POÈMES DES AMITIÉS LOINTAINES
LOVE, ETC.
’Un Malheureux appelait tous les jours
La mort à son secours’
(Ésope, ’La Mort et le Malheureux’)
’Quel plaisir a-t-il eu depuis qu’il est au monde ?
En est-il un plus pauvre en la machine ronde ?
Point de pain quelquefois, et jamais de repos.
Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,
Le créancier, et la corvée
Lui font d’un malheureux la peinture achevée.’
(La Fontaine, ’La Mort et le Bûcheron’)
Qui cherche la sortie de secours
L’âme sans recours
Sur ce putain de parcours
Qu’ennuie le séjour
Comme dit la chanson Amour
Cour
Jour
Toujours
Troubador
De vaudou en vautours
Ne t’étonne pas qu’il soit plus facile de composer lorsqu’on est sourd
C’est que ça tue la cacophonie autour
Comme dit la chanson Amour
Cour
Jour
Toujours
Troubador
Ce ne sont pas seulement les fours
Qu’on prend en amour
Velour ô t’en souvienne Marchand de velours
Ce sont aussi tous les détours
De ce labyrinthe sans retour
Chaque pas qui éloigne plus de la désirée sortie dont je discours
Comme pour Adam le bûcheron ces tristes alentours
N’offrent que fatigues peines et labours
Fricher sans cesse copie des autres jours
Et les hommes nos frères causes seuls du résurgent malheur qui nous encoure
Comme dit la chanson Amour
Cour
Jour
Toujours
Troubador
AMAZING GRACE
There’s no place
On home grass
& no work to purchase
Police says
From Wall Street U better raise
’Til we sing Amazing Grace
Find a job is real mess
Life’ a maze
My children to raise
Risky buzen’s
Look the clock face to face
Poverty has no race
’Til we sing Amazing Grace
Better find your mark better find your place
So feed your dog make your prays
Home works & cotton fields ’cause in Paradise
Talk freedom live in chains
Wait I’ve been making my nails
Is song God plays
’Til we sing Amazing Grace
I said pretty prink your ass
There’s no prosecutor there’s no jails
Says hooligans says vandals
There’s no peace at doors hell’s
It’s always
Another case
Just a Texas blues sing I think by angels
Peace and hope ’re just a phrase
If I hurt somebod’s feelings let me apologize
Myself for another blaze
’Til we sing Amazing Grace
AON AON (AÏON)
Où t’en es-tu donc allé Villon
Après ton 63 sans adresse ni guide de déménagement Century21
Les yeux qui piquent c’est con on dirait une chanson de Souchon
Les procès de Baudelaire
Et de Flaubert
Baudelaire contre le tout Paris
Et Flaubert aussi
Tu sais la morale de la bourgeoisie
Et Dostoïevsky
Loin de sa Perspective Nevski
Envoyé vite fait en Sibérie
C’était loin c’était froid
Par ce que j’en sais ça pourrait aussi bien être Stockholm
Parce que le bonhomme
En est revenu plus royaliste que le roi
Au fait vieille société dis-moi
Si à la Pension Belhomme
Ce ne sont pas aussi
Les enfants du Paradis
Qui y laissaient la pomme
Décousue du cou
À la fin comme tarte Tatin toute debout
Ou alors c’est juste moi je sais pas
Oh Babe chante chante-moi
Il n’y a pas d’amours heureux
Pendant que j’accumule mes morts à table
Je les organise galette des Rois
À qui perd gagne en file et peureux
En ces époques nauséabondes et misérables
Je ne sais si d’Hugo ou de Sue
Avant cheese sur les Kodak
Aujourd’hui juste cheesecake
Soufflé l’espoir et le trop-perçu
Sur les polaroïds toujours j’avais le trac
Depuis tu rends ta vie à Dieu et qu’il s’en torche le cul
C’est si facile d’être un héros
Tu vois tes frères si obéissants
Aux ordres d’un autre bourreau
Les rois changent eux ils restent constants
Le roi est mort tu connais la suite
Et dans tes silences un démon habite
Demande-lui l’heure du soir
Qu’il te rembourse le stop
