DIMANCHE.
Lecture. Sartoris (William Faulkner, Harcourt & Brace, 1929 ; Gallimard, 1937 pour la première traduction française, rééd. in Oeuvres romanesques I, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade n° 269, 1977 ; traduit de l’américain par René-Noël Raimbault et Henri Delgove, traduction revue par Michel Gresset, notice, notes et variantes de Michel Gresset ; 1620 p., 57,50 €).
Ce qu’on savait de Faulkner avant de l’aborder : le Sud, Oxford, Mississipi, la création d’un territoire fictif au nom imprononçable, genre Saskatchewan en plus compliqué, le Nobel, Sartre, l’admiration de Pierre Bergounioux, l’alcool, un passage à Hollywood, les traductions de Maurice-Edgar Coindreau auteur du coup de génie consistant à rendre As I Lay Dying par Tandis que j’agonise, et, pour le physique, une tête à moustache grisonnante, quelque chose entre Noël-Noël et Gaston Dominici en plus émacié. Ce que l’on sait maintenant après la lecture du livre, de la notice de la Pléiade et de quelques pages de la biographie d’André Bleikasten : Sartoris, qui apparaît en première position dans le volume, est en fait le troisième roman de Faulkner mais celui qui pose les bases de son oeuvre, en présentant une thématique, une localisation et des personnages qui réapparaîtront dans les titres à venir, plus connus. L’histoire se déroule dans le cadre attendu, dans les années 1919-1920, et concerne les membres de la famille Sartoris qui, outre le fait qu’ils semblent tous se prénommer John ou Bayard, ont tous en commun un désir de mort qu’ils réussissent à assouvir à plus ou moins long terme. L’ombre des guerres plane sur la famille, la Guerre de Sécession pour l’ancêtre disparu, la Première Guerre Mondiale pour ses petits-fils, l’un mort au combat, l’autre faisant tout pour le rejoindre dans l’au-delà en menant une vie pleine de dangers. Ce n’est pas très limpide, pas toujours facile à suivre. Il faut dire que pour arriver à faire publier son texte, Faulkner a multiplié les coupures d’un premier état intitulé Etendards dans la poussière (Flags in the Dust). On sent qu’on est en présence d’un continent littéraire qui ne fait ici que dévoiler des contours assez vagues mais dont l’exploration minutieuse vaudra le détour. Avant de s’y plonger plus avant, on peut déjà remarquer ce que les auteurs américains doivent à Faulkner, notamment les auteurs de polars, sur le plan technique : ouvertures de chapitres dans lesquelles le pronom personnel est systématiquement employé avant le nom du personnage, ce qui laisse le lecteur dans une incertitude plus ou moins longue, l’accent porté sur l’action plutôt que sur ce qui la motive, les préoccupations métaphysiques accordées aux personnages les plus humbles. Un type comme Dave Robicheaux pourrait très bien passer sans difficulté d’un polar de James Lee Burke à un roman de Faulkner et les Sartoris pourraient habiter chez Chandler ou chez Hammett. Enfin, mais on se trompe peut-être, on croit deviner d’où pourrait venir le goût de Bergounioux pour Faulkner à la lecture de certaines phrases dont il a dû apprécier, au point de les mettre lui-même en pratique, la sinuosité et la rigueur de construction : "Puis ils étaient partis, lui et son frère, exilés par la guerre comme deux chiens bruyants qu’on enferme au loin dans un chenil. Miss Jenny lui donnait de leurs nouvelles d’après les lettres insipides qu’ils se croyaient obligés d’envoyer chez eux à de rares intervalles. Et puis il était mort - mais loin, au-delà des mers, et il n’y avait pas eu de corps que l’on dût prosaïquement restituer à la terre ; aussi, pour elle, il semblait continuer à rire de ce mot comme il avait ri de tous ceux que prononcent les lèvres pour signifier le repos, lui qui n’avait pas attendu que le Temps et son train lui enseignent que le suprême degré de la sagesse est d’avoir des rêves assez élevés pour ne pas les perdre de vue pendant qu’on les poursuit."
Itinéraire patriotique départemental. A la découverte du monument aux morts de Circourt.
LUNDI.
Vie sanitaire. C’est le volet touristique de ces vacances, l’expédition à l’hôpital de Saint-Avold pour le rendez-vous trimestriel de Lucie. Les résultats sont moins bons qu’en septembre, hémoglobine glycquée à 8,2 peut-être n’aurait-il pas fallu la laisser regarder Charlie et la chocolaterie hier soir à la télévision. Au-delà de ça, j’ai de plus en plus de mal à supporter le ton inquisitorial de l’infirmière qui, en examinant sur son ordinateur les données fournies par la pompe à insuline, nous cuisine sans aménité : "La pompe a été déconnectée samedi à deux reprises pourquoi ?", "Pourquoi les bolus ont-ils été fractionnés à telle et telle date ?", "Pourquoi le débit de base de nuit a-t-il été modifié ?" et ainsi de suite. Parce qu’en cette période il y a des repas plus longs que d’autres, parce qu’on ne prend pas une douche avec une pompe à insuline, parce que cette nuit encore à deux heures du matin, Lucie culminait à plus de quatre grammes, parce qu’on fait ce qu’on peut et puis c’est tout, non mais.
