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La tombe de Nietzsche 

dimanche 5 octobre 2003, par Béatrice Commengé

Le mois de juin est la saison des coquelicots. Ils se pressent au bord des fossés, là où on les laisse encore vivre, entre route et blé. Quand on roule, on les espère comme un morceau d’enfance. Quand on les voit, on n’a pas perdu sa journée, ni son voyage. Ils disparaissent si vite que bientôt on chuchotera les bonnes adresses dans le creux des oreilles amies. J’en connais une. Je la livre à tout le monde, tant pis :

Röcken.

Est de l’Allemagne. Au temps où on écrivait "Allemagne de l’Est", je n’avais pas eu assez d’énergie pour m’y faufiler, entre visas et tampons. Je n’avais même pas eu la curiosité de le chercher sur une carte ; je me contentais d’un très vague "autour de Leipzig"... Leipzig semblait plus inaccessible que la lune. La sensation n’était pas désagréable. On méditait sur le proche et sur le lointain. Les distances ne se mesuraient plus en kilomètres. Röcken était au bout du monde. Traduisez :

La tombe de Nietzsche était au bout du monde.

Une moitié de l’Allemagne tournait le dos à l’autre, et le monde oubliait doucement le village où NIetzsche était né. En 1993, Röcken est encore ignoré des guides de langue française - qu’ils soient vert, bleu, Baedeker, Acropole, Marco Polo, routard ou futé. Dans les index, Nietzsche est absent. A Weimar, Goethe et Schiller ont pris toute la place - pas la plus petite note en bas de page pour signaler que dans la villa Silberblick, le 25 août 1900, Nietzsche est mort, en plein midi, un samedi.

Trois jours plus tard, le mardi 28, son corps avait été transporté à Röcken pour y être inhumé, au pied de l’église, à côté de ses parents et de ce petit frère Ludwig qui n’avait vécu que deux ans. Qui s’en souvenait ?

Avec ce siècle, sa gloire avait explosé. Sa soeur Elisabeth avait créé les Nietzsche-Archiv et s’était attachée jusqu’à sa mort (1935) à modeler l’oeuvre de son frère selon ses propres convictions. Elle coupa, supprima, brûla… Hitler avait été otellement séduit par la Volonté de Puissance qu’Elisabeth avait eu droit, à Röcken, à des obsèques "nationales". Ainsi avait-on enterré pour longtemps le Gai Savoir... Dans l’Est de l’Allemagne, on tenta d’oublier le fils de Röcken, tandis que le reste du monde découvrait ses "fragments posthumes" délivrés de l’oeil de sa soeur. On pouvait lire, gravé dans le marbre, des traces de ses passages à Nice, à Eze, à Rapallo, à Sils Maria : Nietzsche était redevenu l’apatride, l’exilé, l’éternel errant et, s’il avait une tombe, elle ne pouvait se trouver qu’au somment des Alpes ou au pays de Dionysos… Nietzsche prenait sa revanche : peut-être même avait-il réussi au-delà de ses espérances... Nietzsche grec, italien, français... Mais Röcken ? Röcken existait toujours - avec ou sans guides.

Röcken s’étendait "le long de la grand-route qui relie Weissenfels à Leipzig en passant par Lützen" : voilà ce qu’écrivait, à dix-neuf ans, l’élève du collège de Pforta, en 1863. "De tous côtés, il est entouré de bouquets de saules, de peupliers et d’ormes épars, de sorte que dans le lointain, seules les hautes cheminées et l’antique tour de l’église regardent par-dessus les vertes cimes..." Röcken, peu à peu, prenait forme dans mon esprit. C’était donc bien un village, au bord d’une route, peut-être même d’une voie ferrée. Cependant, j’eus bien du mal à trouver une carte routière assez détaillée pour y voir figurer son nom. Il me fallut aller jusqu’en Suisse. C’était une façon de se rapprocher. La "grand-route" portait le numéro 87 : elle était jaune. Elle se poursuivait sur Naumburg et Weimar, sans changer de numéro : je pourrais donc suivre le trajet du cercueil.