C’était une autre route que tu voulais voir
À présent que les ombres t’enveloppent
Tu ne voulais pas y croire
Mais qui te touche t’écorche et entre les aulnes tu sais qui galope
Bois ton fax touche ton portable
Ton facebook engloutit ton jumeau instable
Tu te décris on te dis sociable
Tu voudrais parfois mettre les poings sur la table
Où es-tu Villon
Parti la rime est trop facile
Rejoindre les neiges d’antan
Et les petits enfants
Qui tombent des balcons
Disent bonjour mais ils ne restent qu’un instant
Si tu te souviens de nos pardons
Écris-lui que les hommes sont habiles
Et que s’il y a un grill
Rien ne sert qu’il le dise à sa création
Plus rien ne la surprend
Bon père aux talents utiles
Il a déjà fourni
Les armes et la guerre
La famine et l’envie
Les multinationales et les serial killers
FIAT LUX
La vieille Opportunité
Avec son unique cheveu sur la tête
Un jour fit le jour et la lumière
L’air frais de l’été
Où en rond les bêtes
Célèbrent la fleur et le lierre
Mais Dieu jaloux dans son éternité
Où seul et oublié il s’embête
Entre de gros murs de béton et de pesantes portes en fer
Pour se venger de n’avoir pas été invité
Décida qu’il mettrait fin à la fête
Et d’un coup de patte créa le triste hiver
En échange dans sa bonté
L’Opportunité voulut lui faire tête
Et créa l’oiseau qui vole dans les airs
Le poisson qui nage avec gaieté
Et la vache impassible qui n’arrête
De paisser l’herbe fertile et le cresson clair
Mais Dieu de nouveau entêté
À l’ombre de sa sinistre cachette
Changea le gai moineau en charognard sévère
Obligea le libre nageur à sa proie sans cesse guetter
Inventa le taureau qui se jette
Au sacrifice pour que les fous le vénèrent
La douce et pacifique Antiquité
Alors s’enfonça en des orgies secrètes
Et en une nuit vieillit laide et amère
Garantissant à l’injuste Dieu sa célébrité
Par les chants qui rendirent muette
Celle que naguère
L’on avait nommée Humanité
Propiciées à grand renfort de trompettes
Naquirent la sombre Misère
Aux vieux haillons mités
La Mort consciencieuse toujours prête
Et son Majordome manchot et cul-de-jatte qu’est la Guerre
Dans cet affrontement l’Opportunité fit la Vie
Aussitôt Dieu néfaste à sa rencontre envoya l’Envie
L’Opportunité fit l’heureux Vent
Dieu le songeur Temps
L’Opportunité donna la rose
Et pour l’accompagner le vaillant Poète et son vers
Dieu tout de suite les remplaça par la plate prose
Et le grossier épithète des tavernes qui seul verse les verres
L’Opportunité pour l’écrivain et le rêveur
Fit le matin flamboyant où le mauve dans l’orange bascule
Dieu pour la masse anonyme et l’horloge qui en mesure les heures
Le changea sans plus y penser en sanglant crépuscule
L’Opportunité inventa les couleurs
L’arc-en-ciel et les sentiments évocateurs
Dieu fit plus sombre la nuit
L’Opportunité y mis sa bougie
Mais Dieu pour tout feu fit les cendres et la suie
L’Opportunité apporta alors le chaton contre l’ennui
Mais Dieu envoya son chien méchant
En lui donna l’ordre d’aboyer aux passants
L’Opportunité construisit un Paradis
Mais Dieu un troisième y introduisit
L’Opportunité ouvrit grand le monde ample et libre
Mais Dieu y ajouta la porte et son timbre qui vibre
Après l’avoir pensé après tout
Il l’accompagna de l’indispensable voleur avec son passe-partout
L’Opportunité qui aimait les espaces leur ouvrit des fenêtres
Mais Dieu créa la cage intérieure
Où gisent ses voyeurs
Violeurs vampires vivant des âmes ouvertes des autres êtres
Compréhensive l’Opportunité lui donna l’excuse
Pour que Dieu superbe la métamorphose en mensonge
L’Opportunité songea l’eau douce que les rives longent
