La Lémurie chazalienne est étroitement associée à la symbolique de la pierre. Chazal emprunte ici des références très nettes à la Bible qui a toujours considéré la pierre comme une matière sacrée. Il est sans doute intéressant de noter que Jules Hermann n’était pas non plus étranger à cette symbolique judéo-chrétienne et l’aspect sacré des montagnes est bien présent dans ses Révélations du Grand Océan.
Montagnes sacrées
« Toute pierre de forme ou de dimensions peu communes a toujours suscité [chez l’homme] le pressentiment de la puissance, explique Van der Leeuw dans son ouvrage La religion dans son essence et dans ses manifestations. Jacob, la tête « protégée » par une pierre sur laquelle il s’endort, fait un rêve merveilleux ; il constate dès lors –tout empiriquement - : « combien ce lieu est saint ! c’est ici bel et bien, la maison de Dieu, c’est ici la porte du ciel » Il prend la pierre, il la dresse et il y fait une onction d’huile. Il s’agit là assurément d’un récit étiologique ; on veut expliquer pourquoi telle pierre remarquable était l’objet d’un culte ; mais l’épisode ne reste pas moins caractéristique de la manière suivant laquelle on réagissait mentalement en présence de certaines pierres ». Ce comportement se retrouve dans ceux de Malcolm de Chazal : Petrusmok est un ouvrage rempli de descriptions de rituels ou de pratiques religieuses liés à la pierre, souvent érigée en totem plus ou moins païen. L’on peut se souvenir par exemple de l’épisode pendant lequel Chazal reçoit l’enseignement du « sage du septième ciel ». Selon ce personnage, le Piton du milieu, comme beaucoup d’autres obélisques naturels, est une représentation de la puissance virile, un symbole d’unité. Plus loin, Chazal stigmatise au contraire l’influence maléfique d’une autre aiguille rocheuse, « la tour de Babel ». Ce pic est considéré par le poète comme un symbole de division, corrupteur de « la langue commune ». Cette « tour de Babel » se révèle pour Chazal être une « fausse clé allant à toutes les portes, [un] moyen de piller la pensée d’autrui et de faire un assaut dans les âmes ».
« Des montagnes saintes, poursuit Van der Leeuw, il s’en trouve partout en ce monde, soit qu’on leur attribue simplement la potentialité, soit qu’on donne à cette puissance la forme d’un démon ou d’un dieu. Les montagnes éloignées, inaccessibles, souvent volcaniques [comme les montagnes de l’île Maurice], étranges ou sinistres, toujours majestueuses, sortent de l’ordinaire et, dès lors portent en elles la puissance du « tout autre ». Le Japon a son volcan sacré, le Fuji, que les pèlerins escaladent en groupes, à titre d’exercice religieux, sous la conduite de guides spirituels ; là se trouve le centre spirituel de la création. La Grèce a l’Olympe (mot hellénique qui signifie « montagne » […]. La Chine a son T’ai Shan, dans l’Est du pays ». L’île Maurice, qui subit l’influence de nombreuses traditions, n’a pas de mythologie propre. C’est probablement pour pallier ce manque que Malcolm de Chazal a eu l’idée d’écrire une sorte de geste de son île. Et, comme les autres peuples de la Terre, il se tourne en premier lieu, d’une manière naturelle, est-on tenté d’écrire, vers les édifices montagneux qui parsèment Maurice, sans doute pour conférer à l’île la dimension de séjour apprécié des divinités. Il reprend ainsi un schéma bien connu des anciens, en renouant avec l’aspect mythique et sacré des montagnes. L’on peut percevoir sans doute ici une nouvelle manifestation des ses influences bibliques. « Les expressions « montagnes saintes » ou « montagnes de Dieu » se retrouvent en effet plus de trente fois dans l’Ancien Testament » et sans doute autant de fois dans toute l’œuvre de Chazal. Ces occurrences attestent la grande place que les sommets tenaient dans la religion d’Israël et, par emprunt, dans la symbolique chazalienne. En cela, les Hébreux ressemblaient à leurs peuples voisins chez lesquels les sommets des montagnes étaient considérés comme des « lieux où les divinités se révélaient volontiers. [La voûte du ciel] reposait sur elles comme sur des colonnes naturelles » et pour s’en rapprocher, il fallait monter le plus haut possible. D’où les constructions de montagnes artificielles colossales qui furent édifiées par les Chaldéens ou les Egyptiens. « Les ziggourats d’Our portaient d’ailleurs le nom de « montagnes de Dieu » . Chazal semble animé de ce même élan qui poussait les hommes autrefois à considérer les montagnes de la terre comme de véritables divinités :
« Le message panthéistique de la Pierre joue ici, au sein du message chrétien, un rôle de décor de fond à la confirmation du Christ, faisant voir que le Christ était Révélation depuis le Commencement des Mondes, puisque la pierre le reflète et l’exemplifie ».
