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La Place du coeur, de Steinunn Sigurdardóttir 

lundi 25 juillet 2011, par Régis Poulet

Ce roman, La Place du cœur, n’est pas récent, il a paru en Islande voici quinze ans et a été traduit en français en 2000. Ceci n’est donc pas un compte rendu d’actualité littéraire mais un coup de cœur.

Il est emblématique d’une littérature à laquelle il est nécessaire de s’intéresser de plus près. Le pays est petit, peu peuplé, mais sa littérature très vivante. Justement, dans La Place du cœur, de Steinunn Sigurdardóttir, il n’est pas bien difficile de déceler la présence de la littérature au sens large, c’est-à-dire de ce qui se raconte : les sagas, les poèmes épiques, les récits mythologiques ; ainsi que la poésie, omniprésente comme réponse humaine à la naturalité et au destin.

Il est diverses façons d’aborder ce riche roman…

– Un –

La Place du cœur est un peu à l’Islande de la fin du millénaire ce que Sur la route de Jack Kerouac est aux States des années 50 : on met tout le monde dans une voiture à Reykjavik et on file, aussi vite que pas possible, vers l’Est. C’est ainsi une sorte de Morgenlandfarht à la Hermann Hesse puisqu’il s’agit, pour la narratrice, de retrouver le pays de l’enfance. Ce road movie mouvementé, où drogues, poursuites et règlements de compte se paient une bonne tranche, est un récit initiatique.

– Deux –

Les protagonistes sont des femmes de tous âges, de toutes natures, de toutes origines. Des hommes gravitent autour, quoique depuis un point en mouvement, on peut se demander qui tourne autour de qui. Toujours est-il que dans la petite voiture montent Harpa, la narratrice, Edda, sa fille, et Heidur, l’amie de Harpa. Il faut ajouter à cet équipage explosif le fantôme de la mère de Harpa, pas particulièrement arrangeante. En revanche, ne pas compter Gerti la Poule parmi les protagonistes féminines : c’est un voyou de Reykjavik qui les poursuit !

– Trois –

Il n’est pas interdit de rapprocher non plus La Place du cœur du film de Pedro Almodovar Femmes au bord de la crise de nerfs. Les relations entre Harpa et sa défunte mère tournent autour d’un non-dit (qui est le père de Harpa ?), celles entre Harpa et son amie autour d’une rivalité amoureuse insue et de réussites sociales contrastées ; enfin, la principale, qui conditionne le départ de ces trois femmes, est la terrible violence de l’adolescente envers elle-même et envers sa mère.

– Quatre –

Le roman de Steinunn Sigurdardóttir met en évidence le rôle de l’art – la musique mais surtout la littérature – lorsque la présence de la nature est tellement imposante qu’il faut y répondre. Comme tracer la route, raconter sert à trouver. Le récit de Harpa Eir, souvent cocasse et parfois rocambolesque, l’aide à mettre de l’ordre dans la polyphonie manifeste qui habite le personnage et sa narration. Elle voudrait que ce soit son autobiographie. Mais la poésie – car l’infirmière Harpa est une poétesse méconnue – tient une grande place dans le récit.

– Cinq –

La dimension mythologique, qui paraît aussi naturelle dans un récit islandais qu’une conversation idéologique dans un roman français, est omniprésente. A commencer par le nom de la fille de la narratrice, Edda, homonyme de l’Edda de Snorri et de l’Edda poétique où se trouvent respectivement une initiation à la mythologie nordique et le recueil des poèmes sacrés et héroïques. Les références à la magie, à la voyance sont fréquentes dans La Place du cœur, et des personnages entretiennent avec la nature des liens qui accentuent leur dimension mythologique, comme Harpa la naine qui, conformément à la mythologie scandinave, a le don de trouver des pierres extraordinaires…

– Six –

De Reykjavik à Andey, petite île à l’entrée du Faskrudsfjördur, l’auteur nous fait pérégriner en d’époustouflants paysages, sur des routes improbables et dangereuses, par tous les temps, surtout les pires, occasion d’éprouver l’immense respect fait de fascination et de peur que les Islandais éprouvent pour leur pays. Certes, comme en d’autres œuvres, les personnages aspirent à quitter l’île rude et sauvage. Les liens entre l’Islande et la France sont d’ailleurs très nets dans ce roman dont l’horizon est ces fjords de l’Est au bord desquels nos marins ‘islandais’ de Bretagne se sont parfois installés.

– Sept –

Enfin, ce roman est très islandais en ce qu’il ne trace pas de frontière nette entre le récit et la poésie, entre les vivants et les morts, entre le réel et l’imaginaire, le présent et le passé, la nature et l’homme. Le présent est riche de tous ces aspects qu’il nous est difficile de lier, ou délier, et c’est notamment ce que nous montre Steinunn Sigurdardóttir dans son beau roman.

P.-S.

La Place du cœur de Steinunn Sigurdardóttir, traduit par François Emion, Denoël, 2000, 478 pages. Photographie Régis Poulet.

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