres. Le triomphe de l’amour comme seul fondement légitime du couple, c’est aussi la confrontation avec ses échecs, ses limites, ses contradictions qu’on ne peut plus imputer à la répression sociale.

Alors même que l’amour veut tout unifier et s’adresse à ce qu’il y a d’unique en nous, il faut se rendre à l’évidence qu’il y a plusieurs amours : sous la forme d’un amour conjugal succédant à l’amour-passion, ou bien sous la forme de passions successives. Dans le premier cas on devrait avoir deux amours, un durable (extensif) et un plus momentané (intensif), ce qui a été pendant très longtemps la norme entre mari et amant ou entre épouse et maîtresse. Dans le deuxième cas, on n’aurait sans doute qu’un seul amour à la fois mais en perdant toute continuité, et, à la longue, toute crédibilité ; selon toute vraisemblance.

En toute occasion où ma réflexion s’applique à l’amour, je ne retiens que contradiction.
Sören Kierkegaard, p 39

On parle sans cesse de la brusque cristallisation de l’amour. La lente décristallisation dont je n’entends jamais parler est un phénomène psychologique qui m’intéresse bien davantage. J’estime qu’on le peut observer au bout d’un temps plus ou moins long dans tous les mariages d’amour.
André Gide, p 92

Personne, que je sache, n’a encore osé dire que l’amour tel qu’on l’imagine de nos jours est la négation pure et simple du mariage que l’on prétend fonder sur lui.
Robert Brain, p 170

L’idée de la propriété s’étend bien au-delà des bornes du mariage légal ; elle est un facteur inévitable, se glissant jusque dans l’union amoureuse la plus "libre".
Alexandra Kollontaï, p 251

La question n’est plus seulement celle de l’amour mais de vivre ensemble, d’accompagner une vie. Une caractéristique de notre époque étant l’augmentation du nombre de célibataires, et d’abord de mères célibataires, de plus en plus par choix volontaire, avec une vie sociale souvent plus intense que celle des couples. Cela ne témoigne donc pas forcément d’un plus grand isolement mais plutôt que l’exigence d’amour prime sur le reste, comme le souligne Edgar Morin, ce qui rend impensable de rester avec quelqu’un qu’on n’aime plus. On préfère perdre la personne qu’on a aimée plutôt que de perdre l’amour. "L’amour devient plus important que l’union contractée" p 19.

La libération de la femme y est pour beaucoup, son indépendance financière quand elle travaille et le contrôle des naissances (mais les homosexuels ont eu un rôle qui est loin d’être négligeable). Il y a aussi les conditions de logement permettant l’intimité du couple et le développement de l’intériorité voire de la solitude avec la revendication de l’intériorité, du secret et du quant-à-soi. Depuis la libération de la femme inséparable de la libération sexuelle, l’amour moderne semble devoir se caractériser par ses tentatives d’ouverture aux tiers et de désinstitutionalisation des rapports sexuels, leur banalisation.

Nous savons bien que c’est une question qui est loin d’être réglée et qui se pose douloureusement à chacun car dans cet égarement de l’époque, les amoureux ne partagent pas toujours la même conception de l’amour, entre les anciens et les plus ou moins modernes, sans compter les blocages inconscients et les modèles parentaux... Accorder nos représentations de l’amour à nos pratiques effectives serait une bénédiction pour les amoureux, permettant de lever bien des malentendus, d’en alléger les souffrances même si l’amour sera toujours impossible et souvent cruel. On ne se débarrassera pas si facilement de la jalousie ou du besoin de possession exclusive. Surtout, il y aura toujours plusieurs amours, des moments plus ou moins forts, moments de fusion et de quant-à-soi. Le "couple ouvert" ne semble pas un modèle durable permettant d’homogénéiser des pratiques hétérogènes. Tout se dire n’est sûrement pas possible, encore moins vivable, il vaut mieux éviter ce piège de vouloir tout se raconter, mais cela ne doit pas aller jusqu’à tromper l’autre. C’est entre ces deux pôles que nous devons trouver une voie. Chacun se débrouille comme il peut, souvent mal. Ce qui compte c’est la vérité de notre amour et l’ouverture à sa diversité.

Avant la modernité, le couple a peu d’intimité : pas de lit clos, pas d’espace privé, pas d’alcôve conjugale, la famille est directement immergée dans un milieu. La sphère privée permet l’émergence de la cellule-couple distincte de la communauté, comme le montre Philippe Ariès. p 164

L’histoire de l’amour est inséparable de l’histoire de la liberté de la femme.
Octavio Paz, La flamme double. Amour et érotisme, Gallimard, 1993, p 75

L’amour a une place primordiale et explicative dans l’oppression des femmes et il convient de la prendre en compte. p 230

L’idée de se donner totalement revient à dire que l’on disparaît et surtout que l’on risque de vite s’épuiser. Serge Chaumier p 258

Après une période amoureuse fusionnelle, ils doivent nécessairement se renier pour admettre des relations avec des tiers. Ce qui était précédemment au pire un sale petit secret, une mesquine cachotterie, révèle tout son aspect dramatique de reniement et de négation de sa propre identité. Car la trahison est moins désormais envers son partenaire, amenant son lot de mauvaise conscience, qu’envers soi-même et son idéal, et envers ses promesses de fidélité pour un amour qui nous a autrefois transporté. La culpabilité ne peut qu’envahir ce reniement de soi-même. p 260

Pourtant les exigences de l’amour ainsi conçu, confrontées à l’affirmation des femmes à devenir sujet de l’histoire dans l’époque contemporaine, débouchent sur une crise insurmontable pour le modèle de l’amour fusionnel romantique. Cette évolution conduit à un changement inéluctable des modèles amoureux. p 20

