Il n’y a pas de bon père, c’est la règle.
Jean Paul Sartre, Les Mots
Les pères se succèdent dans l’œuvre de Nguyên Huy Thiêp [1]. Alors que les mères sont discrètes ou complètement absentes [2], ils occupent le devant de la scène. Un général à la retraite, Il n’y a pas de roi, Une goutte de sang, Crime et châtiment, nouvelles écrites de 1987 à 1990, sont toutes traversées par une figure paternelle magistrale, obsédante. Qu’ils soient un haut dignitaire de l’armée, un simple réparateur de vélo ou un modeste paysan, les pères entretiennent avec leurs enfants un rapport problématique, qui sans manquer d’amour ou de tendresse, est marqué par la rancune, le conflit, la haine. Ils traitent leurs fils de lâches, les dressent les uns contre les autres, violent leurs filles. Ils s’opposent à la morale traditionnelle fortement imprégnée de valeurs classiques où le père est un miroir idéalisé ou une référence édifiante auxquels les enfants doivent s’identifier [3]. Deux décennies plus tard, en 2005, dans un roman intitulé À mes vingt ans de Thiêp, un homme de lettres connu se révèle être aux yeux de son fils vagabond, un « mauvais père ». Sa disparition, à la fin, est concomitante de l’entrée de l’enfant dans la maturité, comme si seule la mort justifiait sa paternité. La prégnance du thème dit combien la figure, l’autorité et la place du père sont l’objet d’une interrogation essentielle dans le travail de Thiêp.
Le conflit entre les générations est une thématique constante de la littérature vietnamienne du XXe siècle, des groupes modernistes des années 1930 au réalisme socialiste. Mais dans les romans à thèse du début du siècle qui dressent l’individu contre la famille traditionnelle qui l’opprime, les enfants sacrifient encore leur bonheur individuel au devoir filial. Le héros du célèbre Un cœur pur [4] paru en 1925, Dam Thuy, un intellectuel de Hanoi, a renoncé à l’amour de la belle Tô Tâm pour ne pas rompre ses fiançailles avec une jeune fille choisie par ses parents. Cet homme, pourtant féru de culture européenne, n’a jamais mis en cause le fondement de la morale ancienne qui veut que l’enfant vénère ses parents et leur obéisse en toutes circonstances [5]. Feuilles de jades et branches d’or [6] de 1939 trace le portrait d’un père cruel qui, par attachement aveugle au prestige familial, préfère la souffrance de sa fille à son mariage avec un roturier. Cependant son auteur n’a pour solution à la discorde que la mort tragique de l’héroïne. Quant au prétendu caractère révolutionnaire du réalisme socialiste, il masque en fait sa dimension moralisatrice. Si une telle littérature tolère un léger dissensus, c’est pour mieux exiger une fin heureuse que traduit un tableau idyllique de la famille réconciliée. Le parti communiste a toujours critiqué l’autorité paternelle. Mais il se trouve en réalité contraint de la défendre comme facteur de la stabilité d’une société qu’il veut contrôler, avec un père garant de l’ordre établi. La tradition confucéenne et l’idéologie communiste s’accordent ainsi pour condamner chaque contestation du père. Rien d’étonnant à ce que la révolte contre le pouvoir paternel reste peu représentée dans la littérature où le parricide demeure un thème tabou.
Nguyên Huy Thiêp poussera la question bien plus loin que ces prédécesseurs, très au delà d’une simple critique du patriarcat. Notre travail interroge trois de ses textes, à savoir Un général à la retraite, Il n’y a pas de roi, Crime et châtiment, qui mettent en scène les enfants meurtriers. Soit ceux-ci désirent secrètement l’exclusion de leur géniteur, soit ils réclament sans équivoque sa mort, soit ils l’abattent à coups de hache. La mort des pères à la fin de chaque histoire est systématique. Tout se passe comme s’ils formaient une espèce condamnée à disparaître et même à être assassinée par leur propre progéniture.
Nguyên Huy Thiêp ne dissimule pas sa fascination pour ce crime en famille. Ses nouvelles, sous forme de témoignage ou de journal intime, peignent souvent un narrateur aux traits biographiques proches de ceux de l’auteur. Elles intègrent étroitement le désir et l’acte parricides dans les réalités complexes et tourmentées des années 1975 1985, décennie qui s’amorce par la victoire de la guerre menée par le parti communiste, et s’achève dans la pauvreté, l’avènement du règne de l’argent et la désillusion idéologique.
Que traduit ce meurtre massif ? Quelle est la position de Nguyên Huy Thiêp ? Est-il du côté du père victime ou de l’enfant criminel ? Quel lien établit-il entre le désordre de la sphère privée et les maux de la sphère publique ? Quel défi pour la famille et la société vietnamiennes ses réflexions anticipent elles ? Telles sont les questions auxquelles notre lecture s’efforce de répondre, en tenant compte de la cohabitation du littéraire, de l’éthique, du politique et de l’économique dans l’œuvre complexe de l’auteur.
Le meurtre du patriarche
Un général à la retraite : le fantasme
Paru en 1987 dans la revue Van Nghê, Un général à la retraite [7]de Nguyên Huy Thiêp a d’emblée, rappelons nous, consacré le talent du jeune écrivain. Dans cette nouvelle, un général de l’armée populaire, fils aîné d’une famille de petits lettrés et engagé à l’âge de 12 ans, prend sa retraite dans son village natal, en banlieue de Hanoi, auprès de sa femme handicapée, de Thuân, le narrateur – son fils unique –, de sa bru, de ses deux petites filles et de leurs domestiques : Co, un vieillard d’origine paysanne et sa fille. Thuân est chercheur à l’Institut de physique tandis que sa femme, Thuy, est médecin. Le militaire partage par conséquent pour la première fois la vie quotidienne de ses proches et la maison vit comme dans un grand enchantement. Il offre à chaque membre de sa famille quatre mètres de tissu qu’il a ramenés de l’armée, puis consacre son temps à recevoir des visiteurs et à écrire pour eux des lettres de recommandation. Son souhait de partager les tâches ménagères avec les domestiques se heurte au refus de sa belle fille. Trois mois après son retour, il accepte d’être maître de la cérémonie des noces de son neveu, au cours de laquelle il est effrayé par le bruit et la vulgarité de la foule. Il accueille peu de temps après la jeune mariée et sa petite fille, née une dizaine de jours après le mariage, son neveu ayant été arrêté pour avoir frappé son père alcoolique. Il pleure après avoir appris que sa bru Thuy, médecin dans une maternité où elle est chargée des avortements et des curetages, récupère les fœtus abandonnés pour nourrir ses chiens destinés au commerce. Il assiste ensuite à la mort de sa femme paralysée et gâteuse, de six ans son aînée et qu’il a épousée sans amour, pendant une permission. Il découvre également l’adultère de Thuy. Sa mort subite à l’occasion d’une visite de son ancienne unité, plus d’un an après sa retraite, est suivie d’un grand déploiement d’honneurs lors de ses funérailles.