Lecture. Laissez bronzer les cadavres (Jean-Pierre Bastid & Jean-Patrick Manchette, première édition Gallimard, coll. Série Noire n° 1394, 1971 ; rééd. in Jean-Patrick Manchette "Romans noirs", Gallimard, coll. Quarto, 2005, 1344 p., 29,50 €).
Relecture.
Jugement rétrospectif de Manchette dans une interview au Monde (1974) : "Eh bien , je dois dire que nous sommes arrivés à remplir 240 pages avec pour toute matière, à partir de la page 40, des gens qui rampent dans la pierraille et se canardent. Sur le plan du travail, c’était passionnant et hilarant." Passionnante aussi la redécouverte de cette première apparition de l’auteur dans la Série Noire dont il entend respecter à la lettre le cahier des charges de l’époque avec un seul mot d’ordre : "Action !". C’est un exercice de style, certes, mais aux mains d’excellents stylistes qui ne laissent pas un instant de répit aux protagonistes de ce règlement de comptes ayant pour cadre un village abandonné des Cévennes. Manchette fait ses gammes en virtuose et laisse apparaître par moments l’ironie froide avec laquelle il peindra la société de consommation des années 70 dans ses romans à venir. C’est un polar qui ressemble à ces westerns de Série B avec Randolph Scott ou Joel McCrea, une oeuvre dans laquelle il ne manque pas grand-chose au savoir-faire pour se transformer en réel talent.
Curiosité. "Je t’ai pas donné du feu, fit Rhino qui allait se détourner. Il sortit son Dupont en or à ses initiales. H.R. pour Henri Noblet, d’où Rhino."
MARDI.
Ivresse des cimes. H., de passage pour la croûte de midi, nous relate son périple au Népal. Je riposte en lui racontant notre excursion de dimanche dernier à la Croix de Virine (altitude 465 mètres).
MERCREDI.
Presse. Je lis le dernier numéro de La Liberté de l’Est qui sera remplacée, dès ce vendredi, par un nouveau quotidien, Vosges Matin, fruit de la fusion de ladite Liberté et de l’édition vosgienne de L’Est Républicain. Difficile pour moi d’imaginer un monde sans Liberté dont j’ai dû manquer à peu près autant de numéros que de matches du SAS à la Colombière. J’espère que Gérard Noël conservera, dans ce nouveau titre, la page littéraire mensuelle dans laquelle il a eu à plusieurs reprises l’amabilité d’accueillir mes chroniques.
Lecture. Histoires littéraires n° 28 (octobre-novembre-décembre 2006, Histoires littéraires et Du Lérot éditeurs ; 312 p., 20 €).
Revue trimestrielle consacrée à la littérature française des XIXe et XXe siècles.
Le numéro met à l’honneur des figures connues (Jarry, Dumas) et méconnues (l’éditeur belge Vital Puissant, René Dalize, ami d’Apollinaire) sans oublier celles qui naviguent entre les deux (Marcel Schwob). Dalize, on ne le connaissait que par ces vers de Zone, "Tu es très pieux et avec le plus ancien de tes camarades René Dalize / Vous n’aimez rien tant que les pompes de l’Église". On apprend ici ce que recouvre cette camaraderie, une correspondance entretenue au hasard des affectations pendant la Grande Guerre et leur collaboration à des revues de Poilus comme le Tranchman’ Echo et Les Imberbes. L’entretien met à l’honneur le bibliophile Thierry Bodin qui se révèle plutôt pessimiste sur l’avenir des collections privées : "Avant, les grands collectionneurs, [...] c’étaient des notables de province, des médecins, des pharmaciens, des notaires, bref des gens qui avaient fait leurs humanités, qui savaient lire le latin et le grec, qui connaissaient la littérature et pouvaient réciter des tragédies de Racine entières ou des poèmes de Victor Hugo. Or, à l’heure actuelle, beaucoup de ceux qui les ont remplacés ne lisent pas un seul livre dans l’année et passent leurs loisirs à jouer au golf ou à partir en vacances aux Seychelles ou aux Maldives. Autrefois, et j’en ai connu, c’étaient des gens qui se constituaient des bibliothèques extraordinaires, et qui étaient aussi des érudits parfois remarquables. Il y en a encore, mais ce sont un peu les derniers représentants, et je crains qu’il n’y ait pas de relève." A transmettre aux médecins, pharmaciens et notaires de votre connaissance.
JEUDI.
Bilan annuel 2008.