Le changement de statut de la condition féminine a profondément bouleversé les repères affectifs. Les répercussions sociales de ces mutations sont innombrables. p 19

Il ne s’agit plus qu’un des deux partenaires disparaisse lors de la mise en couple. Chacun entend conserver son identité spécifique et affirmer le droit à une existence autonome. Symbolique de cette volonté, les femmes mariées entendront conserver leur "nom de jeune fille". Il est devenu hors de question qu’elles se résignent à abandonner leur activité professionnelle ou leurs anciennes relations amicales. p 266

Si les histoires d’amour fusionnel font encore rêver, du fait d’une nostalgie archaïque d’être pris en charge et pouponné, dans la réalité, les couples sont de moins en moins enclins à prétendre incarner le mythe. Non seulement le prince et surtout la princesse n’entendent pas disparaître dans un projet commun, et ce faisant renoncer à leurs ambitions et leur volonté d’épanouir une personnalité préexistante, mais ils sont également de plus en plus conscients que les concessions faites au nom de leur idéal ne font qu’entamer la longévité de leur relation affective. Ils ne veulent pas non plus renoncer au désir et au bonheur des jeux de la séduction et des nouvelles rencontres. Même s’ils demeurent prisonniers des anciens clichés et des références sociales du couple fusionnel, d’autres formes de vécu se mettent en place qui attendent leurs formulations et leurs représentations. p 303

Les anciens modèles ne conviennent plus mais on continue de les prendre pour références. Il faut surtout insister sur l’importance des représentations sociales de l’art d’aimer qui continuent à assurer principalement une socialisation amoureuse suivant l’ancien modèle, ce alors que les pratiques sociales ont changé. p 278

Les images infantiles sont également importantes. L’une attend une prise en charge docile par un bon père aimant tout en ne supportant pas le paternalisme d’un mari dominant ; l’autre a besoin du confort douillet et chaud dispensé par une maman secourable et étouffe dans les bras d’une épouse trop possessive. p 278

La relation ouverte sur le tiers ne peut être possible qu’élaborée sur la confiance et sur la non-exclusion. On ne peut pas mettre de limites au désir et à l’amour, car le limiter c’est le contraindre, empêcher son expansion et déclencher sa décroissance. Dans la relation ouverte, l’honnêteté est de mise, on ne se cache pas ses relations, c’est la règle prioritaire. En cas de cachotterie, la confiance n’est pas possible. C’est dans ce cas chacun pour soi... le modèle de la stratégie où il n’y a pas de véritable union, d’authenticité. Si le tiers est inévitable, alors la relation de réciprocité authentique n’est pleinement possible sur un long terme que dans une relation ouverte ! Comme Fourier l’avait décrit, ce sont les sentiments d’exclusivité, de possession, de secret qui entraînent la tromperie, la jalousie, l’hypocrisie, la méfiance et l’angoisse de la perte. Sans cela "tout rapport sexuel de l’un ou l’autre avec un tiers devrait être considéré comme une expérience joyeuse et agréable que votre partenaire peut partager dans son coeur et parfois même physiquement". 294 "Ne pas trahir, c’est cela la fidélité : je te jure, non de t’aimer toujours, mais de demeurer fidèle toujours à cet amour que nous vivons, de ne pas trahir le passé en le reniant". p 60

C’est la souffrance liée au sentiment d’abandon qui provoque la jalousie. Cette dernière serait une marque de l’exclusivité et du caractère inégalitaire du sentiment amoureux, d’une distribution injuste, non équitable. Celui qui se sent floué en se confrontant à un refus devient jaloux. Le choix signifie l’exclusion et la jalousie. Ce n’est pas le fait d’aimer, mais d’être trompé qui entraîne une réaction violente ou de souffrance [...] Avoir eu sa confiance flouée, l’impression du reniement d’un passé commun, entraîne la négation du moi. p 61

La relation fissionnelle s’accompagne surtout d’une transformation de la conception même de la sexualité qui revêt un caractère polymorphe [...] L’ouverture à des formes diversifiées de sexualités rend la délimitation entre le permis et le réservé plus délicate à définir [...] Un geste insignifiant pour l’un revêtira un caractère tragique pour d’autres. Selon que les individus se référeront au modèle fusionnel ou au modèle fissionnel, des mésententes et des incompréhensions surviendront. Ainsi Laura, dans Les Nuits fauves, prisonnière des schémas adolescents d’un amour possessif et exclusif par elle idéalisé, ne supportera pas les escapades de Jean. Même quand il s’agit d’une nuit de tendresse partagée avec une ancienne amante devenue amie, Laura n’y verra que raison à jalousie, réduisant toute relation physique à un empiétement sur son amour. Le film de Cyril Collard a le mérite de mettre en scène ce dilemme entre deux types d’amours, avec les nostalgies exprimées par Jean envers les rêves d’un amour romantique fusionnel qu’il sait impossible.p 285

(NB : tous les articles de cette rubrique sont accessibles en cliquant sur le mot-clé Love en haut de page à droite, ou ici.)

P.-S.

Article publié en mars 2004 sur le site de Jean Zin.

Un autre aspect de la question :

L’orgasme et l’Occident de Robert Muchembled

Notes

[1Cet article analyse et discute les propos de La déliaison amoureuse, De la fusion romantique au désir d’indépendance de
Serge Chaumier, Payot, 2004

© la revue des ressources : Sauf mention particulière | SPIP | Contact | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0 | La Revue des Ressources sur facebook & twitter