La figure du vieux père est centrale dans la nouvelle de Thiêp et se répercute sur sa structure profonde. Son idéal, fruit d’éléments à la fois confucéens et communistes, lui permet de distinguer nettement le Bien du Mal. N’a-t-il pas toujours dirigé sa vie selon ses principes : altruisme, générosité, égalitarisme, lutte contre les actions négatives, mépris de l’argent sale ? Néanmoins, cette volonté ne va pas sans une idée simpliste du monde. Donner à chaque membre de la famille la même part de tissu le ridiculise aux yeux de sa bru : « Avec tout le monde en uniforme, la maison aurait l’air d’une caserne », remarque t elle. Marqué par sa carrière de guerrier, il ne voit partout que conflits, tente de les apaiser mais prend vite la mesure de son impuissance face à la corruption morale de l’homme. Son rêve d’une société juste s’est évanoui et sa disparition doit être interprétée comme un refus de coexister avec la réalité mesquine.
La mort est omniprésente dans Un général à la retraite, nouvelle aux multiples images de cruauté et de dégradation du corps. Les « morceaux brunâtres » des fœtus que Thuy récupère pour nourrir ses chiens flottent dans des marmites en ébullition. La mère meurt dans la souffrance : elle « vidait ses intestins sous elle […]. Elle maigrissait à vue d’œil, ses selles n’étaient qu’un liquide brunâtre dont l’odeur était nauséabonde ». Dans l’imaginaire du vieux Co, sa femme, quoique enterrée, n’en continue pas moins à souffrir car sa tombe s’est affaissée. Mais c’est dans la disparition du général que résident la force et l’ambiguïté du texte. Tout au long de la nouvelle, cet événement est entouré de non dits, de silences, de mystères. Le texte débute en ces termes : « En écrivant ces lignes j’ai éveillé chez quelques amis des émotions que le temps avait effacées et j’ai profané la tombe silencieuse de mon père ». Pour quelle raison le décès d’une personne somme toute âgée peut il susciter autant d’« émotions » chez des « amis » ? Pourquoi le rappel de son histoire pourrait il être estimé comme la « profan[ation] de sa tombe » ? Qu’est-ce qui pousse finalement le narrateur à transgresser ce tabou ? Pourquoi se tait il sur les motifs de la mort de son père ? De même, il empêche l’ancien camarade du défunt de les préciser. De quoi est mort au juste le général ? Certes, il a « considérablement vieilli » depuis qu’il est à la retraite. La dernière partie de sa vie est marquée par les pleurs, le vieillissement, l’insatisfaction, l’humiliation et l’angoisse – « Est ce que tous les vieillards meurent en souffrant ainsi ? » demande-t-il à son frère lors de l’agonie de sa femme. Mais l’intense pressentiment de sa prochaine disparition puis sa mort subite supposent qu’il s’agit d’un acte volontaire, d’une autodestruction. N’a-t-il pas donné à son départ un caractère solennel en disant adieu aux amis et connaissances, en ordonnant à son ancien capitaine de tirer trois salves lors de l’ultime visite de la tombe de sa femme, en remettant son carnet intime à son fils ?
La nouvelle, sur ce point, est fort troublante. Plus qu’un suicide, elle semble raconter un meurtre. Tout dénote chez le narrateur un désir secret, à l’état inconscient bien entendu, de voir son père disparaître. Les face à face entre les deux hommes lorsque le patriarche déclare « inadmissibles » les actes de sa bru − l’infidélité et l’élevage des chiens au moyen de fœtus abandonnés − disent combien leur rapport, apparemment harmonieux, est empreint de tension et d’incompréhension. « Tu es un faible ! », lance-t-il à Thuân tandis que celui ci réplique : « Tu te trompes » ou « Ne fais pas attention […]. Va te coucher maintenant ». Dès son retour au foyer, le vieux général n’est plus qu’un "retraité" dans le regard de son fils. En lui proposant d’écrire ses mémoires pour meubler son temps, celui-ci envisage déjà sa fin.
De nombreux détails laissent deviner que le fils, malgré une sincère affection et une réelle admiration pour le père, caresse un fantasme parricide. Le lancinant sentiment de culpabilité qui le déchire, avant et après la mort du vieux soldat, en est un exemple. N’éprouve-t-il pas autant de « bonheur » que de « peine » en voyant son père partir pour un grand voyage ? Ne pressent il pas, à l’apparition de Khong devant le portail de sa maison, un « malheur » avant que celui-ci ne lui annonce le décès du général ? Comment interpréter ses larmes sur la tombe du père sinon celles de remords − « Je pleurai comme je n’avais jamais pleuré [...]. Il me semblait que c’était la plus grande douleur que puisse éprouver un être humain » (p. 46) ? Il est clair qu’il n’a pas le même rapport à son père qu’à sa mère à qui il voue un amour paisible et auprès de qui il remplit sans reproche ses devoirs filiaux. Pendant les derniers jours de cette femme sénile, il la change, fait sa lessive, lui donne à manger, l’aide à faire ses besoins, l’accompagne jusqu’à son ultime soupir. En revanche, il apprend la mort de son père par télégramme et arrive en retard aux obsèques. Certes, le fils n’a pas recours au geste criminel, mais face à son vieux père, il ressent avec intensité le sentiment de ne pas le comprendre. Tout comme plus tard, il regrette de l’avoir abandonné dans sa souffrance intérieure, d’avoir désiré son départ et de l’avoir conduit en quelque sorte au suicide. On peut donc bien avancer que, pour le fils, la disparition effective du père résulte de son vœu meurtrier, et que ce sentiment lui fait subir les mêmes effets que l’acte de tuer, d’où le besoin qu’il éprouve de clôturer son récit par ce propos chargé de remords : « je considère ces lignes comme des baguettes d’encens que j’aurais allumées en souvenir de lui » (p. 47).
Il n’y a pas de roi [8], nouvelle parue peu de temps après Un général à la retraite, confirme le talent de l’auteur controversé. À l’instar d’Un général…, elle décrit la vie quotidienne d’une famille de Hanoi des années 1980 où domine une autre puissante figure du père, bien que celui ci, simple réparateur de vélo, n’ait pas l’aura qui entoure le général. Plus tard, Nguyên Huy Thiêp la reprend pour en faire une pièce de théâtre. Qu’il baptise cette dernière La famille prouve combien ces rapports complexes le hantent. Le vieux Kien partage son logement et ses repas avec ses cinq fils – Cân, Doai, Kham, Khiêm, Tôn – et sa bru Sinh, la femme de Cân. Sa façon de nommer ses enfants peut être lue comme un désir d’unité, de solidarité, de transmission : leurs prénoms et celui du père font partie des huit trigrammes du fameux Livre des mutations [9]. Autre signe de son respect du rituel : pour fêter l’anniversaire de la mort de sa femme, il fait confectionner, malgré son dénuement, « cinq plateaux de nourriture » et invite sa sœur, son beau frère ainsi que certains amis et collègues de ses enfants. À l’occasion du Nouvel An, avec les intérêts de ses placements bancaires dont la somme est dérisoire, il offre une chemise à Tôn et une paire de chaussettes à Sinh avant de remettre le reste à Cân.