* 85 livres lus (- 1 par rapport à 2007)
* 189 films vus (+ 37)
* 243 abonnés aux notules version électronique (sans oublier les irréductibles abonnés papier de l’Aveyron) (+ 39)
* 30167 visites sur le site des notules (+ 6008)
En ce qui concerne les chantiers littéraires :
* 3696 Souvenirs quotidiens notés (+ 366, le compte est bon)
* 322 volumes étudiés dans L’Atlas de la Série Noire (+ 45)
* 106 communes visitées (+ 27) de Ableuvenettes (Les) à Circourt dans le cadre de L’Itinéraire patriotique départemental
* 125 photos de Bars clos commentées (+ 28)
* 368 entrées dans la Petite géographie de l’incipit (+ 12)
* 514 Bribes oniriques recueillies (+ 42)
* 657 tableaux commentés dans la Mémoire louvrière (+ 68)
* 194 publicités murales peintes photographiées (+ 33)
* 280 numéros de téléphone récoltés dans des films en vue d’un travail à venir (+ 78)
* 260 photographies de salons de coiffure pour l’Invent’Hair (+ 99)
* 77 frontons d’école photographiés pour l’Aperçu d’épigraphie républicaine (+ 19)
* 31 Lieux où j’ai dormi retrouvés ou ajoutés et photographiés (+ 3)
* 29 numéros de Diasporama envoyés à 35 abonnés.
Parutions :
* Bulletin de l’Association Georges Perec n° 51, 52 & 53
* Articles dans la page "Livres en liberté" de La Liberté de l’Est.
* Notes de lecture et Chroniques de l’actualité littéraire dans la revue Histoires littéraires n° 32-33-34-35.
* Reproduction de notules littéraires sur le site http://www.lecture-ecriture.com/
* Notules dominicales de culture domestique, morceaux choisis (2001-2007) chez publie.net
Remarques :
* Deux chantiers ont été abandonnés, sans trop de regrets.
* Deux autres sont désormais partie prenante des notules à la page du samedi, Itinéraire patriotique alphabétique départemental et Invent’Hair. En parallèle ont disparu toutes les notules concernant la télévision, un changement remarqué et regretté par certains. Je mesure d’autant mieux la difficulté qu’il y a à contenter la foule notulienne qu’elle n’a d’égale que celle que j’ai à me contenter moi-même dans mes multiples livraisons. On fait ce qu’on peut.
Sans oublier l’homme de l’année 2008 :
le déménageur
VENDREDI.
Courriel. Une demande de désabonnement suite à l’appel annuel envoyé il y a deux jours, rempart bienvenu contre l’autosatisfaction qui pourrait me guetter suite aux nombreux messages amicaux reçus entre-temps. Les satisfaits mènent encore 242 à 1.
SAMEDI.
Carnet. A la radio ce matin, il est question de la naissance de la fille de Mme Dati et de la mort de Laurence Pernoud. Je n’ai jamais lu Laurence Pernoud. En revanche j’ai beaucoup lu Donald Westlake dont Le Figaro du jour annonce la disparition. Et un peu Georges Belmont dont l’avis de décès figure dans le carnet du Monde, auteur d’intéressants Souvenirs d’outre-monde et surtout plume de Céleste Albaret pour Monsieur Proust. Westlake après Tony Hillerman, ça dégomme sec chez Rivages en ce moment.
IPAD. 2 janvier 2000. 200 km (1967 km).
175 habitants
Nous sommes repassés par Attignéville pour refaire des photos. Bien que nous commencions à connaître cette route par coeur, la tempête de dimanche dernier a permis d’éviter l’ennui. Beaucoup d’arbres coupés ou arrachés, la plupart des mirabelliers du Xaintois, des bâches bleues sur les toits, des tas de tuiles sur les trottoirs, les vestiaires jouxtant un terrain de foot littéralement soufflés. Une partie du toit de l’église, près de laquelle se dresse le monument, est d’ailleurs bâchée. Le Poilu qui surmonte la stèle est on ne peut plus martial. Il faut grimper six marches devant lesquelles se trouvent des jardinières vides pour atteindre une esplanade plantée d’arbres sillonnés par des guirlandes électriques. La stèle, signée E. Perrin à Pouxeux, est au milieu d’un carré orné de rosiers taillés, entouré de chaînes reliant des plots de ciment, elles-mêmes entourées d’une grille basse. La gerbe du 11 novembre achève de pourrir.
Aux enfants d’Autigny-la-Tour
Morts pour la France
Sur un côté :
ADAM Bernard
BOUCHERON Jules
CHANE Albert
FLOQUET Roger
GALANT Fernand
LAVIRON Albert
LHUILLIER Eugène
LAVIRON Emile
Sur l’autre côté :
MICHEL Maurice
NOEL Albert
NOEL Alfred
POINSOT Roger
QUINOT Alphonse
QUINOT Maurice
THIEBAUT Alfred
THIERY Pierre
INDOCHINE 1948 CHRETIEN Henri
L’Invent’Hair perd ses poils.
Ploemeur (Morbihan), photo de Ronan Céron, 4 août 2005
Bonne année,
D’.
Rappel. Les numéros précédents des notules sont consultables sur http://pdidion.free.fr
Notules dominicales de culture domestique, morceaux choisis (2001-2007), 242 pages, 5,50 €