Mais d’un coup Dieu la barra d’écluses
Qu’il remplit de l’immonde pestilence et de la foule qui complice la ronge
Mais l’Opportunité ici suggéra Argenteuil et les impressionistes
Alors Dieu y associa Van Gogh et le suicide d’artiste
Il monta aussitôt les galeries et d’un même bloc de pierre dure
Les races jumelles des ronds-de-cuir et des marchands
L’Opportunité fit alors naître quelques Courteline à la ligne sûre
Mais pour un auteur Dieu avait déversé des siens cent
Naquit ainsi le médiocre
Naquit le pleutre
Naquit le saint
Naquit le patriote
Vaincue l’Opportunité défit son faucre
Troqua sa plume et son casque contre le veston et le feutre
Et en silence accepta enfin
Qu’on l’envoie en maison de retraite où lobotomisée elle radote
Dieu vainqueur orgueilleux
Devint dictateur des malheureux
Et à ses accolytes
Le Mal et l’Injustice
Donna tous les royaumes romain et hittite
Et toutes les sociétés barbares ou civilisatrices
***
Alors le Conseil des Anciens Sages
Qui avait pris ce changement avec gravité
Se réunit un vendredi après-midi
En session extraordinaire
Et sur une unique page
Comme ont coutume les juges et leurs comités
Décrirent en peu de mot le mal et son alibi
Conclurent satisfaits qu’ainsi devait être la Terre
Au patient il donnèrent la rage
À l’amant le coût du ménage
Au juste les révisions de comptes et l’expression publique de la probité
Pour l’honnête homme l’Église et la commodité
Au coeur simple la leçon de moralité
Qui sans pitié l’équarrit
Qui comme la chaux vive le blanchit
Ainsi ils inventèrent
Séminaires et Ministères
Un mot la Justice imparfaite justifiée par nos Pères
Les idées de la beauté de l’amitié et de l’admissibilité
Qui ne sont qu’une porte ouverte à leur exact contraire
Mais alors Dieu dogmatique
S’appuyant sur cette opportune décision de justice
Comme plus tard le feront ses disciples dictateurs
Organisa ses lois d’absolus interdits qu’il nomma bien sûr démocratiques
Pour les faire respecter il nomma vite une puissante milice
Qu’il révisa d’abord en lui enlevant le foie et le coeur
Depuis ce temps-là moi j’utilise des prismatiques
Pour adapter mon inconformité à certaine mécanique
Essayant de calmer mon âme enchaînée et qu’elle glisse
Courbe l’échine et s’affaiblisse
J’accepte l’idée que je me fais de la biologie mes erreurs
Seulement miennes car je suis imparfait et Dieu est mon Sauveur
J’accepte la mort de la Pomponette et mea culpa mea maxima pas de pleur
J’accepte l’État et l’organisation sociale qui me protègent du malheur
Dieu que plus personne ne retenait
Fit alors la mort pour la vie
La guerre pour la paix
Et changea l’ami en ennemi
Il créa ainsi la haine pour l’amour
La faim pour la nourriture
La loi pour la briser
Le prochain pour l’esclaviser
La tristesse pour le plaisir
La promesse pour le sentir
Pour la caresse le souffrir
Pour la tendresse le punir
Pour la sûreté l’angoisse
Pour la fidélité la double face
L’attente pour l’espoir
L’heure lente pour le désespoir
Le départ pour la rencontre
Pour le plus et le mieux le moindre et le contre
La violence pour la jeunesse
Les doléances pour la vieillesse
Pour l’homme droit l’esprit courbe
Pour le juste et le droit le vil et le fourbe
Pour la grandeur la petitesse
Pour la splendeur la bassesse
Pour l’économie le voleur
Pour le travail accompli le capitaliste profiteur
Pour le denier mis le banquier fraudeur
Pour la récolte finie l’intermédiaire investisseur
Pour le soin gratuit le bûcher des inquisiteurs
Pour la santé la maladie
Pour la bonté l’envie
Pour la justice les juges les huissiers et les avocats