La promiscuité contraint les jeunes mariés à occuper la seule chambre de la maison qui peut d’ailleurs servir de « salon » pour d’autres frères désireux de recevoir dans l’intimité leurs amies. C’est là que Kham et Doai font entrer deux jeunes filles, My Trinh et My Lan, pour les courtiser lorsqu’ils les invitent à l’anniversaire de la mort de leur mère. Nguyên Huy Thiêp décrit le fonctionnement de cette famille en précisant la place de chacun de ses membres. Bien qu’âgé, le père travaille encore pour assurer sa propre survie et celle de ses deux benjamins, Kham l’étudiant et Ton l’handicapé. La majeure part du budget est destinée aux dépenses alimentaires, alors que la place des vêtements et des loisirs est minime. Ce que gagne le père en réparant les vélos complète ce que rapportent Cân le coiffeur et Doai le fonctionnaire. Khiêm, le tueur de cochons, ramène, quant à lui, tous les jours « soit un kilo de viande, soit un kilo de tripes » qu’il subtilise à l’abattoir d’État où il est employé, pour approvisionner la maisonnée en proie à la faim. L’exercice d’une des professions traditionnellement les plus méprisées par la société, mais des plus lucratives en ces temps de crise, fait de Khiêm le plus riche des cinq enfants et rend jaloux ses frères. À l’occasion du nouvel An, il est le seul à pouvoir offrir à la famille un mandarinier « chargé de fruits » et un rouleau de pétards « d’une longueur de six mètres », ce qui rend amers Doai et Kham : « nous qui sommes instruits, nous n’avons même pas un costume décent à nous mettre le jour du Nouvel An » (p. 36).
À l’instar de la famille du général, celle du vieux Kien est un système paradoxal. Parallèlement aux particularités du modèle traditionnel, telles la cohabitation de plusieurs générations, la hiérarchie entre les membres, l’autorité la plus élevée symbolisée par le père, s’imposent nombre de principes qui peuvent être jugés modernes. C’est le fils aîné, et non pas le père, qui est le responsable financier. Le travail est distribué de manière égale entre les membres. Les enfants sont libres de choisir leur partenaire pour se marier : l’union entre Cân et Sinh n’est pas un mariage arrangé.
La misère et la promiscuité font pourtant naître des rancœurs et sont à l’origine de la lutte sans merci entre les membres de cette famille où père comme fils parlent le même langage grossier et agressif. Si dans Un général à la retraite, l’auteur procède avec pudeur, tout est dit dans Il n’y a pas de roi. Les propos du vieux Kien sont « acerbes ». Il dit à Doai : « Fonctionnaire, toi ? Laisse moi rire ! Tu es plus paresseux qu’une couleuvre » (p. 16), ou à Kham : « Espèce de parasite ». L’atmosphère est d’autant plus étouffante que les sept chapitres se déroulent dans un lieu clos. L’ambiance devient explosive quand le coût de l’hospitalisation du père malade provoque un déficit du budget familial. Au cours d’un conseil de famille, Doai propose de « le laisser s’en aller naturellement ». Le vieux Kien finit par disparaître d’une mort douloureuse, exactement comme la vieille mère d’Un général à la retraite : atteint d’un cancer, il a un regard « vitreux » et un « crâne complètement rasé d’où saillait une protubérance de la taille d’un œuf […]. Il n’arrêtait pas de gémir et de se plaindre » (p. 42 43). Dans l’adaptation théâtrale d’Il n’y a pas de roi, Thiêp donne à la souffrance du père une dimension morale : celui-ci avoue à Sinh pendant son agonie qu’il l’a une fois épiée sous sa douche. Trois mois après la disparition du vieux Kien, Sinh accouche d’une petite fille. Le texte s’achève sur l’arrivée d’un télégramme annonçant le décès de monsieur Vy, le beau frère du défunt, au milieu du repas organisé par Doai pour fêter le retour de Sinh et son bébé de la maternité.
Comme le général de la première nouvelle, le vieux Kien entretient une relation particulière, presque passionnelle, avec sa bru. Tous les deux sont privés de femme et de fille, et c’est leurs belles filles qui remplissent plus ou moins ces rôles, bien entendu de manière différente : alors que Thuy est responsable des problèmes matériels de la famille, Sinh est chargée de préparer les trois repas quotidiens. Mais le général n’a que mépris pour Thuy, tandis que le vieux Kien éprouve un amour quasi incestueux pour Sinh. Il lui offre des cadeaux et « pousse un long soupir » en écoutant le bruit de l’eau que fait Sinh en se lavant (p. 30). Dans les deux textes, le rapport du patriarche à la femme de son fils constitue pour une large part la source de leur conflit. Le général n’a-t-il pas cherché querelle à Thuân après avoir découvert les actes de Thuy qu’il juge malhonnêtes ? Quant à Sinh, elle est objet convoité par tous les hommes, son beau père ainsi que ses beaux frères. Khiêm, le tueur de cochons, rude de caractère, la traite avec beaucoup d’affection et de tendresse. Tôn, le cadet simple d’esprit, lui voue un « dévouement de bête » : « (Il) ne manquait jamais une occasion de venir en aide à Sinh. Sa gentillesse à son égard était sans limites. Il cherchait à satisfaire le moindre de ses désirs avec un dévouement sans limites » (p. 15). Doai, le fonctionnaire, lui fait des avances auxquelles elle résiste, mais il finit par la posséder. Tout fait penser que l’enfant à qui Sinh donne naissance est de Doai, et non pas de Cân, son mari, « aussi mou qu’un crabe sans carapace » (p. 26). On devine facilement que le lien privilégié que le vieux Kien entretient avec Sinh, en tant que beau père, suscite une certaine jalousie chez ses fils.
Que Sinh soit l’une des figures centrales du texte dont le début se confond avec son entrée dans l’espace romanesque, ne doit donc rien au hasard. La nouvelle s’ouvre ainsi : « Sinh est la bru du vieux Kien depuis plusieurs années déjà ». Son arrivée dans ce foyer exclusivement masculin est comparée à une « pluie tombant sur une terre craquelée par la sécheresse » (p. 17) qui « tempère » son climat violent. Se tissent de la sorte des liens inextricables entre ses membres. Comme dans une société primitive, le conflit tient ici à la compétition des mâles pour l’unique femelle. Lorsque, au milieu d’une dispute, Cân gifle sa femme, il voit Doai s’interposer en se mettant devant Sinh et brandir un couteau vers lui.
La sexualité est sans conteste l’une des clés de l’interprétation de l’origine du vœu parricide des fils du vieux Kien. Doai, le plus amoureux de Sinh, n’est-il pas celui qui propose de laisser mourir le père malade, discute de l’héritage alors que Kien est dans le bloc opératoire de l’hôpital, refuse de réciter le sutra de l’Impermanence pour apaiser l’agonisant, s’en va enfin acheter le cercueil dès que ce dernier vient de rendre l’âme ? Leur confrontation la plus houleuse a éclaté quand Doai découvre son père juché sur son escabeau, cherchant à se hausser sur la pointe des pieds afin de mieux voir Sinh nue dans la salle de bains. Ils se parlent ensuite non pas comme père et fils mais « d’homme à homme ». L’un avoue sans fard son désir pour sa bru : « l’homme n’a pas à rougir parce qu’il a une queue ». Et l’autre exprime sans détour sa jalousie à l’égard de son père : « Jamais je ne pourrai te pardonner ce que tu as fait ». La dénonciation à Doai par Ton l’handicapé du père voyeur complique encore la situation.