De même, le Pouce en particulier, rappelle toutes ces montagnes saintes que l’on peut rencontrer dans la Bible à de nombreuses reprises : le Sinaï, l’Horeb ou le Carmel. Toutes ces cimes ont souvent été considérées comme des résidences de Dieu et même chez Chazal comme dans les traditions des peuples voisins d’Israël, Dieu lui-même. C’est là la grande différence qui existe entre la montagne chazalienne et la montagne biblique. Pour les Hébreux, ce n’est pas la montagne qui est puissante, ce n’est pas la montagne qui est Dieu, mais c’est Dieu qui est la force à quoi et à qui rien ne résiste, d’où tout procède et dont tout dépend. Collines, montagnes et rochers sont à la merci de YHWH : il les ébranle, il les fait trembler, il les fait chanceler par le seul son de sa voix.
Dieu, le rocher
Les différents auteurs de la Bible associent volontiers Dieu au rocher en employant parfois des expressions qu’il faut manier avec précaution : en aucun de ses textes la Bible ne laisse entendre que le « rocher est Dieu » comme n’hésite pas à le faire Malcolm de Chazal dans Petrusmok : « Le mont seul est divin », Par contre, les textes disent « Dieu est le rocher », c’est-à-dire un appui, le fondement de la foi des hommes :
« Et nulle plus qu’elle ne vit [la roche] pourtant, parce qu’elle touche aux premiers principes et elle est le dernier du vivant, sur quoi tout se base, et sur quoi tout s’appuie, sans elle ce serait le vide et le néant »
De même, tout ce qu’il exprime et tout ce qui vient de lui possède la solidité de la pierre. C’est sans doute à la lumière de cette affirmation qui lie d’une manière un peu étrange le roc et Dieu, qu’il nous faut interpréter et comprendre les textes chazaliens mettant en relation la représentation de Dieu avec un symbole minéral ou ceux touchant aux liens entre la divinité et les montagnes sacrées de Petrusmok.
Dans la Bible comme chez Malcolm de Chazal, le Rocher crée et enfante des êtres divers. Symbole de mort par moment chez le poète, il est très souvent associé à l’idée de fécondité. C’est sans doute sous l’influence de certaines lectures bibliques comme celles du livre d’Esaïe 51, 1-2 par exemple, que Chazal a envisagé d’introduire dans la symbolique du rocher l’idée selon laquelle il pourrait être source de vie. L’épisode de la Nouvelle Naissance par exemple se déroule dans une caverne constituée par de parois rocheuses extraordinaires :
« Je suis dans une Coquille. Cette Coquille est contenue. Cette Roche est une Eglise, Utérus de pierre contenant une Fleur, Fleur de Chair contenant l’Enfant Eternel, fille-fleur de la Vérité et de la Foi, de l’Eau et de la Roche intégrées.
Je touche ses parois. Elles sont lisses comme l’Intérieur d’une Femme ».
La montagne, berceau de l’humanité
Derrière cette allégorie de la Nouvelle Naissance s’en cache une autre, faisant de la montagne sacrée le berceau véritable de l’humanité. La Bible considère Sion, « la montagne sainte du Seigneur », comme le lieu sur lequel se bâtira Jérusalem et son Temple. Mais la référence la plus intéressante pour nous est sans doute celle donnée par le Psaume 87 dans lequel on peut lire que :
« […] Le SEIGNEUR a fondé Sion sur les montagnes saintes,
il en aime les portes
plus que toutes les demeures de Jacob.
On fait sur toi des récits de gloire,
Ville de Dieu !
Je mentionne Rahav et Babylone
Parmi ceux qui me connaissent.
Certes, c’est en Philistie, à Tyr ou en Nubie,
Que tel homme est né.
Mais on peut dire de Sion :
« en elle tout homme est né,
et c’est le Très-Haut qui la consolide ! »
Le SEIGNEUR inscrit dans le livre des peuples : « A cet endroit est né tel homme »,
Mais ils dansent et ils chantent :
« toutes mes sources sont en toi ! »
L’idée selon laquelle les montagnes seraient à l’origine de l’humanité n’est pas étrangère à Malcolm de Chazal. L’exemple précédemment cité de l’épisode de la « caverne rose » est particulièrement expressif : c’est de la roche que naît l’homme nouveau, l’homme ressourcé spirituellement, l’homme prêt à accueillir Dieu dans sa nouvelle existence d’homme tout entier tendu vers la perfection.