Pour la liberté la police et l’État
Pour la paix et l’armistice la férocité des combats
Pour l’amoureux le viol
Pour la beauté le vitriol
Pour l’attrait le rejet
Pour l’individu la foule
Pour l’inconnu le moule
Pour le mot et la théorie la publicité et la propagande
Pour la liberté d’expression les partis et les bandes
Pour la vi solitaire le meurtre collectif
Pour la variété de la terre le sacrifice votif
Pour la calme raison le préjugé gueulard
Pour la maison le nocturne saoulard
Pour tout Marx son Staline
Pour les masses anonymes
Pour la fierté le genou
Pour le faible le plus fort
Pour l’intellectuel la Révolution Culturelle
Pour la moitié le tout
Pour le verbe le meurtre d’honneur
Pour la semelle la gabelle
C’est ainsi que certains comprirent que l’humanité était laide
Mais que du Ciel il ne fallait attendre aucun remède
Qu’ils ne pouvaient vivre qu’entre les hommes
Et que l’Espoir était mort à la moitié d’un autre sordide siècle
Sous les flèches d’un Anti-Éros espiègle
Dans un stade à Santiago et à Paris dans un vélodrome
MES TRISTES TROPIQUES
Je les ai tous connu
Ceux qui reviennent oncles d’Amérique
Leurs périples reconnus
Moi je reste dans mes Tristes Tropiques
Ouvreurs d’inconnus
En ouvrages de taxidermie ethnique
Demandez-leur de tout ils sont revenus
Le compte-rendu exhaustif de leurs trois semaines aux couleurs exotiques
Du Zócalo au Rio de la Plata et La Monnaie ils vous ont entretenu
Porte-monnaies de faux cuir plumes peintes et céramiques
Le précolombien leur va bien quand de Paris ils reprennent les avenues
Faux Trotsky Cortázar encyclopédiques
Il y a aussi les peintres parvenus
D’abord expressionisme abstrait puis Cobra tout est sûr de Jamaïque
Et puis L’OEuvre qu’il expose enfin parvenu
Loin de Zola dans cette Amérique
New York ou Boston le Village tout est convenu
Pompidou puis le scénario cinématographique
Et les vendeurs de faux or de faux diamants muscles survenus
En émissions télévisées et colt de plastique
Et les vieux cinéastes qui n’ont rien retenu
Evita Huguito et fuite de Batista le vieux Mythe qu’on astique
Vieux dictateurs rumineux
Et Wall Street ou Caïmans-crocodiles tout est sophistique
Un Hemingway un peu plus vineux
Fond de commerce et autres Borges francophiles selon la saison eurocentriques
Transfuges intellectuels machistes et anciens comtiens pratiques
Qui d’un continent terminent leus manifestes contenus
Dans les universités de l’hémisphère rappelant leur origine tragique
Dans la guerre commandants étoilés dans nos constellations d’ONU
Anciens astronautes ou civils rhétoriques
Qui dans de vieux draps devenus
Spécialistes en littérature hispanique
Quand à moi tel Cendrars retenu
Si vous voulez me croire parti pour foutre le camp n’arrivais nulle part point de haricot magique
Et faute de meilleure opportunité pirate sur la quille tenu
Seuls les lâches savent se faire riches ne garde que mon Strauss et mes Tristes Tropiques
Il y a aussi bien sûr les filles aux jambes magnifiques
Et mon âme chenue
BALTHASAR
’Il resta trois semaines insensible et comme mort, puis, s’étant ranimé le vingt-deuxième jour, il saisit la main de Sembobitis’
(Anatole France, ’Balthasar’)
Si le silence
A ses efforts
À hauteur
D’homme gésit la décadence
Dans la clameur
Des évidences
Les autres dansent
Sur un malheur
Caligula les corps
Se lancent
Et brûle trop plein ce
Qui demande l’accord
Émir arabe et shah persan se
Disputent encore
La myrrhe et l’or
Que tu dépenses
Avide l’état des ports
Étend sa panse
Et les frais du dégoût évincent
L’idée d’aller dehors
LES DUNDOS WHO...