Le projet parricide qui, à la fin de la nouvelle, fait l’objet d’une discussion ouverte de la fratrie – « Inutile de perdre du temps. Que celui qui est d’accord pour le laisser mourir lève le doigt » (p. 42), n’est donc que l’écho d’un « Enfants de salaud […]. Je sais que vous souhaitez ma mort », lancé par le vieux Kien tous les matins à la face de ses fils [10]. Les pères dans l’œuvre de Thiêp sont deux fois tués par leurs fils, qui les maltraitent et ne leur donnent pas de descendant mâle. Le bébé de Sinh, tout comme celui de la cousine du narrateur de Un général à la retraite, est une fille : dans une œuvre littéraire, le choix du sexe d’un enfant à naître n’est jamais innocent. La paternité de l’une n’est pas identifiée tandis que l’autre est élevée dans l’absence paternelle. N’est-ce pas là l’expression sans détour de la négation du père ?
Crime et châtiment [11] est une nouvelle à part dans l’écriture de Nguyên Huy Thiêp. D’une dizaine de pages, elle comporte deux catégories de texte, récit et discours. Le narrateur s’adresse parfois directement au lecteur pour exprimer ses pensées et ses opinions. La première partie, la plus longue, intitulée « Introduction », s’ouvre sur une déclaration : « Nombre de lecteurs sont venus me voir. Ils me racontaient leur vie, se plaignaient de leurs malheurs, souhaitaient que j’écrive “ quelque chose ” sur les crimes et leur châtiment. Ils exprimaient leur vœu avec sincérité et émotion » (p. 419). Elle est consacrée à une étude de cas pour aboutir à une sorte de sociologie du crime, d’où la deuxième partie – « L’histoire » – et la troisième partie – « Fin » – qui présentent une paternité monstrueuse. Lors d’un voyage en compagnie de sa fille âgée de seize ans, aînée des quatre enfants, un homme profite de leur isolement pour la violer. Pendant son sommeil, survenu juste après le viol, elle le tue à coups de hache. Elle retourne ensuite chez elle, met le feu à la maison, assassine ses trois frères et sœurs. Seule la mère partie pour une cueillette de feuilles médicinales dans la forêt a échappé à la mort. Le double crime accompli, elle va l’avouer aux autorités avant de se pendre peu de temps après dans sa cellule de prison.
Il est clair que l’histoire de la parricide et de son père incestueux sert à illustrer les théories de l’auteur sur l’origine de l’infraction. Sans aucun doute, leurs crimes sont de l’ordre de la passion. Le désir du père pour sa fille peut être expliqué par le plein épanouissement de sa puissance virile : robuste, il lui est arrivé d’attraper un boa énorme de ses propres mains. Ensuite, c’est la part « bestiale » de son âme qui le conduit au mal. L’auteur semble dire qu’un être humain, ordinaire, sans traits pathologiques apparents, peut comporter en lui de troublantes fêlures, et un geste incontrôlé peut le faire basculer dans le crime. Le texte s’interroge également sur le fonctionnement psychique de la jeune fille. La brutalité du viol suscite chez elle une réaction d’autodéfense. « Suffoquée de colère, elle l’assassine à coups de hache » (p. 427). Comme les « assassins les plus sincères », elle ne réussit pas à expliquer son acte : « je ne comprends pas… je ne sais pas pourquoi j’ai agi de cette manière. Tout se passe comme si quelque chose m’avait poussée à le faire… ».
Mais l’étude de l’influence que peut avoir l’environnement sur le comportement de l’individu intéresse Thiêp au plus haut point. Ainsi met-il en cause la pauvreté, l’isolement géographique, le manque d’instruction dont souffre cette famille :
Dans cette région montagneuse, pour poster une lettre, on doit faire une quinzaine de kilomètres […]. Les gens habitent des maisons sur pilotis aussi simples qu’une cabane […]. Sous l’escalier, une bande de cochons, très sales, foncent leurs museaux dans des tas encore humides de bouse de buffle […]. Ces populations ignorent même les événements qui sont survenus dans la société moderne au cours des trois dernières décennies. Leur arriération est effrayante (p. 420 421).
La mère est totalement absente dans le récit, mais l’on sait qu’elle est aveugle. Pour le narrateur, le handicap maternel qui renforce la marginalité de la famille, doit avoir un lien avec l’abus sexuel commis par le père, car il l’évoque à plusieurs reprises. C’est donc le caractère fruste et primitif de ce milieu où le contrôle social est faible, qui forme le terreau de la défaillance morale chez le père et de l’explosion de la violence chez la jeune fille. Notons ici un trait commun aux trois nouvelles : Thiêp, dans ses descriptions du rapport à la mère, n’ancre pas sa problématique dans le modèle œdipien.
Revenons à Crime et châtiment. La mise à mort du père n’y est pas de l’ordre du fantasme. Elle est physique et concrète, comme l’acte certes avorté mais réel du cousin Tuân du narrateur d’Un général à la retraite, conducteur de charrettes, « colosse » au « verbe haut », qui a poursuivi son père la main armée d’un couteau. Il semble que pour l’auteur le passage à l’acte soit, de façon prépondérante, le fait de milieux paysans et rudes. La crainte du scandale a sans doute poussé les citadins comme Doai et ses frères d’Il n’y a pas de roi à masquer leur volonté de laisser mourir leur père. Bref, si dans Un général… et Il n’y a pas de roi, le parricide n’est qu’un désir ou un acte manqué, Crime et châtiment relate une opération réussie. Mieux, la parricide revendique son geste. N’a t elle pas pris l’initiative d’aller avouer son crime à la justice ? N’a-t-elle pas raconté au narrateur la scène du meurtre ? Le texte a presque passé sous silence le viol au profit de celui ci. Il s’appesantit sur le moment, le lieu, l’arme employée, la position de la victime. Tout est minutieusement décrit : « il dort allongé, la face en l’air, une main posée sur le front », surtout les gestes sauvages de la criminelle : « Debout, les jambes écartées, elle soulève la hache, l’observe attentivement, comme quelqu’un qui va découper son bois ». L’acte de tuer est ici caractérisé par un grand calme, et l’impression de froideur est d’autant plus effrayante qu’il est directement rapporté par la coupable : « Au début, je voulais le frapper en pleine face, mais j’avais peur que la lame de la hache ne glisse sur son nez, et qu’il ne meure pas sur le coup. Il était robuste […]. Alors j’ai visé son front. Consciente que cet endroit est solide, j’ai frappé de toutes mes forces. La cervelle s’est éparpillée comme des morceaux de tao fu… » (p. 420).
Nguyên Huy Thiêp réunit ici dans un seul cas trois interdits des sociétés traditionnelles : parricide, inceste et fratricide dont le premier, le plus puissant, fait l’objet d’un examen approfondi. L’auteur poursuit d’autre part l’exploration, entamée dans Il n’y a pas de roi, du lien étroit, constant, entre ce crime et le comportement sexuel du père, ce que souligne Christine Castelain Meunier dans ses travaux sur la paternité : « Définir et identifier le lien paternel autour de l’interdit de l’inceste, a permis d’organiser la reproduction de l’espèce » [12]. Dans Crime et châtiment, l’acte incestueux du père pousse la fille à commettre deux crimes : parricide et fratricide. Aux yeux de l’enfant, cet homme a, par son viol, détruit l’ordre moral dont il est lui même garant. Il n’a, ainsi que sa progéniture, plus de raison d’exister. Pour marquer la rupture du lien filial avec ce père qui l’a niée comme personne et comme enfant de la famille, elle le désigne en se souvenant de lui, par un pronom neutre, distant – « ông ây ».