Dès que j’eus franchi l’invisible frontière de cet Est de l’Allemagne, je me remis en quête de signes. Les touristes affluaient dans la région, m’avait-on raconté. Dresde reconstruisait son église, le Zwinger avait retrouvé ses tableaux, on imprimait des cartes postales. A Weimar, les maisons de Schiller et de Goethe sentaient la peinture fraîche. Mais Röcken ? Dans les librairies, je me jetai sur les index des guides les plus récents, ceux qui ne séparaient plus l’Est et l’Ouest. Le plus souvent, entre Robel et Roseburg, on ne trouvait rien.

Mon insistance fut pourtant un jour récompensée : dans le Merian Reiseführer, édition 1993, la tombe était photographiée. Le philosophe avait même droit à un assez long commentaire qui se terminait par ces mots : "Röcken est demeuré le petit village endormi qu’il était. Ainsi, pas le moindre panneau n’y signale l’existence du plus grand fils de la commune."

Il ne me restait plus qu’à prendre la route. A la sortie de Leipzig, la fameuse 87 portait le nom de Lützenstrasse. Je brûlais. Sur plus de dix kilomètres, elle traversait des cités de béton que longeaient les rails d’un tramway. On avait rasé tous les saules. Des tours grises les avaient remplacés. Selon ma carte routière, Röcken se trouvait à une vingtaine de kilomètres de la ville. Celle-ci l’aurait-elle avalé ? Un champ de luzerne mauve, derrière le béton, me redonna quelque espoir. La "grand-route", fraîchement goudronnée, se faisait plus sinueuse. Elle traversait même quelques prés et se bordait de cerisiers. Lützen m’apparut comme un gros bourg qui sentait déjà la campagne. Passé le dernier croisement, la voiture s’est mise à vibrer : ici, rien n’avait changé, on roulait sur les vieux pavés. Si j’avais un conseil à donner au futur voyageur à Röcken, je lui dirais qu’il peut, en toute confiance, se laisser glisser sur la "grand-route" jusqu’à ce que le grondement des roues sur la chaussée le fasse sursauter : alors, si l’on est au mois de juin, je lui demanderais de ne plus quitter des yeux les bas-côtés : dès qu’apparaîtront les premiers coquelicots, il saura qu’il se trouve sur la dernière ligne droite. La vue est dégagée. Röcken est en pays plat - au milieu des champs d’orge verte. Je devinai quelques peupliers. Les ormes avaient dû mourir. Le clocher ne m’est apparu qu’une fois franchie la dernière courbe, juste à l’entrée du village, là où on avait planté un panneau (depuis quand ? il sentait le neuf) sur lequel on pouvait lire, encadrant le profil du grand homme : "Lieu de naissance et dernière demeure du philosophe Friedrich Nietzsche (1844-1900)"

Röcken s’et mis tout entier à l’abri d’un seul côté de la "grand-route". Il ne s’est pas laissé éventrer. De l’autre, passe la voie ferrée - un rail unique, coupant l’herbe haute, dont on sent le proche abandon. Je suis arrivée au village à la tombée du jour, dans une lumière dorée. Le clocher de "l’antique tour" était mon seul repère. Les pluies récentes avaient raviné les chemins. A Röcken, on connaît encore peu le goudron. Cours de fermes dissimulées derrière de grands portails. Odeur de fumier. Corbeilles d’argent poussant sur les trottoirs. Pas de voitures. Les enfants jouaient dans le crépuscule. Le soir semblait leur appartenir. J’ai cherché les "grands étangs" dont parlait l’élève de Pforta : il n’en reste qu’un seul, au bord duquel pêchaient deux jeunes garçons. L’étang donne son nom à la rue : Teichstrasse (mais je doute que les rues aient besoin d’un nom pour le facteur). Teichstrasse mène au presbytère. Je n’ai pas frappé au numéro 8 ; j’ai préféré contourner le jardin. Deux petites filles me précédaient sur leurs vélos. Elles étaient fières de me montrer qu’elles avaient deviné mon but. Elles se sont arrêtées devant l’église et ont couché leurs bicyclettes sur l’herbe, au pied d’un chêne. Le soleil éclairait encore la façade de la haute "tour" - une façade sans porche, en pierres de taille, lisse et nue. A cette heure, la petite porte verte à deux battants était fermée. Les tombes se trouvaient sur la droite, à l’ombre, tout contre le mur de l’église, dissimulées derrière un bouquet de jeunes sapins.