Les dundos Who qui se tatouent
C’est faute de cicatrices qui zurcan leurs corps
Et les vitores dispersos du cuer
Luy saluent l’innocence que taboue
Et dis qui quand que ne doux
Dis-je moi au volatile
J’ai goûté mon sang dans ma bouche
Et j’ai aimé ça
Pourquoi eux non
C’est parce qu’ils vivent grégaires
Au lustre les monstres du catre
Cy sous sueur sous le pont l’heur
Et seul él allète l’être les murs
Comme Humpty chagrin vidé la peau espère la fête
Mais merde dim-dam-dum
Le conte de Chaucer vaut moins que del bulero
En fait oui c’est la triste morale de nos appeaux
Le conte de Chaucer vaut moins que del bulero
Tu crois ta croix d’accrocher aux rideaux cramés
Dis-je moi au volatile
J’ai goûté mon sang dans ma bouche
Et j’ai aimé ça
Pourquoi eux non
C’est parce qu’ils vivent grégaires
LETTRE AUX MARQUISES
’Ils parlent de la mort comme tu parles d´un fruit
Ils regardent la mer comme tu regardes un puits’
(Jacques Brel, ’Les Marquises’)
Écoute les chiottes bruire dans le silence du matin
Et tu sais que tu pars en voyage
Dans l’anonymat des salles d’urgence ou de train
Personne d’autre qui t’accompagne que ton maigre bagage
Vas pauvre Typhon sur ton triste chemin
Traîner ta misère d’un autre âge
Entre les restes sans lendemain
Et que d’autres reçoivent les insignifiants hommages
Ce ne sont que des os entre les dents de ces chiens
Qui sous ton toit monétien de sinistre plumage
N’offre visitation que les lundis bruyant ramage
Des déroutés en partance qui virent pour rien
Dans ce sordide quotidien
Dont l’Éloge dit qu’il vaut bien
Ce que les dommages
Écrasent encore d’inconnus rivages
Que t’importe à toi l’Indien
Qui ne vit que de repérages
Derrière les vitres closes de tous les parages
Où tes pas te poussent sans fin
Tu mourras un jour d’ennui ou de marivaudage
Entre les planches de ton squelette ton âme sans soutien
S’élévera peut-être vers les nuages
Ou simplement tombera dans cet oubli dont personne jamais ne se souvient
UN POÈME DE DÉSAMOUR
’Il suffirait de presque rien
Peut-être dix années de moins
Pour que je te dise ’Je t’aime’’
(Serge Reggiani, ’Il suffirait de presque rien’)
Bien sûr tes cheveux tes yeux tes ongles
C’est comme une maladie qui ne veut pas s’arracher
Les souvenirs avec lesquels on jongle
Et les insultes qu’on s’est crachées
Les petits enfants ont peur de la solitude
Alors ils se satisfont de l’habitude
Et ces Reines du Bus qui sont merveilleusement quelconques
S’exportent de notre amour le furoncle
Le symptôme et le diagnostique
Maudit le professeur et maudite l’arithmétique
Couchés amoureux aux feux chauds de l’Afrique
Nous finîmes comme tous dans les glaciers de cette froide Arctique
Ce toit tranquille, où marchent des colombes,
Entre les pins palpite, entre les tombes
Si Chérie je sussurre sans cesse ces sentiments
C’est qu’en silence je ressens
L’ombre sombre
Corrompue de décombres
Et de misère de nos élans
Pris de lierre et d’enterrement
O pour moi seul, à moi seul, en moi-même,
Auprès d’un coeur, aux sources du poème
Ô Daphné de Pénée
Ô Éros ô Psychis
Ô Céphale sans Procris
Fille du Soleil solitaire aujourd’hui et apeiné
M’en souvienne ces autres temps où dès l’aube grise
Mes yeux penchés contemplaient ses jeux vibrants sur ton cutis
De la lumière gênée
Qui n’osait encor toucher tant de beauté éthique
Aujourd’hui en vain passé après tant d’années
Le temps de persuasion Anne était devenue étique
Nous nous frôlons comme les chats
Évitant le contact nous essuyant les pattes
Nous vivons comme les oiseaux en cage
Éloignés sur le même bout de natte
Essayant la politesse évitant l’orage
Danseurs promouvant l’élégance des entrechats
Coulent les heures coule la rage
Chaque minute qui sonne ingrate
Vêt de gréements l’inconditionnel naufrage
DES JOURS SANS FAIM
Les yeux morts de votre Destin
Et votre anormale normalité
La perpétuelle transmission de votre séquence chronologique
De génération en génération
Chacun essaie d’être ce qu’il peut
Et personne n’en a rien à faire
Vous êtes l’antichambre de l’éternité
Que je n’accepterai jamais
La fleur et l’arbre
L’oiseau sur la branche
Et l’onde sur les blés
La vague et le goëland
Vous les voyez sans les regarder
S’ils sont là vous ne les sentez pas
Et s’il n’y sont pas ils ne vous manquent jamais
Vous parlez avec légéreté
Des choses graves
De l’odeur et des sensations
Comme pour la morale
Parce que cela fait bien
Ça vous distingue
Mais vous ne savez pas jouir
Plus fortes et plus dures doivent être vos expériences pour vos coeurs endurcis
LSD tabac alcool rituels sanglants le cirque aussi
Finalement
Que valent pour moi vos âmes viles
La violette la rose ou le rossignol
Sa forme mignonne sa gorge coquette son chant docile
Que le monde disparaisse
Toi sa victime
Pour qu’il te laisse
Aches from aches
Ce qui tu construis depuis les cendres
VOLUMES D’HISTOIRE NATURELLE
’Pour les maux et les affections de l’oreille.