Il s’agit là du texte le plus complet de Nguyên Huy Thiêp sur le crime. N’est-il pas tout entier sous le signe de Dostoïevski dont l’œuvre est traversée par la thématique du parricide ? Après avoir repris intégralement le titre du célèbre roman de l’écrivain russe, Crime et châtiment, Thiêp met en exergue une des citations dostoïevskiennes : « La beauté sauvera le monde ». Il n’est pas par ailleurs sans intérêt de rapprocher Il n’y a pas de roi des Frères Karamazov, qui décrit aussi une fratrie uniquement masculine, porteuse de germe de la « folie sexuelle » et en proie au désir de tuer le père.
Un sûtra pour la parricide
Qui sont ces parricides ? L’originalité de Nguyên Huy Thiêp est d’avoir déplacé continuellement son regard du père victime à l’enfant criminel. Sans s’ériger en moraliste ou juge pour condamner ce dernier, l’écrivain essaie de le comprendre. Que dissimulent ces figures d’assassin ? À travers ces destins obscurs, l’auteur semble vouloir interroger le contexte social, politique et idéologique dans lequel ils vivent afin d’esquisser le portrait de la génération post révolutionnaire à laquelle ils appartiennent.
Dans Un général à la retraite, récit à la première personne, Nguyên Huy Thiêp laisse le fils dire « je ». Celui ci s’adresse directement au lecteur, se défend. La nouvelle s’ouvre et se clôt avec lui, le narrateur « intradiégétique », pour reprendre un terme de Gérard Genette [13]. Thuân mène le récit en fonction de sa conscience. Or le général, héros de la nouvelle, est réduit au silence. Parallèlement à l’histoire du père, se dévoile celle du fils, laquelle n’est pas moins complexe.
Thuân promène souvent sur les êtres et les choses un regard détaché. Peu prolixe, il réduit le plus possible ses propres commentaires, ses interprétations personnelles. Il est rare que le lecteur soit introduit dans ses impressions, ses rêves ou ses désirs. Il jette sur lui même le regard qu’il pose sur les autres. Non seulement il dit : « Il me semble que j’étais assez vieux jeu, plein de contradictions et maladroit », il rapporte sincèrement les durs propos des autres sur lui, ceux de sa femme : « Tu te fais vieux », ou de son père : « Tu es un faible ». L’usage des expressions telles « Il me semble » montre qu’il est incapable de dresser son autoportrait. Le narrateur parle de lui même comme s’il s’agissait d’un autre. Thuân de Nguyên Huy Thiêp rappelle aussi Meursault dans L’Étranger d’Albert Camus, ou d’autres personnages de l’existentialisme.
En tant que narrateur, il se contente d’introduire dans la présentation des paroles, des termes neutres tels « il dit », « elle répond ». Les dialogues d’Un général à la retraite sont rapportés en grande partie en style direct. Thuân se borne à décrire sobrement les faits et les gestes, comme s’il refusait d’intervenir dans les propos des autres, de parler à leur place, d’expliciter leurs pensées. Alors que le vieux général cherche à tout analyser, son âme et celle de ses proches, son fils semble affirmer le contraire : l’homme porte en lui un labyrinthe pour lui même ainsi que pour les autres. Pour lui, la claire conscience de soi, d’autrui ou du monde est impossible. Sa femme n’a pas que des défauts, capable parfois de gestes d’altruisme en acceptant par exemple d’héberger la nièce du général et sa petite fille. Dans la vision du fils, profondément opposée à celle du père, la frontière entre le Bien et le Mal n’est pas toujours nette.
Le père peut être encore catalogué positif ou négatif, mais le fils est inclassable. Si le premier est défini par son fort caractère, sa volonté de dominer les événements, les autres et lui même, le second est simplement caractérisé par l’absence de caractère et de volonté. Ni acteur, ni opposant, il est d’abord un anti héros, ou un héros sans héroïsme, sans tragédie. Le père a droit à son suicide et se transforme en un destin romanesque. Le fils ne meurt pas et semble persister dans son existence en apparence banale de chercheur d’institut.
Marqué par l’indécision, dénué d’aspiration et de plaisir personnel, ce personnage conçoit pourtant, nous l’avons dit, un fantasme parricide. Sans crier la révolte, il désire secrètement échapper au père qu’il admire et à qui il doit tout : ses études à l’étranger, son logement, sa position sociale. Ce fantasme aura une conséquence sur sa vie sans événement ni passion : la venue à la littérature. Après la disparition volontaire du père dont il se sent fortement coupable, le fils se fait écrivain pour expier en quelque sorte le crime imaginaire [14], car son texte n’explore rien d’autre que son lien ambigu avec le défunt. Leur véritable rencontre est donc posthume. Un général à la retraite est un texte subtil, loin du manichéisme : Nguyên Huy Thiêp ne simplifie pas la lecture, il dit combien la perte du père est pour le fils à la fois une réelle libération et une souffrance immense.
À la différence de Thuân, Doai d’Il n’y a pas de roi n’a pas le privilège de raconter le récit selon son point de vue. Nguyên Huy Thiêp fait néanmoins de lui le personnage de tout premier plan. Son nom apparaît 116 fois dans le texte, soit la fréquence la plus élevée. C’est lui qui parle le plus souvent, parce qu’il est bavard et que l’auteur a tendance à avantager sa parole. Les propos les plus spirituels sont prononcés par Doai : « La philosophie, c’est bon pour les rats de bibliothèque […]. As tu remarqué le collier de perles en plastique que porte Sinh ? Ça, c’est de la philosophie » (p. 19), dit il à son petit frère. Doai a le dernier mot de l’histoire, car le récit se clôt par un de ses discours : « Que la fête continue ! Allez, à la bonne vôtre mes seigneurs ». (p. 45). Des cinq frères, il est le plus diplômé et le mieux placé socialement, étant fonctionnaire du ministère de l’éducation nationale. Il est le seul à être présent dans la plupart des scènes, à pouvoir exprimer nettement ses ambitions et ses projets. On l’entend prier sa mère défunte de « faire en sorte qu’(il soit) envoyé étudier à l’étranger » (p. 79), faire la cour à sa belle sœur, flatter son supérieur hiérarchique, discuter d’égal à égal avec le père, menacer son frère aîné, se moquer de ses cadets, accueillir des voisins à l’occasion du Nouvel An. C’est aussi le seul des cinq frères à connaître la paternité et à parler du futur. Lors d’une discussion avec Sinh, il prétend être celui qui a « le plus d’avenir dans cette famille » (p. 35). À Kham, il confie : « (…) l’année prochaine, je serai marié avec My Trinh (…). Monsieur Lumière du Jour nous a promis un lingot d’or ». Au cours d’une fête organisée à la naissance de la petite fille de Sinh, il déclare : « Bien qu’elle ne vaille pas un sou, la vie est quand même merveilleuse. Merveilleuse à cause de cet enfant qui vient de naître, à cause de l’avenir qui l’attend » (p. 45). Rien d’étonnant à ce qu’après la mort du père, ce soit Doai et non pas Cân, le fils aîné, qui prenne l’ascendance sur la famille.