Trois tombes, orientées sud/sud-est, devant lesquelles on a planté des rosiers rouges :

Friedrich.

Elisabeth.

Carl Ludwig, Ludwig Joseph et Franziska.

Elisabeth (qui avait survécu trente-huit ans à Franziska et trente-cinq à Friedrich) s’était donc réservé la place centrale et avait tenu à ce que sa tombe soit en tous points semblable à celle de son frère : un lourd couvercle de granit noir, dominant légèrement la pierre rose un peu, pâlie de la tombe des parents et de ce petit frère qui, le 4 Janvier 1850, cinq mois seulement après la mort du pasteur, "avait suivi son père dans l’éternité". Friedrich n’avait pas six ans. Ce fut la fin du paradis.

J’ai fait le tour de l’église pour rejoindre, par derrière, la maison du pasteur, une grosse bâtisse carrée à deux étages aux murs aujourd’hui recouverts d’un triste crépi. "C’est ici que je suis né, le 15 octobre 1844, et que j’ai reçu le nom qu’appelle mon jour de naissance, celui de Friedrich Wilhelm", écrivait-il, à dix-neuf ans, ici, dans cette maison "cernée de jardins et de vergers, ombragée par la vaste ramure de trois acacias de belle taille", c’est ici qu’il a grandi, entre l’église et le cimetière "rempli de croix et de tombes à demi affaissées", ici même, dans ce village d’eau entouré de vert. On a scellé une plaque sur le mur Est (côté tombes, donc), à hauteur du premier étage : "maison de naissance de F. Nietzsche. "

L’unique acacia que j’aperçois derrière la maison n’a sûrement pas cent cinquante ans, pas plus que le cerisier du jardin, ni le buisson de seringua. Lupins bleus et lys orangés sont en fleurs. L’herbe n’a pas été tondue. Croix et tombes "affaissées" ont disparu. On a supprimé les noms des morts que Friedrich, enfant, venait lire sur les pierres (se trouvaient-elles là où on a installé ce banc de bois bleu, juste en face des trois tombes, à l’ombre d’un buisson de troènes ?)

Je me suis promenée dans le village jusqu’à la nuit, qui ne fut jamais tout à fait noire. Une pleine lune rousse s’était levée du côté de la voie ferrée ; je l’ai remarquée au moment où s’est arrêtée une vieille locomotive rouge tirant deux wagons vides encore marqués du sigle de la D. D. R. Même sans passagers, le train était à l’heure. Röcken n’est pas une gare, c’est une simple halte marquée par deux croix blanches au milieu des champs. Je me demandais si l’on pouvait se rendre à Leipzig en suivant ce rail unique. Personne ne fut capable de me dire en quelle année on avait créé la voie. Les petites filles s’étaient lassées de me suivre ou de me précéder. Elles ne comprenaient plus ce que je cherchais, si loin de la tombe. J’avais remarqué une auberge au bord de la route pavée : "Zur Linden", "Au Tilleul". Apparemment, le tilleul était mort. L’étrange, c’était que Nietzsche non plus ne parlait pas de tilleul. Il y eut donc l’ère des saules et l’ère du tilleul : aujourd’hui dominaient les bouleaux, autour de l’étang.