XLVIII. Pour les douleurs et maux d’oreilles, on recommande l’urine de sanglier gardée dans un vaisseau de verre. Le fiel de porc ou de sanglier, ou même celui de bœuf, avec de l’huile de ricin et de l’huile rosat, par portions égales , produisent le même effet. C’est surtout le fiel de taureau qu’on emploie avec succès : il faut le chauffer avec du suc de porreau, et, s’il y a suppuration , avec du miel : seul, chauffé dans une écorce de grenade, il dissipe la mauvaise odeur des oreilles ; avec du lait de femme, il guérit les déchirures du même organe : quelques médecins veulent qu’on s’en bassine les oreilles, si l’on a l’ouïe dure ; d’autres lavent les oreilles avec de l’eau chaude, puis font appliquer un emplâtre de fiel, de vinaigre et de vieille peau de serpent, enveloppé dans de la laine. Si la surdité est considérable, on fait chauffer le fiel dans une écorce de grenade, et on l’introduit dans l’organe, avec de la myrrhe et de la rue ; on y injecte aussi du lard gras et du crottin d’âne frais avec de l’huile rosat, le tout tiède. Mieux valent encore l’écume de cheval ou les cendres de crottes de cheval avec de l’huile rosat ; on use aussi de suif de bœuf avec de la graisse d’oie, de beurre frais , d’urine e chèvre ou de taureau, ou de vieille urine de foulon chauffée au point de faire sortir la vapeur par le col du bocal ; on ajoute un tiers de vinaigre, avec un tiers d’urine de veau qui n’ait pas encore goûté d’herbe. On applique aussi aux oreilles, après les avoir chauffées, un mélange de bouse et de fiel de veau, avec la dépouille d’un serpent, le tout enveloppé dans de la laine. On emploie aussi avec avantage, pour les maux d’oreilles, du suif de veau avec graisse d’oie et suc de basilic ; des injections de moelle de veau avec du cumin broyé, et du sperme de verrat recueilli sous la truie avant qu’il soit tombé à terre. Aux déchirures d’oreilles, on applique une colle de testicules de veau ; cette colle doit être délayée dans l’eau. Pour les autres maux de cet organe, on emploie surtout la graisse de renard, le fiel de chèvre, avec de l’huile rosat tiède, ou du jus de porreau, et, s’il y a quelque partie déchirée, avec du lait de femme. Si l’on a l’ouïe dure, on applique du fiel de bœuf avec de l’urine de chèvre ou de bouc ; même procédé, si l’oreille rend du pus : dans tous les cas cidessus, on regarde les remèdes comme plus efficaces, si on les fume vingt jours de suite dans la corne d’une chèvre. On recommande aussi la présure de lièvre à la dose d’un tiers de denier, avec un sixième de denier de sacopenum, dans du vin aminéen. La graisse d’ours, avec poids égal de cire et de suif de taureau, dissipe les glandes des oreilles. Quelques-uns ajoutent à ce remède de l’hypocisthide et du beurre, sans autre addition ; mais il faut préalablement bassiner à chaud les oreilles avec une décoction de fenugrec, et mieux encore avec le strychnos. On emploie aussi avec succès les testicules de renard et le sang de taureau sec, en poudre ; enfin en injecte chaude, dans les oreilles, de l’urine de chèvre, et on fait un li ni tuent de ses crottes avec de l’axonge.’ (Histoire naturelle de Caius Plinius Secundus, traduction d’Ajasson de Grandsagne, Paris, C.L.F. Panckoucke, 1833, T. XVII, pp. 127-131)
T’en as vu passer des tatoués des barbares