Le plus inattendu, et qui rend le texte passionnant, c’est que Nguyên Huy Thiêp semble faire de Doai son porte parole. La grossesse de Sinh et la maladie de Monsieur Kien sont signalées dans deux paragraphes consécutifs. De même, en une seule phrase, on lit : « Après qu’on eut célébré les cent jours qui suivirent la mort du vieux Kien, Sinh accoucha d’une petite fille » (p. 44). À la fin, le retour de Sinh de la maternité en compagnie de son nouveau né a lieu en même temps que l’arrivée du télégramme annonçant la mort d’un vieil oncle. Incontestablement, l’ordre des choses illustre une pensée chère à Doai : rien n’est plus conforme au cycle de la nature que la mort des vieux et la naissance des enfants : « […] cet enfant qui vient de naître […] l’avenir qui l’attend […]. Tous les vieux meurent, qu’y a t il d’extraordinaire à cela ? » (p. 45). D’ailleurs, dans l’architecture de la nouvelle, tout est conçu dans le respect de l’ordre naturel. Les intitulés de chapitres rappellent les différents moments de la journée (chapitre 2 : Le matin ; chapitre 4 : L’après midi ; chapitre 6 : Le soir) et les événements heureux ou malheureux qui rythment la vie familiale (chapitre 3 : L’anniversaire du décès de la mère ; chapitre 5 : Le jour du Nouvel An). Dans ce récit d’une trentaine de pages, on assiste à toutes les étapes clés de l’existence humaine : le mariage de Sinh, la naissance de sa fille, l’agonie du vieux Kien, son décès, l’anniversaire de la mort de sa femme, la fête du Têt.
Un général à la retraite forme une trame selon la même logique : une naissance et une double mort. L’arrivée dans la maison du général de sa petite nièce dont le père vient d’être mis en prison, précède la disparition de sa vieille femme et un peu plus tard sa propre disparition. Différentes cérémonies de funérailles ― la veille du corps, l’ensevelissement, la mise en bière, le transport du cercueil, le retour à la maison, le repas ― sont rapportées parallèlement aux réflexions du narrateur sur le cours infini du temps ainsi que le cycle naturel de la naissance et de la mort : « Cette nuit-là, je veillai ma mère tout en laissant mon esprit vagabonder. Je me disais que la mort n’épargne personne, qu’elle viendra nous chercher tous, chacun notre tour ». D’autres personnages de Nguyên Huy Thiêp, tels que Nhâm de Nostalgie de la campagne ou Hiêu de Leçons paysannes, découvrent dès leur jeunesse, à travers leur propre expérience de la perte accidentelle d’une personne tendrement aimée, ce principe fatal de la nature : « La nuit tomba d’un seul coup […]. L’angoisse me saisit […]. Je pris conscience de l’immensité de l’univers et je me disais qu’en comparaison, ma personne, la vie, la mort elle même, étaient sans importance et sans signification » [15].
Aussi, dans Un général à la retraite et Il n’y a pas de roi, le départ d’un vieux père, d’une vieille mère, d’un oncle, est-il systématiquement une solution donnée au nouveau problème posé : l’arrivée d’un enfant. Tout se passe comme si chez Thiêp la vie conditionnait la mort, ou mieux, comme si la mort faisait naître la vie. L’alternance fait que cet événement dans ses textes est à la fois un malheur et un bonheur. Entre la disparition du père et le dernier mot de la nouvelle, il y a un chapitre : la vie se poursuit sans lui. Déjà, de retour des funérailles du vieux général, dans la voiture qui amène ses proches à Hanoi, personne ne parle du défunt : son frère et sa bru discutent des paysages qu’ils aperçoivent à travers la fenêtre tandis que son fils garde le silence. De même, cent jours après le décès du vieux Kien, ses fils font bruyamment la fête autour du bébé, nouveau membre de la famille, d’où l’absence du tragique dans ces fictions pourtant marquées par la mort et la violence.
Nguyên Huy Thiêp fait il un plaidoyer en faveur des fils « assassins » ? S’il est difficile de trancher la question, il est clair que se manifeste chez lui un réel effort de les comprendre. Du point de vue moral, on peut lui reprocher son cynisme, ses héros n’ayant pas rempli leur devoir filial, vertu cardinale de la tradition vietnamienne. Mais la justesse de ses analyses démographiques et économiques est indéniable car en 1985, soit la veille de la parution des trois nouvelles de Nguyên Huy Thiêp, en raison d’un taux élevé de la natalité, le Vietnam dont la population est environ de 60 millions d’habitants, se trouve avec 27 millions d’enfants âgés de 10 à 14 ans à charge. Le fardeau est d’autant plus lourd que la société doit faire face à d’autres difficultés : une détérioration des conditions de vie liée à une économie planifiée avec une inflation de 150-200% l’an, une grave pénurie de logements dans les agglomérations urbaines, un manque d’espaces de détente et de loisirs. Le Vietnam, avec un revenu national par habitant de 100 dollars, compte à cette époque parmi les pays les plus pauvres du monde. Il s’agit en conséquence de trouver un équilibre entre le taux de mortalité et le taux de natalité afin d’éviter l’excédent de la population. Les deux nouvelles, Un général à la retraite et Il n’y a pas de roi, traduisent l’impératif avec lequel chaque famille, pour survivre, doit assurer la constance du nombre de ses membres. La morale confucéenne, à travers les exemples concrets de piété filiale (hiêu) [16], veut qu’en cas de pénurie, on enterre l’enfant pour mieux nourrir les parents. Le gouvernement, par le planning familial, contrôle les naissances. Nguyên Huy Thiêp, quant à lui, pose le problème autrement en s’interrogeant sur les personnes âgées. Récits de mort, ses textes n’en reflètent pas moins une lutte pour la vie [17].
À la différence de Doai d’Il n’y a pas de roi et de Thuân d’Un général à la retraite, la jeune parricide de Crime et châtiment est une personne que le narrateur a rencontrée peu avant son suicide en prison. Le fait que ce dernier se présente lui même comme écrivain aux traits biographiques souvent identiques à ceux de Nguyên Huy Thiêp – âge, longs séjours dans les régions montagneuses du nord, connaissances intimes de leurs populations, vie actuelle à Hanoi – dit la volonté de l’auteur de la montrer comme un cas authentique et donc de lui donner un traitement particulier. Alors que Doai et Thuân ne sont pas décrits physiquement, la jeune fille a un visage : « Sa figure est dure, austère. Sa chevelure, en désordre, est rousse comme une queue de vache. Elle parle d’une voix grave et sèche comme celle d’un homme » (p. 418). Le narrateur parle d’elle avec une certaine tendresse : « Ce n’était pas une fille sans âme » (p. 423). Comme pour la justifier, il attribue le caractère rude du milieu familial à l’origine de son crime : « elle m’a dit qu’elle n’avait jamais connu l’amour » (p. 427). Il la qualifie de « meurtrière honnête » (p. 425). Ses propos sont souvent rapportés en style direct. À la fin du récit, il cite dans un long passage son vœu testamentaire pour montrer à quel point la criminelle a un cœur sensible :
Cher oncle, je dois bientôt mourir mais personne n’aura de compassion pour moi. Je vous prie de faire alors deux choses. Achetez pour moi une couronne de fleurs. Puis récitez-moi un sûtra. Je veux mourir comme tout être humain. Une fois arrivée dans l’autre monde, je n’oublierai pas ce que tu as fait pour moi. Mon esprit te soutiendra jusqu’aux derniers jours de ta vie (p. 428).