L’on peut se demander cependant si cette idée qui consisterait à envisager la pierre comme le berceau de l’humanité n’a pas une autre fonction allégorique. Malcolm de Chazal, nous l’avons souligné à plusieurs reprises, est très préoccupé par les problèmes liés à l’anthropologie. Il ne serait donc pas surprenant qu’il se soit aussi servi du matériau constitué par la recherche anthropologique pour construire patiemment l’architecture complexe de Petrusmok. En effet, tous les paléontologues s’accordent entre eux pour affirmer que le cataclysme survenu à la fin du jurassique a marqué la fin du règne des dinosaures et le début de celui des mammifères. Or, l’ancêtre commun de tous les mammifères est le lémurien, un petit animal mobile et résistant, capable de s’adapter aux conditions climatiques les plus difficiles. « Si les lémuriens n’avaient pas survécu, explique l’anthropologue Joël de Rosnay , s’ils n’avaient pas été capables de se nourrir de baies dans leurs trous au moment où les dinosaures ont disparu, nous ne serions pas là ». Malcolm de Chazal a-t-il rapproché ces données anthropologiques et la symbolique biblique de Sion ? Il m’est très difficile de me prononcer d’autant plus que je ne possède aucune attestation sur laquelle je puisse m’appuyer pour fonder un jugement sans appel. Il me semble intéressant cependant de souligner cette correspondance curieuse entre deux domaines qui dans l’histoire de l’humanité ont bien souvent été associés. Il faut noter quand même que le rapprochement trouve rapidement des limites : pour les anthropologues, le lémurien est un élément fondamental de l’évolution qui a permis l’émergence de nouvelles espèces. Pour Chazal, le lémurien n’est pas qu’un simple maillon de l’évolution. Il appartient à une race supérieure à la nôtre qui fait de lui une sorte de Dieu en exil.
La mobilité des montagnes
Par contre la référence aux troglodytes peut s’expliquer par ailleurs, en plus de l’apport constitué par l’anthropologie, par un emprunt à la culture hindoue, si influente à Maurice. Les hindous adorent en effet les montagnes, parce qu’elles constituent pour eux un lieu de refuge, « et cela non pas à cause de leur grandeur, précise Van der Leeuw, mais parce qu’elles sont chargées de puissance. C’est ainsi que les montagnes peuvent aller et venir sous des formes quelconques, tandis que leur « corps » reste immobile. Ce ne sont pas les montagnes elles-mêmes que l’on vénère, c’est leur puissance. Et cette puissance se meut : « les montagnes sont notre refuge, elles prennent des formes à leur gré, et dans les forêts, elles vagabondent sur leurs propres cimes ». Chazal semble avoir été informé de cette perception hindouiste des montagnes. Une série de petits textes poétiques contenus dans Petrusmok contribuent à affirmer que les montagnes mauriciennes s’animent si l’on sait les envisager avec le regard candide de l’enfant. La montagne devient alors une pierre précieuse qui accepte d’offrir ses secrets à ceux qui savent, par leur regard, apprécier la pureté de ses trésors. Dans « le Pouce va vers l’amour » par exemple, les montagnes de Maurice se transforment en une flotte de navires qui tentent de gagner Port-Louis. Chazal insiste comme les textes hindous, sur la mobilité extrême des massifs montagneux. Du Trou-aux-Cerfs où il se trouve, il les voit tourner comme s’ils se trouvaient sur quelque carrousel géant. (« Les montagnes de l’île Maurice tournent »). Plus au nord, il surprend le Pouce en pleine course dans le Champ de Mars tandis que la Montagne des Signaux s’évente…
La montagne, demeure de Dieu
Par ailleurs, la montagne chazalienne, à l’image de la montagne biblique, est présentée souvent comme la « demeure de Dieu » :
« Les génies habitent les montagnes. Des dieux y sont, et des géants. […] Où seraient-ils sinon sur les montagnes, le seul lieu digne d’eux ».
