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Hommage à Jean-Paul Dollé : 11. "Mon ami Jean-Paul Dollé...". Paul Virilio. 

dimanche 15 mai 2011, par Paul Virilio

 

 DÉDICACE. Courte eulogie de Paul Virilio, architecte, urbaniste, chercheur, philosophe, éditeur (directeur de la prestigieuse collection "L’espace critique" chez Galilée), dédiée à celui qu’il salue, "son ami", comme lui professeur. Courte mais qui n’envoie pas "se le faire dire ailleurs". La résistance solidaire, sur le fond de la culture de l’essai, confère particulièrement au dernier ouvrage de Jean-Paul Dollé : L’inhabitable capital. Elle a été publiée dans la rubrique libre "Tribune" du journal Libération le 6 février 2011, et reproduite dans divers endroits, dont le site des éditions Lignes, éditeur de ce dernier ouvrage.
 Si nous le joignons aux autres textes dédiés de l’hommage rendu dans La revue des ressources, bien sûr avec l’accord de l’auteur informé du contexte publié, c’est pour mémoire de la communauté intelligente de la dissidence, quand envers et contre sa diversité et ses divergences elle se rassemble autour d’un des siens, face aux académies passées et présentes et aux journalistes qui les jugent. [ ... ]

Mon ami Jean-Paul Dollé…

Tribune

Le philosophe Jean-Paul Dollé est mort le 2 février (Libé du 4). Un temps assimilé aux « nouveaux philosophes », il a été maoïste et proche des fondateurs de Libération. Spécialiste de la ville, il a fondé Banlieues 89 avec Roland Castro.

Par Paul Virilio


 Inhabituel ou inhabitable (?), dans son ultime ouvrage paru il y a juste un an (1), Jean-Paul Dollé indiquait déjà clairement la voie de garage de l’histoire « postmoderne », mais aussi semble-t-il sa disparition prochaine : celle de l’ÊTRE AU MONDE du grand vivant qu’il était ; gros cœur et bel appétit de vivre qui contrastait si fort avec le principe de précaution des philosophes de carrière qui s’affichent tous les jours, à l’avant-scène du spectacle du moment.

J’ai aimé l’ami Dollé pour sa belle nature et son « esprit d’enfance » (dixit Bernanos) qui le rendait si souvent solidaire de ceux qui s’indignaient ici ou là. Solidaire et pourtant si solitaire devant la mascarade habituelle des cuistres qui donnent encore des leçons de sagesse aux anciens de « la pensée de 68 », du haut de leur magistrature médiatique, lui qui n’avait nullement songé à faire carrière, même pas dans l’enseignement, alors qu’il était un si grand professeur.

ÊTRE AU MONDE, l’habiter pleinement, en attendant le plus tard possible, le passage vers l’inhabitable de l’ÊTRE POUR LA MORT d’une « philosophie » germanique dont Hannah Arendt devait nous délivrer, Dieu merci !

Après Baudrillard, Deleuze, Duvignaud, c’est maintenant Dollé qui s’efface dans une sorte d’Abécédaire où Guattari avait donné le signal, sans oublier le G2, André Gorz, l’adepte d’une écologie véritable et qui n’avait rien de commun avec l’actuel ministre du même nom.

Habiter l’inhabituel, en attendant un peu, l’inhabitable séjour d’une espérance contre toute espérance, l’éthique d’une disparition CINÉMATIQUE, que les « postmodernes » ont perdu de vue, dévots qu’ils sont d’un « fixisme » qui masque pour eux le MONOATHÉISME de l’interdit de penser « l’outre-vie », l’au-delà du nihilisme.

Avec Jean-Paul Dollé comme avec Jean-François Lyotard, fervents comme Arendt du Grand Augustin, on pouvait dépasser les conformismes philosophiques du moment présent, et ceci, malgré cette « société du risque majeur » où la Précaution fait de nous tous « des Précieuses ridicules », la soi-disant « Liberté d’expression » publique s’installant toujours au détriment d’une « liberté d’interprétation » privée qui est pourtant son indispensable équivalent !

Écoutons ici Jean-Paul : « Avec la fin de l’Ancien Régime, l’éternité s’en est allée. Ce n’est pas simplement une forme de gouvernement, un ordre social qui ont été détruits, c’est aussi et surtout un "Régime du Temps" qui a été aboli : celui où précisément Temps et Éternité s’interpénétraient, où l’une donnait sens à l’autre. » (l’Inhabitable Capital, page 81).

Urbaniste parce que philosophe, Jean-Paul Dollé parle ici d’un monde OMNIPOLITAIN, où « l’outre-ville » du Capital, la capitale inhabitable de « l’outre-vie », celle d’une survie précaire à durée indéterminée (comme les contrats CDI) où la sédentarité n’est plus celle de l’ÊTRE ENSEMBLE ici et maintenant, mais nulle part et à jamais étranger et voyageur…

Capitale de la Douleur, de l’attente du grand Passage que vient de franchir l’ami Jean-Paul, entouré de ses amis, tous ceux qui ne prennent pas le mur de Wall Street pour l’enceinte de la Cité de Dieu.

P. V.


Avec l’aimable autorisation de Paul Virilio
Première publication en source libre (régime spécial de la rubrique Tribune) @ Libération le 6 février 2011.