En reprenant dans son intégralité le très long sûtra Animitta appelé encore La Samadhi sans image du sixième patriarche Zen Hui Neng, qu’il a lui même récité sur la tombe de la jeune parricide, le narrateur s’adresse au lecteur : « Je l’ai fait pour elle, mais aussi pour moi et pour vous, lecteur, afin de vous remercier d’avoir consacré du temps à la lecture de ce récit ennuyeux » (p. 431). Le sûtra sert ainsi d’intermédiaire, entre la jeune fille et le public anonyme, représentant de la communauté humaine dont elle est exclue. Il est un prolongement, de sa pensée, de sa vie, au delà du récit, au delà de la mort.
Comme dans Il n’y a pas de roi et Un général à la retraite, Nguyên Huy Thiêp fait ici parler la fille criminelle et taire le père victime. À l’instar des deux premiers récits, le troisième tente d’inscrire le crime dans son contexte social et économique – « la misère matérielle et l’arriération font naître le crime », dit le narrateur. Il rappelle sans cesse au lecteur que ces crimes « sauvages » font partie des réalités de la société dans laquelle ils vivent : « Nous vivons aujourd’hui dans un pays… » (p. 424), « Une fois, pendant l’été 1978, j’ai voyagé… » (p. 421). Au-delà des drames individuels, Thiêp dresse un tableau cru et cruel de la société contemporaine, un témoignage poignant de son époque. Il n’a pas transformé en héros romantiques ses personnages parricides. Au contraire, ce sont des anti-héros, malheureux, souffrants ou cyniques qu’il met en scène. Ils représentent pour lui la génération post révolutionnaire perdue, désillusionnée, vide d’idéal.
L’importance du thème du parricide dans l’imaginaire de Thiêp est telle qu’on est en droit de se demander si la contestation de l’autorité paternelle n’est pas le reflet d’un désir de mettre à mort le régime en place. Parus vers 1987, date du lancement du mouvement du Renouveau qui permet une certaine souplesse dans les domaines culturel et économique sans tolérer une remise en cause radicale de l’armée et du parti communiste, ces textes de Thiêp répondent sans doute à un vœu secret des populations, d’où leur franc succès. Un général à la retraite, en commençant avec l’image de la tombe du père, se donne à lire comme chronique d’une mort annoncée. Le titre de la nouvelle, « Un général à la retraite », suffit à lui seul à évoquer la mort du héros dans les deux sens, littéraire et idéologique. Le terme « général » semble ironiser sur sa haute autorité fondée sur son âge, son sexe, son triple rôle de père, de héros et de révolutionnaire. Soulignons une nuance entre le titre en français et son original en vietnamien « Tuong ve huu » où le mot « Tuong / Général » n’est pas précédé d’un article indéfini. Alors que le premier relate seulement une histoire individuelle, le second est plus ambitieux, étant censé raconter l’histoire d’une époque. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre l’anecdote du trésor caché. La veille de l’arrivée du télégramme annonçant la mort du père, le vieux Co et Bong, le demi frère du général, travaillent à la vidange de la mare et découvrent dans la vase plusieurs jarres. Toute la famille s’y précipite, creuse « sans relâche, maculée de boue des pieds à la tête ». Mais la déception est grande : le vase trouvé au terme d’une journée de labeur ne comporte que « quelques médailles rongées par le temps ». Rien ne dit mieux que cette anecdote la désillusion du narrateur : son père héros n’est plus la Vérité, son idéal n’est qu’une affabulation.
Tout comme Un général à la retraite, Il n’y a pas de roi a une forte connotation politique. Ces titres symboliques deviennent plus explicites, si l’on sait qu’il existe une connivence entre la paternité et l’État monopartite, et que Hô Chi Minh, fondateur de ce dernier, s’est fait appeler « vieux père du peuple ». Dans La Fille du génie des eaux, une œuvre non moins célèbre de Thiêp, le narrateur lance : « Demain j’irai voir la mer. Le génie des eaux n’existe pas ».
Quel est l’impact du travail de déconstruction du père mené par Nguyên Huy Thiêp sur la littérature contemporaine ? Rappelons nous que dans L’Embarcadère des femmes sans mari (1992) de Duong Huong, un homme commet l’inceste avec sa fille adoptive puis se suicide tandis qu’Un petit drame (1993) de Lê Minh Khuê est le récit d’un père symboliquement infanticide. Qui sont ces pères ? Dans un cas comme dans l’autre, ce sont des dignitaires du régime, des héros de la nation.
Les récits de Nguyên Huy Thiêp annoncent le passage de l’économie planifiée à l’économie de marché, mutation qui fait passer le Vietnam dans l’ère de la modernité. Le narrateur d’Un général à la retraite, sa femme et ses filles, portent des caractéristiques des consommateurs d’une société capitaliste : usage des cigarettes d’importation, élevage industriel de chiens, cours de musique et de langues. L’œuvre de Nguyên Huy Thiêp consacre donc le déclin de la famille au profit du sujet individuel. Doai d’Il n’y a pas de roi cherche à se débarrasser de son père et ses frères pour posséder seul leur logement commun. Déjà, Thuân avoue qu’il ne comprend pas ses filles, reconnaît l’indifférence qu’elles témoignent à son égard, exprime sa solitude au sein d’un foyer extérieurement paisible. Le général et son fils annoncent ainsi les figures paternelles peu consistantes de la littérature d’aujourd’hui où la famille étendue fait place au modèle nucléaire à l’occidental, que Durkheim appelle « la famille conjugale » [18]. Dans Une opportunité pour Dieu (1999), Nguyên Viêt Ha met en scène une famille monoparentale où une femme choisit d’élever seule sa fille. L’Enfant, une nouvelle de Phan Thi Vang Anh publiée la même année [19], signe le triomphe de la vie sans famille : une jeune fille passe une nuit avec un ami, se croit enceinte, découvre avec soulagement que l’enfant n’existe pas et reconnaît qu’à l’état de mère célibataire, elle préfère celui de femme célibataire. Les réalités vietnamiennes d’aujourd’hui en disent long sur le pouvoir d’anticipation de l’œuvre littéraire [20].
Par leurs interrogations multiples sur le rituel, le temps, la médiation entre le monde naturel et le monde humain, les nouvelles de Nguyên Huy Thiêp ont atteint une sorte d’intemporalité. Elles dévoilent, il est vrai, le parricide comme réalité douloureuse de son époque. Mais au-delà de ce fait d’actualité, l’auteur mène une réflexion plus générale sur le monde. L’histoire n’est faite ni de rupture ni de renouveau, mais de leur alternance. Sa théorie n’est pas éloignée de la pensée de Wang Fuzhi, un penseur chinois du XVIIe siècle, dont la « logique du procès » a été analysée par François Jullien dans Procès et création : « Vie et mort communiquent entre elles, la mort prépare aussi à la vie, elle est sans cesse au départ de la vie : le métabolisme est permanent » [21] ou encore : « Si l’alternance obéit à une logique cyclique, elle est aussi tout le contraire d’une répétition stérile : c’est elle qui permet au cours de se déployer, à tout procès d’avancer » [22].