La montagne est par ailleurs le lieu où la divinité rencontre l’homme pour sceller avec lui des engagements éternels. L’influence de la Bible est encore ici très forte. Petrusmok en particulier mentionne l’apparition à plusieurs reprises du personnage de Moïse. L’île Maurice à cette occasion devient le théâtre sur lequel se jouent les grands épisodes de l’histoire de l’humanité : Chazal, par la transe, devient le spectateur privilégié de la Première Alliance. Il arrive même que le poète, sous l’effet d’une curieuse assimilation, se substitue au patriarche-guide d’Israël :
« Le Sinaï mauricien était devant moi et j’étais Moïse. […] Sur l’os du Sinaï est Moïse. Il regarde. Un ami est derrière lui, tapi, assis, regardant Moïse qui avance vers une pointe de rocher comme pour se jeter dans le vide. L’homme derrière lui voit, et il est muet : il voit Moïse qui voit l’Eternel. […] Et les doigts de feu parlent, non venant du ciel, mais de la roche elle-même. La pierre se soulève de son lit comme un corps, comme un pré-Lazare qui ressuscite. […] Moïse ne vit pas Dieu dans les cieux, mais il le vit dans la pierre du Sinaï ».
Selon les différents textes bibliques à partir desquels Chazal puise son inspiration ici, tantôt Moïse écrit sous la dictée de Dieu, tantôt c’est Dieu lui-même qui écrit ou qui grave ses Paroles. Selon certains détails de ces textes, Dieu a créé spécialement les deux tables de pierre. Il aurait aussi créé un saphir spécial pour la gravure de la Loi, dur comme le diamant. Quant à Deutéronome 27, 1-8, il est très intéressant pour la compréhension même de Petrusmok car il stipule que la Loi devra être ultérieurement gravée sur des pierres levées.
Il leur sera adjoint un autel de pierre non taillé par le fer… La présence obsédante de cette interdiction biblique de graver la pierre dans Petrusmok peut sans doute s’expliquer par cet emprunt biblique :
« Tailler la pierre, c’est faire un corps trop tôt de cette résolution, c’est précéder au lieu de suivre, c’est déformer et blasphémer l’Ordre Divin ».
Cette thématique de la montagne / lieu de rencontre avec la divinité, parcourt tout le texte de Petrusmok. C’est sur les montagnes que Dieu se révèle et en particulier sur celles qui représentent un symbole positif, comme la montagne du Pouce par exemple : Pour Malcolm de Chazal, le Pouce est avant tout un lieu saint parce qu’il est « un lingam. […] Il a de multiples visages [qu’il a soigneusement] notés dans Petrusmok » . Sur les différents versants de cette montagne, il a vu, « en tournant le mont de l’ouest par le nord » : le « LINGAM » qui symbolise « l’Unité du Père », « le PHALLUS », « son geste créateur », « un CHRIST (bras étendus), « le Fils », « un ESPAGNEUL », « la représentation du Père » et un « SPHINX-AGNEAU », celle du « Fils ».
Toujours sur le Pouce, mais aussi sur Le Saint-Sépulcre (Le Corps-de-Garde dans sa représentation bénéfique), d’autres figures mythiques ont été trouvées par Chazal au cours de ses excursions. Parmi celles-ci, l’on peut rencontrer des corps doubles androgynes, qui symbolisent le Bien parce qu’ils sont soudés « entre-eux par la tête » et non par le dos comme ceux que l’on trouve sur le Pieter-Both. Mais ces androgynes bénéfiques ne sont pas les seuls symboles du Bien que le promeneur attentif peut observer sur le Pouce : Il existe aussi en ces lieux des « Cariatides », ainsi nommées en raison de leur ressemblance avec les statues-piliers que l’on peut admirer sur l’Acropole à Athènes. « Ce sont des corps trouvés aux fenêtres de basalte. Il en est deux de typiques : ceux placés aux deux fenêtres à gauche du Pouce, vues de Port-Louis. […] Ces figures mythiques sont des concierges pétrés, images de prophétesses et de vigies, gardiennes de la foi et introductrices de vérités, Cerbères célestes des portes de l’intuition. […] Toutes deux sont des anges-gardiens des royaumes de l’In-vu. […] Leur retrouvée au sein du cirque du Pouce et sur les versants de ce mont et de cette chaîne, est symbole encore plus probant de l’unité. Ces corps-colonnes sont des symboles de l’unité humaine, lingam de corps terrestres et relatifs par rapport à l’Unité Divine Absolue que le Lingam du Pouce incarne ». Car « Le mont est le seul lieu où se voient les intentionnalités du divin, écrit enfin Chazal, chemin des Oracles, Escaliers des prophéties, Route Directe vers le Royaume des Causes, devant [lui] les autres gestes de la vie sont chemins détournés ».