(1) « L’Inhabitable Capital », Éditions Lignes, 2010.

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Pour information : Jean-Paul Dollé et Paul Virilio, enregistrement d’archive (1996-2008), entre autre sur les positions respectives de J.P. Dollé et de P. Virilio à propos d’Internet, publié dans La spirale — entretien par Éric Ouzounian, il y a quelques années.

Et aussi, le bel hommage à Jean-Paul Dollé dédié par le même auteur également dans La spirale : Adieu, l’Ami, publié 10 mars 2011.

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HOMMAGE À JEAN-PAUL DOLLÉ
DANS LA REVUE DES RESSOURCES

Jean-Paul Dollé
4 novembre 1939 - 2 février 2011

Index
(suivre les liens sous les n° de chapitres)

 1. De l’acédie. Du soin qu’on donne à un mort. Bruno Queysanne. (Dédicace - inédit)
 2. Le singulier et le pluriel. Paris en mai. Hélène Bleskine. (Dédicace - inédit)
 3. Entrevue sur l’institution. La parole errante. Stéphane Gatti. (Vidéo - inédit)
 4. L’Inhabitable capital. VIII. Nihilisme et maladie - IX. Les deux nihilismes. (Extrait - Jean-Paul Dollé)
 5. "Jean-Paul Dollé, témoin lucide" par Josyane Savigneau. Pierre Goldman. (Recension de L’insoumis, vies et légendes de Pierre Goldman)
 6. L’insoumis, vies et légendes de Pierre Goldman. II. (...) Les étudiants révolutionnaires. (Extrait - Jean-Paul Dollé)
 7. La cité et les barbares. (Citation intégrale - Jean-Paul Dollé)
 8. Bernard-Henri Lévy recense "Haine de la pensée". (Recension de Haine de la pensée)
 9. Haine de la pensée - en ces temps de détresse. IV. Un se divise en deux : (...) (Extrait - Jean-Paul Dollé)
 10. "Question où de Sartre il n’y eut que le silence". Roland Castro. (Dédicace)
 11. "Mon ami Jean-Paul Dollé...". Paul Virilio. (Dédicace)
 12. Métropolitique. IV. L’expulsion (...). V. Habiter l’absence (...). (Extrait - Jean-Paul Dollé)
 13. Le Myope. 1re partie. IV. (...) (Extrait - Jean-Paul Dollé)
 14. Ce que tu ne pouvais pas nous dire. Aliette Guibert-Certhoux (Dédicace)

(à suivre)

P.-S.

[ ... ]
Aux générations suivantes de prendre acte de ce qui ne devrait pas être oublié dans les années qui immédiatement arrivent.

Quand les grands éditeurs nationaux inséparables du système caduque de la distribution du livre, sur lequel s’adosse le commerce de la culture écrite des auteurs depuis la Libération en France, soit déjà plus de la moitié d’un siècle, (éditeurs associés aux distributeurs ou l’étant devenus, qui tarderont encore à se révolutionner, s’agissant du système entier de l’économie qu’ils activent, même s’ils commencent à en pâtir), jusqu’à avoir dévoré le charme des librairies, quand ces éditeurs-là, les seuls pouvant payer des crédits palpables d’avances aux auteurs sur leurs droits, n’excèdent pas leur premier tirage, même pas la réédition dans les formats de poche, des ouvrages épuisés dont ils sont encore détenteurs des droits (ce qui prive de la possibilité d’en reproduire les textes) : que deviennent les œuvres ou la pensée rendues inaccessibles aux lecteurs ?

N’y a-t-il donc une obligation contractuelle de perdre l’accès donné par la cession des droits si les ouvrages ne sont pas réédités dans un délai tolérable — c’est-à-dire à commencer du vivant même des auteurs ? Normalement oui. Mais tout dépend des contrats acceptés moyennant l’intérêt lucratif, souvent nécessaire à vivre, du montant de la première avance. C’est que chaque réédition voit le rapport de l’éditeur décroître et celui de l’auteur augmenter, cadre contractuel correspondant au temps où l’imprimerie offset archivait les clichés. Ce qui n’est plus le cas. Chaque réédition en offset coûte le prix de la première et même suivant le cours de l’augmentation des matières brutes. Quant au tirage numérique il ne s’accommode pas des grands stocks.

Un dernier vœu ici : que la critique sur le fond et sur la forme, la pensée de l’essai qui a fait la "virulence" locale et internationale du fait de penser publiquement plutôt que les fait divers faisant les scoops — pourvu qu’elle ne disparaisse pas !

A vous de jouer dans le marché du livre d’occasion, lecteurs, c’est la couverture de L’odeur de la France qui le dit, ce n’est pas une main tenant une plume sur une feuille, ni un clavier, ni l’écran d’une machine en cours d’écriture, mais une pile de livres que la chandelle éclaire, pour la déambulation particulière du noctambule qu’est le lecteur.

Jusqu’à nouvel ordre des choses, — puisqu’il ne faut jamais désespérer, — c’est à vous seuls, lecteurs, non aux auteurs privés d’accès au public des libraires — désormais voués aux seuls consommateurs de la "nouveauté", — ou défunts, qu’est légué de faire vivre la pensée, en l’innovant toujours depuis sa lecture. (A. G. C.)

Jean-Paul Dollé
L’odeur de la France
Source amazon


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