P.-S.
Cet article est extrait de Doan Cam Thi, Écrire le Vietnam contemporain (2010) :
Notes
[1] Nguyên Huy Thiêp est né en 1950. Six recueils de ses nouvelles ont paru en français aux éditions de l’Aube.
[2] Une nouvelle de Thiêp est intitulée « Tâm hôn me [Un cœur maternel] », alors que la mère est totalement absente. Le personnage principal, un petit orphelin, imagine dans l’une de ses amies de classe, les traits de sa mère défunte.
[3] Ce rapport constitue un des trois principaux liens sociaux (tam cuong), à savoir : monarque / sujet (quân thân), père / enfant (phu tu), mari / femme (phu phu).
[4] Hoang Ngoc Phach, Un cœur pur, roman traduit en français par Michèle Sullivan et Emmanuel Lê Ôc Mach, Gallimard, coll. « Connaissance de l’Orient », 2006.
[5] Toujours selon cette morale, un homme doit avoir un enfant mâle pour perpétuer la lignée et veiller sur la vieillesse de ses parents. Pour ne pas les priver de ses soins, il ne doit pas faire de longs voyages.
[6] C’est un roman de Nguyên Công Hoan. « La ngoc canh vang » est son titre original.
[7] Voir Nguyên Huy Thiêp, Un général à la retraite, recueil de nouvelles traduites en français par Kim Lefèvre, La Tour d’Aigues, L’Aube, 1990. Nos citations renvoient à cette édition
[8] Nguyên Huy Thiêp, Le Cœur du tigre, recueil de nouvelles traduites en français par Kim Lefèvre, La Tour-d’Aigues, L’Aube, 1993. Nos citations renvoient à cette édition.
[9] De même, dans Un général à la retraite, père et fils portent le même prénom, seul le ton change : Thuần et Thuấn.
[10] Il est intéressant de comparer cette nouvelle de Nguyên Huy Thiêp au roman intitulé Une belle mort, paru en 2005, de l’écrivain québécois Gil Courtemanche où un homme assassine son père qu’il n’a jamais aimé, non pas symboliquement, mais réellement, physiquement. Certes, le roman touche ici à un sujet d’actualité qu’est l’euthanasie : le vieux père est victime de la maladie de Parkinson. Mais comme dans Il n’y a pas de roi, le meurtre s’inscrit plutôt dans une logique du pouvoir et de la vengeance, car la figure paternelle est une sorte de dictateur déchu. Cependant, si dans le texte vietnamien la pauvreté est à l’origine de la tentative de parricide, la fiction canadienne raconte un meurtre gastronomique : le père malade à qui tous les plaisirs sont interdits, est tué à coups de foie gras, de tartines de rillettes et de verres de vin rouge.
[11] Cette nouvelle n’a pas été traduite en français. Les citations renvoient à sa parution dans Nguyên Huy Thiêp, Nhu nhung ngon gio [Comme des bourrasques], recueil de nouvelles et de pièces de théâtre, Hanoi, Nha xuât ban Van Hoc, 1996.
[12] Christine Castelain Meunier, La Paternité, Paris, PUF, coll. « Que sais je ? », 1997, p. 7.
[13] Gérard Genette, Figures III, Paris, Le Seuil, p. 238.
[14] Par ce double thème de la mémoire et de la culpabilité, la nouvelle de Nguyên Huy Thiêp rejoint l’œuvre proustienne. Proust a en effet analysé ce lien dans un article paru dans Le Figaro en 1907, deux ans après la mort de sa mère, et intitulé « Sentiments filiaux d’un parricide ».
[15] Leçons paysannes, dans Nguyên Huy Thiêp, Un général à la retraite, op. cit., p. 49 82.
[16] Les enfants vietnamiens apprenaient par cœur les « Vingt quatre exemples de piété filiale [Nhi thap tu hiêu] » dont l’un, intitulé « vi mâu mai nhi [Pour sa mère enterrer son enfant] », présente une situation très proche de la nouvelle de Nguyên Huy Thiêp. On pourrait le résumer de la manière suivante : « Il n’y avait pas à manger pour tout le monde. Quach Cu dit alors à sa femme : “ Notre petit garçon mange tellement qu’il n’en reste pas assez pour notre mère. Nous pouvons encore avoir d’autres enfants, tandis que nous ne pourrons avoir d’autre mère ”. Ils se mirent alors d’accord... pour enterrer leur enfant. Il commença à creuser un trou lorsque sa pioche rencontra une jarre remplie d’or. » Voir « Le culte des ancêtres au Vietnam » dans Fermi Patrick, Fragments de culture vietnamienne traditionnelle, édition Association Franco-Vietnamienne, Bordeaux-Aquitaine, 2006, p.38-60.
[17] La réflexion de Nguyên Huy Thiêp n’est pas éloignée du thème d’un film japonais de Shōhei Imamura, Palme d’or au festival de Cannes 1983, La Ballade de Narayama. L’action se déroule au Japon, dans un village pauvre et isolé vers 1860 où la coutume veut que les habitants arrivant à l’âge de 70 ans et jugés inutiles socialement, soient rituellement abandonnés au sommet de Narayama, « la montagne aux chênes ». L’abandon des vieillards est aussi considéré par les Esquimaux de Thulé comme instrument de régulation démographique (Voir Jean Malaurie, Les Derniers Rois de Thulé, Paris, Plon, coll. « Terre humaine », 1976, p. 91 92.
[18] Voir Émile Durkheim, La Famille conjugale, cours professé en 1892, Paris, Éditions de Minuit, 1975.
[19] Cette nouvelle a été traduite en français par Doan Cam Thi, dans Au rez de chaussée du paradis, op. cit.
[20] Après de longues décennies de pratique du planning familial, la famille vietnamienne compte aujourd’hui en moyenne 4,4 individus, encore moins dans les centres urbains. Avec la croissance du niveau de vie, les liens d’attache entre ses membres sont de plus en plus distendus. Voir l’article de Hoàng Long, dans Le Courrier du Vietnam du 14/09/05 où il affirme que la constante augmentation du divorce (5 600 cas en 1982 et 51 361 en 2000) entraîne l’affaiblissement du lien entre les membres d’une famille, l’élargissement du fossé entre les générations, le renforcement du rôle de la femme dans le foyer. Dans son étude consacrée à la famille vietnamienne, Bui Trân Phuong fait la même constatation : « Les statistiques du tribunal de Hô Chi Minh ville montrent une augmentation de 120% des divorces entre les périodes 1990 1995 et 1996 2000. Ce sont les femmes qui, majoritairement, prennent l’initiative de demander la séparation » (Voir Vietnam contemporain, ouvrage collectif sous la direction de Stéphane Dovert et Benoît de Tréglodé, 2009, Indes savantes IRASEC, p. 523).
[21] François Jullien, Procès et création. Une introduction à la pensée chinoise, Paris, Le Livre de Poche, coll. « Biblio Essais », 1997, p. 65.
[22] Ibid., p. 27.