En me dirigeant vers l’auberge, j’ai aperçu au fond d’une cour (peut-être celle de l’école : on y voyait des bonhommes de neige dessinés sur un mur par des mains d’enfants) un panneau noir de plusieurs mètres à demi caché sous un préau et sur lequel était inscrit en lettres gothiques dorées : "Herzlich willkommen in Röcken - Geburtsort des Philosopen Friedrich Nietzsche". Le panneau était au moins aussi large que la route : avait-il un jour accueilli les visiteurs à l’entrée du village ? Avait-il accueilli les officiels nazis le jour des obsèques nationales d’Elisabeth ? Depuis quand dormait-il ici ? Pourquoi lui avait-on préféré la sobriété d’une inscription noire sur fond blanc ? . . .

J’ai dîné à "Zur Linden" sur une petite terrasse abritée du vent. Ce vendredi ressemblait à un soir de fête : une longue tablée de filles célébrait un anniversaire, ou peut-être la venue de l’ été, ou la pleine lune... ou leur indépendance. A côté, les hommes jouaient aux cartes. Rires de bière et de vin mousseux. Musique. La serveuse (25 ans) n’avait pas connu le tilleul ; toute sa vie, elle avait vu passer des étrangers qui voulaient voir la tombe de celui qu’elle n’avait pas lu, on venait même d’Amérique... Qu’y avait-il donc, dans ces livres, pour qu’ils les attirent tous jusqu’ici ? Elle n’avait aucune envie de percer le mystère. La vie reste douce, à Röcken.

On avait installé un haut-parleur sur la terrasse, afin que nul ne soit privé des rengaines à la mode et je me demandais s’il serait possible de dresser la liste de tout ce qui n’était pas là quand Friedrich Wilhelm vint au monde... les pavés (et le bruit des voitures), les poteaux de bois et les fils électriques, le rail et les wagons verts, les femmes seules buvant du champagne, les enfants à bicyclette, "Zur Linden" et son enseigne de néon, les noms des rues et les numéros... Et les cloches de l’église ? Ont-elles aujourd’hui le même son qu’en cette matinée de Pâques où elles avaient surpris et enchanté l’enfant de cinq ans qui rentrait à pied de Lützen avec son "père bien-aimé" ? "Ce tintement résonne si souvent en moi, écrivit Nietzsche à quatorze ans, que la nostalgie m’entraîne aussitôt vers la lointaine et chère maison paternelle. Comme le petit cimetière est encore vivant devant mes yeux !... Jamais je n’oublierai la demeure du pasteur, qui s’est gravée au fond de mon âme à grands coups de burin..."

L’adolescent ne reculait devant aucune métaphore : rien n’était trop beau pour Röcken.

J’ai voulu voir la tombe au soleil, le lendemain, mais les cloches n’ont pas sonné. La petite fille de la veille m’a reconnue et a chuchoté quelques mots à l’oreille de sa grand-mère... Rares sont les visiteurs qui viennent deux fois... Je n’allais pas lui expliquer que c’était pour la lumière. J’ai sonné au numéro 8, mais on n’a pas répondu. Comme Nietzsche en 1850, je devais prendre la route de Naumburg (" dès le point du jour, on attela les chevaux ; nous partîmes par la brume matinale en direction de notre but... "). J’espérais y trouver sa maison, dont je ne possédais qu’une adresse incomplète : Neugasse. Rue Neuve. Les rues neuves se débaptisent sans scrupules.

Curieusement, à peine franchies les limites de la commune, la route a perdu ses pavés. On glissait vers l’avenir sur du bitume fraîchement coulé.

Il faut aujourd’hui bien moins d’une heure pour se rendre de Röcken à Naumburg. Le paysage se plisse un peu. L’enfant Nietzsche y vit des "montagnes" et des "vallées creusées par les fleuves"... "c’est là que j’appris à aimer la nature", écrit-il, au coeur de ces collines vertes, au bord de la Saale. Neugasse s’est perdue dans sa mémoire et dans celle de Naumburg. A l’office du tourisme, on vous dirige sur "Weingarten" numéro 18, que la famille occupa de 1858 (Friedrich a déjà quatorze ans) jusqu’à la mort de Franziska (1897). Une rue calme, un peu délaissée, à l’entrée de la ville, contre ce qui fut un jour les murailles. La maison est à l’angle, là où se rejoignent Wenzels et Jacobsmauer.