Montagnes maudites
Mais les montagnes chazaliennes peuvent aussi symboliser le Mal ainsi que ses représentations. Tel est le cas du Pieter-both, par exemple, imaginé par Chazal comme le lieu de toutes les dépravations. Ce lieu est une véritable Babylone mauricienne. Le Mal semble se concentrer dans la pierre de cette montagne curieuse au sommet de laquelle un énorme rocher paraît tenir en équilibre.
De septembre à décembre 1950, Chazal, poussé par une intuition, entreprend une prospection minutieuse des pentes du Pieter-both afin de comprendre les raisons qui font de ce lieu une localité maudite. A l’imitation de Jules Hermann, qui avait découvert un zodiaque pétré gravé dans la pierre de la montagne Saint Denis à la Réunion, Chazal va découvrir douze figures terrifiantes qui représentent les douze apôtres de la « Contre-Jérusalem céleste » donnant ainsi assemblées, les clés de la compréhension du mythe de la Chute. Selon lui, se dressent sur le Pieter-Both, d’une manière parfaitement ordonnée, Satan, le Roi du monde, le Porc couronné, l’Homme au pschent, l’Homme à la tour, la Femme et le Singe, le Démon, Le Roi rouge, l’Empereur des ténèbres, le Roi double, l’Homme qui prie, la Femme et l’Homme rouge :
« Voici mon Satan, le Refus de Dieu, cause de tous nos maux, et dont le produit immédiat est l’égoïsme, cet horrible Amour de Soi.
Et je passe au Roi du monde, à l’Amour de la Domination, le Glaive et le Poing et l’Actuel et l’imposition de toutes les contraintes.
Et voici le Porc couronné, le sensuel et le charnel de l’esprit.
Puis l’Homme au pschent, incarnation de l’orgueil sous toutes ses formes.
Et voilà, à ce tournant, l’Homme à la tour, visage de dureté, de mutisme de l’âme, geste mythique de la perte du Verbe.
Et la Femme et le Singe chevauchent entre Crève-Cœur et la Vallée des Prêtres, Macoko en symbole du divorce intérieur.
Et en pleine Vallée des Prêtres est le Démon et ses Victimes, symbole de la Possession Diabolique.
Et la haine, au centre du cirque, et la colère, et l’esprit de meurtre, sous le visage du Roi rouge.
Et l’aveuglement et la folie se présentent sous la face de l’Empereur des ténèbres, mythe à cheval sur la Vallée des Prêtres et Moka.
Et enfin Moka se déroule.
Voici le Roi double, symbole d’hypocrisie.
Et l’Homme qui prie, image d’irréligiosité, mythe de haut en bas de religion, invocation et appel par force, du Divin, dans des buts maléfiques, pour en soustraire sa Force.
Et enfin en dernier, la Femme et l’Homme rouge, la Fausse Eglise, en mariage infernal avec la fausse prophétie, synagogue de Satan, dernier anneau du Dragon, geste suprême du cycle infernal, Suprême Tombée profanation et engloutissement dans le Mal.
Et la Chute est terminée, et Adam et Eve sont morts, et la femme est enceinte de Satan qui revient à droite du Mont qui tourne. L’Arbre de la Mort a fait voir toutes ses branches. Les douze mythes-apôtres du Mal sont là, le Contre-Eden, les douze portes infernales de la Contre-Jérusalem Céleste ».
Soucieux de mettre en ordre le résultat de ses investigations mystiques, Chazal élabore un schéma qui coordonne ces douze mythes pétrés entre-eux. « Et voici que tout s’ajuste extraordinairement, magiquement en unité ». : il dispose sur une feuille de papier ses douze personnages en cercle, en assignant à chacun d’eux une lettre. Au centre de ce cercle « magique », il place le sommet du Pieter-Both, schématisé par la lettre O. Il trace ensuite des diagonales afin de relier les différentes figures mythiques entre elles. A partir de ces six diagonales, il obtient six syllabes qu’il juge diaboliques : HOH, GOG, ROR, FOF, MOM et KOK. Par manipulations, Malcolm de Chazal fait naître également sur le papier trois croix infernales : celle de Satan, celle de Lucifer et celle du Diable. A partir de ces éléments, il déduit que le Pieter-Both est le lieu de l’incarnation pétrée de la Chute. En effet, il semble que cette montagne ait cristallisé l’ensemble des manifestations maléfiques de l’Univers. Le Pieter-Both dans Petrusmok semble exercer les mêmes fonctions que Babylone dans la Bible. Le Pieter-Both est en effet le « fléau de Dieu » que la divinité utilise pour conduire l’humanité vers la pureté, épreuves après épreuves. Il est aussi la représentation de la montagne du Mal par excellence. Comme Babylone, elle « s’est dressée devant YHWH avec orgueil et insolence . Elle a multiplié les crimes : sorcellerie, idolâtrie, et cruautés de toutes sortes ».
