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Mémoire/ Memory (1919) 

mercredi 26 janvier 2011, par Howard Phillips Lovecraft (1890-1937)

Inconstesté dans le domaine du fantastique, toujours à la frontière entre le cosmos et l’imaginaire, Howard P. Lovecraft (1890-1937) exerce une grande influence encore sur les auteurs contemporains.

Dans Mémoire (traduction collective placée dans le domaine public), l’auteur évoque, à travers deux personnages mythiques, un monde perdu. Est-il passé ou à venir ?

Dans la vallée de Nis, la lune décroissante et maudite luit faiblement, taillant de ses pointes vacillantes un passage à sa lumière, à travers le feuillage mortel d’un grand upas. Dans les profondeurs de la vallée, où la lumière ne parvient pas, se meuvent des formes qui ne sont pas destinées à être vues. Foisonnante, la végétation recouvre chaque versant où la vigne vierge maléfique et les plantes grimpantes rampent parmi les pierres des palais en ruines, enlaçant étroitement des colonnes brisées et d’étranges monolithes, soulevant les dalles de marbre posées par des mains oubliées. Et dans les arbres qui poussent gigantesques dans des cours délabrées bondissent de petits singes, tandis qu’allant et venant par les cryptes profondes s’entortillent des serpents venimeux et des êtres squameux sans nom.

Immenses sont les pierres qui dorment sous les couvre-lits de mousse froide et humide, et puissants sont les murs dont elles sont tombées. Pour l’éternité – leurs bâtisseurs les avaient érigés, et à la vérité ils servent encore noblement, car c’est au-dessous d’eux que le crapaud gris a fait sa demeure.

Tout au fond de la vallée se trouve la rivière Than dont les eaux sont visqueuses et remplies de feuilles. De sources cachées elle jaillit, et vers des grottes souterraines elle s’écoule, si bien que le Démon de la Vallée ne sait pas pourquoi ses eaux sont rouges ni à quels lieux elles sont liées.

Le Génie qui hante les rayons de la lune parla au Démon de la Vallée, disant : « Je suis vieux et très oublieux. Dis-moi les actes, l’apparence et le nom de ceux qui ont construit ces choses de pierre. » Et le Démon répondit : « Je suis Mémoire et je suis versé dans les traditions du passé, mais moi aussi je suis vieux. Ces êtres étaient comme les eaux de la rivière Than, on ne pouvait les comprendre. De leurs actes, je ne me souviens pas, car ils n’existèrent que dans l’instant. De leur apparence, je me souviens vaguement, elle était pareille à celle des petits singes dans les arbres. De leur nom, je me souviens clairement, car il rime avec celui de la rivière. Ces êtres d’hier s’appelaient Homme. »

Alors le Génie s’envola de nouveau vers le mince croissant de la lune, et le Démon regarda attentivement un petit singe dans un arbre qui poussait dans une cour délabrée.

Memory

In the valley of Nis the accursed waning moon shines thinly, tearing a path for its light with feeble horns through the lethal foliage of a great uperas-tree. And within the depths of the valley, where the light reaches not, move forms not meant to be beheld. Rank is the herbage on each slope, where evil vines and creeping plants crawl amidst the stones of ruined palaces, twining tightly about broken columns and strange monoliths, and heaving up marble pavements laid by forgotten hands. And in trees that grow gigantic in crumbling courtyards leap little apes, while in and out of deep treasure-vaults writhe poison serpents and scaly things without a name. Vast are the stones which sleep beneath coverlets of dank moss, and mighty were the walls from which they fell. For all time did their builders erect them, and in sooth they yet serve nobly, for beneath them the grey toad makes his habitation.

At the very bottom of the valley lies the river Than, whose waters are slimy and filled with weeds. From hidden springs it rises, and to subterranean grottoes it flows, so that the Demon of the Valley knows not why its waters are red, nor whither they are bound.

The Genie that haunts the moonbeams spake to the Demon of the Valley, saying, "I am old, and forget much. Tell me the deeds and aspect and name of them who built these things of Stone." And the Demon replied, "I am Memory, and am wise in lore of the past, but I too am old. These beings were like the waters of the river Than, not to be understood. Their deeds I recall not, for they were but of the moment. Their aspect I recall dimly, it was like to that of the little apes in the trees. Their name I recall clearly, for it rhymed with that of the river. These beings of yesterday were called Man."

So the Genie flew back to the thin horned moon, and the Demon looked intently at a little ape in a tree that grew in a crumbling courtyard.

P.-S.

Memory - 1919

Source : http://fr.wikisource.org/wiki/M%C3%A9moire_%28Lovecraft%29

Traduction collective placée dans le domaine public.

Written in 1919 - Published May 1923 in The National Amateur

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