"Vous la reconnaîtrez facilement, m’avait-on dit, elle est en rénovation. On a décidé d’en faire un musée."

Nietzsche aura donc "sa" maison, comme Goethe, comme Schiller, la maison de Franziska et d’Elisabeth, celle qu’il n’avait choisie ni pour vivre, ni pour mourir, le refuge du collégien de Pforta ou du fou de Turin. Les femmes ont gagné.

On a vidé la maison de ses meubles et de ses derniers occupants. Sur le trottoir sont entassés sommiers, poussette, canapé et télévision. Dans quelques mois, tout sera propre, prêt pour visites et commentaires. Naumburg soigne depuis peu son héros.

J’ai poursuivi ma route jusqu’à Pforta, à quelques kilomètres à peine, en direction de Bad Kosen. Le collège fonctionne toujours dans l’enceinte de l’abbaye cistercienne. Hêtres centenaires et parterres de roses. A l’intérieur, à droite de l’entrée du "lycée" , quelques plaques commémoratives ; celle de Nietzsche (élève de 1858 à1864) me semble si neuve que je m’approche pour en connaître la
Date : 1991.

Jusqu’alors, on l’avait oublié. Lui reprochait-on, comme lorsqu’il avait dix-sept ans, de trop aimer Hôlderlin et son Empédocle : vous devriez vous attacher à un poète "plus sain, plus clair, plus allemand" lui avait conseillé son professeur. . .

La "grand-route" jaune 87 se poursuit jusqu’à Weimar et, sans doute, fut-elle celle que suivit le cercueil le 28 août 1900. Un crochet de quelques kilomètres permet cependant de passer par Iéna, là où se trouve encore aujourd’hui, sur les hauteurs de la ville, la clinique de briques au toit d’ardoise qui avait accueilli Nietzsche en 1889, un vrai "Palais", avait-il déclaré... où l’aurait conduit "sa femme, Cosima Wagner." Peut-être ne m’y serais-je pas rendue, si je n’avais découvert en regardant une carte, qu’elle était située sur le "Philosophen Weg" ! Le "chemin des philosophes" (qu’aucune grammaire ne m’interdisait de traduire par "Chemin DU philosophe"). Qui, du chemin ou de Nietzsche, était arrivé le premier ? La chance me mit sous les yeux un plan de Iéna datant de 1836 : y figuraient déjà, enserrant le "Jardin de la Princesse", deux "Philosophengang", le "supérieur" et "l’inférieur". Il va de soi que le Palais fût construit sur le supérieur... Comme aujourd’hui, on l’atteignait en remontant le Fürstengraben jusqu’au Jardin Botanique : là, on prenait la première route à droite, celle qui dominait les allées de "la Princesse". Le bâtiment se trouvait sur la gauche. Un palais, dans un grand jardin. Nietzsche avait raison. J’y suis arrivée un dimanche, au plus chaud de l’après-midi. Les familles étaient venues voir leurs malades. On se promenait.

Dans le hall un peu sombre de l’entrée principale sont accrochés les portraits des médecins qui se sont succédé à la tête de la clinique : Otto Binswanger est parmi eux, celui-là même qui, le 18 Janvier 1889, avait fait à Nietzsche "un accueil grandiose"... comme il est consigné dans le Journal des Malades.

J’étais enfin parvenue au bout de la "grand-route" : Weimar. A quelques kilomètres de Buchenwald. Le tourisme y est mieux rodé. Quelques dépliants parlent, en anglais, des maisons de Goethe et de Schiller et, le dimanche, dans la SchillerStrasse, quatuors et solistes violonent sous les platanes au milieu des enfants. Des groupes sont conduits d’une maison à l’autre, distantes d’à peine trois cents mètres. Les plus scrupuleux font un léger détour pour voir la demeure d’Eckermann. Bien peu se soucient des Nietzsche-Archiv ; le guide anglais ne les mentionne même pas.