Autres localités maléfiques
A côté du Pieter-Both, il existe d’autres localités infernales qui représentent elles aussi le Mal, mais d’une manière moins intense. Tel est le cas du Corps de garde, situé à l’ouest de l’île. Au cours d’un voyage extatique, Chazal se rend sur les hauteurs de cette montagne. Là, il aperçoit un monstre qu’un peuple en délire adore. Sur ses genoux, un mort est étendu de tout son long. Ce monstre effrayant est TOT, l’incarnation de la mort. Quatre prêtres se saisissent du corps défunt et le précipitent dans un abîme, ouvert sur la droite : TOT avale ainsi les offrandes que les lémuriens lui offrent. Le Corps de garde apparaît donc comme le temple de la mort pour Chazal.
Cependant, cette localité possède aussi une face rédemptrice : le dos du monstre est un « lingam divin » dont les lémuriens se servent pour accomplir des cérémonies d’enterrement. Ce lingam étant naturel, c’est-à-dire non taillé, la magie divine se perpétue en ces lieux. Chazal retire de cette vision un enseignement précieux. La face du monstre sculpté symbolise la mort tandis que son dos et le lingam qui s’y trouve représentent la résurrection. Les montagnes de Petrusmok peuvent donc être ambivalentes, à l’exception du Pouce et du Pieter-Both qui sont toutes les deux tournées respectivement entièrement vers le Bien ou vers le Mal.
Le Corps de garde communique physiquement et surtout symboliquement avec d’autres lieux. C’est ce que Chazal découvre par hasard au cours d’une transe. Durant la nuit du 24 au 25 juillet 1950, il se sent transporté au pied d’un promontoire au pied duquel se cache l’entrée d’une caverne. Il a la conviction de se trouver à l’ouest de l’île à cause du soleil couchant qu’il voit derrière la porte entrouverte, sur la mer. Il en déduit qu’il est sur l’Ile-aux-caves dans une grotte qui aurait servi jadis à des pirates, à des receleurs ou à des criminels. Il a l’intime conviction de se trouver dans le temple des choses cachées, dans le sanctuaire du Mal. Il s’enfonce peu à peu dans la caverne, sorte de long boyau s’ouvrant et se fermant par alternance où s’exhalent des gaz malodorants. Les murs tout autour de lui sont recouverts de représentations de bêtes plus immondes les unes que les autres : des serpents, des limaces géantes, des crocodiles et des scorpions polyformes formant « l’enfer des formes en représentation ». Puis, il rencontre des hommes de couleur rouge. Lorsqu’ils se mettent à parler, ils se « grenatisent ». Leur langage est fait de mots immondes, de couleur rouge à leur émission, tendant ensuite vers le noir, la marque du Mal.
La grotte de Pointe-aux-caves symbolise pour Chazal « le sens faussé des montagnes », une représentation diamétralement opposée à celle proposée par la Caverne rose par exemple, qui elle, est source de vie.
La roche peut donc revêtir chez Malcolm de Chazal deux aspects différents qui peuvent être par moment intimement liés. Si la pierre est brisée ou fracturée par la main impie de l’homme, elle révélera sa face diabolique : tel est le cas par exemple du Pieter-Both. Si au contraire, elle se présente sous un aspect naturel et préservé de l’action de l’humanité, elle symbolise la divinité et peut même être assimilée à elle dans certains cas comme dans celui de SUB, le Piton du milieu. Cette classification de la roche en pierres maléfiques et bénéfiques permet à Chazal de dispenser un enseignement, fort nébuleux, il faut bien le reconnaître, sur la genèse de l’univers : selon lui, l’homme est responsable de la division de l’Un. De fait, stigmatiser l’action humaine sur la pierre est un moyen, sans doute, de faire comprendre au lecteur que l’être humain ne doit pas céder aux assauts de l’orgueil le poussant à vouloir se substituer à Dieu en toutes circonstances, un orgueil qui l’a conduit à détruire l’Unité parfaite qui prévalait avant le commencement.