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Jean Paul,
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Tu es mort, mais tu ne mourras pas car tu étais un oracle, un orateur, un arpenteur, un promeneur, un flâneur, un professeur, un troubadour de la pensée.
Tu passais de château en château, de maison en maison, de café en café avec ta maïeutique, tu interrogeais les enfants comme Socrate et tu caressais les chats.
Tu arrivais et tout le monde, n’importe qui devenait intelligent, avec ton esprit en boucle et arabesque, ton amour des mots.
Ce que la doxa appelle philosophe tu l’étais certes, et même diplômé. Mais ce que tout un chacun, le peuple, appelle philosophe ça tu l’étais.
Tu étais un danseur, tu fréquentais la musique qui te parlait autant que les mots.
Tu étais ce qu’on appelait au XVIIIe siècle un homme d’esprit.
C’est pour ça que tu ne mourras pas.
Depuis la terrible nouvelle de ta mort ; nous sommes convaincus et pas seulement par lâcheté convenue devant la fin, le mot fin sur ta carcasse, que tu ne mourras pas.
Mitterrand disait « je crois aux forces de l’esprit » : tu étais un esprit, de tes anecdotes innombrables surgissait de l’essentiel.
Comme ton ami Pierre Goldman auquel je ne peux m’empêcher de penser aujourd’hui tu étais un braqueur, tu avais ta loi et en même temps tu savais mieux que personne parler de la LOI COMMUNE.
Tout petit, très malade, tu es devenu immortel, tu ne pouvais, tout petit, que penser.
Et tu as passé ta vie à questionner l’un et le commun parce que chez toi il y avait de l’un, de l’unique, de l’inéluctablement unique.
Ce que les gens disent : il est unique celui-là.
Tu étais d’une langue et d’une terre et cela a donné L’odeur de la France [1], l’un de tes plus grands livres car, au fait, tu laisses une œuvre.
Entre Marx et Freud.
Commencé par le meilleur livre après 68, Le désir de Révolution.
Une œuvre qui se balade entre deux espaces qui sont le grand écart de ce que tu étais.
Un appartement balzacien haussmannien plein de tous les petits tracas de l’être et le bon havre du misérable tas de petits secrets qui est chacun de nous et en face : le Château de Vincennes : le lieu hugolien où le général de Gaulle espérait en 58 installer la France de même à Beaugency dans le plus petit territoire du Royaume de France ta maison collée au donjon.
Tu circulais entre la pure idée absolue : la France
Et le plus misérable de ce pays idée, ce pays concept : les Français.
Je pense qu’au-delà de ton œuvre tu as laissé d’immortels slogans, comme Desnos, comme un poète comme ce qu’on appelait au XIXe un publiciste.
En 68 que tu résumas : Chassez le Flic de votre tête et récemment avant la présidentielle de 2007 : au Mouvement de l’Utopie Concrète ; Nous sommes des millions à être seul, en passant par le Changer la vie de Vive la Révolution.
Juste pour mémoire tu resteras aussi le premier d’une longue série d’intellectuels qui sont là aujourd’hui à répondre au désir de tes amis architectes que les intellos s’intéressent à la question centrale de notre monde : habiter ensemble, question où de Sartre il n’y eut que le silence.
De cela aussi il reste une œuvre dont ton dernier livre prophétique : L’inhabitable capital [2]
Jean-Paul fais-moi une prophétie ? Combien de fois t’ai-je posé cette question ?
Notre dernière conversation sur l’état de notre pays malheureux : il y a 15 jours.
Tu m’as dit, il est aboulique, résumons : le désir de rien. [3]
Car tu avais la liberté de prophétiser, de dire l’avenir.
Tu étais voyant, comme Rimbaud et c’est pourquoi tu ne mourras pas.
Maintenant il y a la douleur, j’ai bavardé, tourné autour, avant de l’évoquer.
Nous souffrons Jean-Paul de ton départ physique sans prévenir, comme ça, apaisé dans ton lit.
Bien sûr tes frères, ton fils, sa femme, ton petit-fils, ta petite fille qui t’aiment tant, et Claudie et Françoise.
Bien sûr tous tes amis, rien de factice ou de convenu dans tout ce que nous ressentons car nous t’aimons sans réserve Jean-Paul.
Le plus dur pour moi ce fût de l’annoncer à mes 5 enfants car tous t’aiment, Jean-Paul.
Et nous deux vers 1972, l’aveugle et le paralytique, au bord du gouffre, dans un soutien mutuel invraisemblable de deux funambules détraqués, Paulo, Jean-Paul, Paulette, tu détestais que je t’appelle Paulette, tu ne feras plus de salades de tomates coupées n’importe comment avec un œuf dur explosé comme une grenade.
Tu ne joueras plus à la belote, nous n’entendrons plus parler de « blé engrangé ne craint pas l’hiver » dont longtemps Samuel, mon fils, a pensé que c’était un mec qui ne craignait pas le froid.
Tu ne pisseras plus dans la travée du cinéma comme à Hyères, en 82, car tu l’as fait, un des plus beaux souvenirs de transgression de ma vie.
Jean Paul,
Aujourd’hui nous pleurons, mais tu n’as pas fini de nous faire rire,
Tu n’as pas fini de nous faire penser,
Tu n’as pas fini de nous faire rêver.
Il faut admettre que tu es mort
Mais un conteur comme toi s’est inscrit au patrimoine immortel de l’humanité.
HOMMAGE À JEAN-PAUL DOLLÉ
DANS LA REVUE DES RESSOURCES
Jean-Paul Dollé
4 novembre 1939 - 2 février 2011
Index
(suivre les liens sous les n° de chapitres)
– 1. De l’acédie. Du soin qu’on donne à un mort. Bruno Queysanne. (Dédicace - inédit)
– 2. Le singulier et le pluriel. Paris en mai. Hélène Bleskine. (Dédicace - inédit)
– 3. Entrevue sur l’institution. La parole errante. Stéphane Gatti. (Vidéo - inédit)
– 4. L’Inhabitable capital. VIII. Nihilisme et maladie - IX. Les deux nihilismes. (Extrait - Jean-Paul Dollé)
– 5. "Jean-Paul Dollé, témoin lucide" par Josyane Savigneau. Pierre Goldman. (Recension de L’insoumis, vies et légendes de Pierre Goldman)
– 6. L’insoumis, vies et légendes de Pierre Goldman. II. (...) Les étudiants révolutionnaires. (Extrait - Jean-Paul Dollé)
– 7. La cité et les barbares. (Citation intégrale - Jean-Paul Dollé)
– 8. Bernard-Henri Lévy recense "Haine de la pensée". (Recension de Haine de la pensée)
– 9. Haine de la pensée - en ces temps de détresse. IV. Un se divise en deux : (...) (Extrait - Jean-Paul Dollé)
– 10. "Question où de Sartre il n’y eut que le silence". Roland Castro. (Dédicace)
– 11. "Mon ami Jean-Paul Dollé...". Paul Virilio. (Dédicace)
– 12. Métropolitique. IV. L’expulsion (...). V. Habiter l’absence (...). (Extrait - Jean-Paul Dollé)
– 13. Le Myope. 1re partie. IV. (...) (Extrait - Jean-Paul Dollé)
– 14. Ce que tu ne pouvais pas nous dire. Aliette Guibert-Certhoux (Dédicace)
(à suivre)