Pourtant, alors que je me promenais dans ce qu’il est convenu d’appeler la "rue principale", mon regard fut attiré, dans une vitrine, par le visage blanc de Nietzsche qu’Elisabeth avait fait sculpter dans le marbre peu de temps avant sa mort. La photo, en noir et blanc, faisait partie d’un grand panneau où étaient également reproduits un dessin de sa "maison de mort" ("Sterbehaus" disait la légende) et un autre de la maison de Naumburg avec, en médaillon, un portrait de Franziska.

Mère et fils enfin réunis.

Je me demandais qui avait pris l’initiative d’exposer ces images nietzschéennes entre Goethe et Schiller, presque exactement à mi-chemin. Je levai les yeux pour lire, au-dessus de la porte, à hauteur des branches de platanes : COMMERZBANK.

4 Messages

  • > La tombe de Nietzsche 7 novembre 2003 20:58, par Hirrien Evelyne

    Eh bien voilà un texte que j’ai aimé ; je connais Leipzig pour y etre aller et le chemin que vous avez fait,j’aurai tant aimé le faire ; mais, j’étais si pres et si loin . Les affaires prennent souvent le pas sur l’art de nos jours et il y a meme parfois confusion.
    Bravo pour cette évocation si tendre à l’égard d’un auteur dont on a tant parlé sans pour autant le lire vraiment.
    Merci encore pour ce voyage

    • > La tombe de Nietzsche 5 décembre 2003 19:38

      Merci pour ces nouvelles de Röcken, j’y pense toujours avec émotion. Etes-vous allée à Naumburg : j’aimerais savoir si la maison est devenue musée.
      Poursuivons les chemins.
      B.Commengé

      • > La tombe de Nietzsche 11 décembre 2003 01:56, par KARL

        À Naumburg jamais, non. Je vous accorde que c’est un peu la porte à côté, alors un jour prochain, sans doute... En attendant, je puis déjà vous dire que, de retour très récent de Naumburg on me raconte, sans rien promettre pour autant, que la maison de Nietzsche accueille actuellement une exposition permanente. Est-ce à dire musée ? En revanche, je suis allé en Suisse, c’était en été 2001. À Bâle, Lucerne, Tribschen (chez Wagner) et... à Sils-Maria ? non, finalement pas. Un autre jour prochain, sans doute... Cela dit, je viens d’apprendre, pas plus tard qu’hier soir et par le plus grand des hasards, et si je puis me permettre cette confidence émue, que Nietzsche (certainement étudiant) habita un certain temps au numéro 7 de l’Elisenstraße (Leipzig) : c’est-à-dire au bout de ma rue ! aujourd’hui Bernhard-Göring-Straße.

  • > La tombe de Nietzsche 4 décembre 2003 22:46, par KARL

    Je m’y suis rendu en mars 1998, par la même route. Notre seule présence dans le village (Röcken) fit en effet assez de bruit pour qu’une femme nous soit mystérieusement dépêchée (en quelques minutes). Elle nous ouvrit les portes de l’église paternelle et du minuscule musée situé dans un coin du jardin. Pour le moins étonné par son enthousiasme à nous montrer l’endroit précis où Nietzsche reçut le baptême, je lui demandai aimablement ce qu’elle pensait de son oeuvre. Dans l’embarras elle prétendit que Nietzsche avait écrit des choses « bien » mais aussi des choses « mal » sur lesquelles elle préférait fermer les yeux, car, par-delà ses excès, dans le fond, Nietzsche était un « bon gars ».

    Ayant été malheureusement guidée de bout en bout, ma visite de Weimar, au cours de l’hiver 2001, fit l’économie du Nietzsche-Archiv. Le guide me l’indiqua tout de même de loin, en précisant qu’on ne pouvait y entrer sans autorisation.

    Aujourd’hui et depuis octobre 2001 je vis à Leipzig, « au moyen de la cuisine leipzigoise » — et de Nietzsche.

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