Des sympas des concupiscents
Dans les institutions dans les ambassades
Et toi avec ton Lévi-Strauss sous le bras
Et oui tristes Tropiques
Tu les vois changer les poids
Et les mesures au tamis de la chance et des accolades
Il y aura toujours un dictateur turgescent
À sudoyer à agasajar
Et toi avec ton Lévi-Strauss sous le bras
Et oui tristes Tropiques
Et partout où gît le hasard
Et l’opportunité avec le cheveu rare
Du tyran
Qui dans ses bûchers brûle les ennemis et l’encens
Buveur de cycéon Asura
Tu verras déborder les monnaies d’autres États
Et toi avec ton Lévi-Strauss sous le bras
Et oui tristes Tropiques
La misère partout comme les rats
Et au centre l’étendard
Les corps plus que les gens
Et transformée en symbole la vieille histoire
Les fêtes et le nard
Le cirque le pain et le géant
Cyclope dansant
Dans le noir
Et toi avec ton Lévi-Strauss sous le bras
Et oui tristes Tropiques
Et au fond de la caverne le silence et les Moires
Et le peuple qui attend soumis comme toujours et consentant
Le moment
De jeter au ciel son cri Iacchos en aubade
On me dit d’applaudir ces donna prima
Elles sont belles nos mascarades
Où coule parfumé l’or de nos galas
Réceptions en consulats
Et accords en camades
Belle et élégante Europa
Dans l’Amérique des Héliades
Soumise encore à de cruelles dyades
Soleil n’est-ce pas merveilleux ton cadavre aux yeux de jade
Alors sur son berceau du monde se penchent les rois
Ils ne viennent pas ensevelir ils viennents comme les charognards
Ils déchirent la chair vive et consomment leur soma
Ils n’offrent que ce qu’ils n’ont pas
Et leur rire en éclats
Sur l’Olympe escalade
Et toi avec ton Lévi-Strauss sous le bras
Et oui tristes Tropiques
Vous croiriez qu’ils ne tendent pas la main au pugilat
Qu’ils sont jaloux de la mitraille et sensibles aux soutes d’en bas
Mais au fond ils aiment les tirades
Et les nombres de l’alphabet à la fain ne sont que des contrats
Dans un miroir qui n’est qu’extrêmement plat
Ils ne voient pas ce qu’ils regardent
Et n’entendent aux conseils je crois
De Pline de leurs ouïes pleines d’urine et de sperme en pommade
Et toi avec ton Lévi-Strauss sous le bras
Et oui tristes Tropiques
Et les acteurs avec leur gloire
Descendent dans ces lares
Pour recenser depuis le vide ils ne sont que lads
L’odeur des sacrifices au soleil où ils s’évadent
Et toi avec ton Lévi-Strauss sous le bras
Et oui tristes Tropiques
Quel sinistre bois
Par ma foi
Et le deuil
Qui affleure
Ces arbres qui pour obtenir quelques fleurs
Doivent perdre toutes leurs feuilles
Quelle posture misérable
Sous le soleil tropical
Celle de l’animal amigable
Qui s’offre sans culture
Comme sur le linceul de la sépulture
Le corps inanimé frappé d’hébétude
Dans tout ce qu’elle a deplus banale
Où sans projet restent l’offrande et l’habitude
Et toi avec ton Lévi-Strauss sous le bras
Et oui tristes Tropiques
DU CHAT DE SCHRÖDINGER
’— Ce Lébédeff conspire contre vous, prince, je vous l’assure ! Il veut vous faire mettre en tutelle, — pouvez-vous vous imaginer cela ? — vous enlever l’usage de votre volonté libre et de votre argent, c’est-à-dire des deux objets qui distinguent chacun de nous d’un quadrupède !’
(Dostoïevsky, L’Idiot, IV-X)
Mon Georges vieil ami
Voudrais comme tu le fis
Mais vrai je ne le puis
Chanter allégeance
Au voleur aguerri
Car vois ce que je dis
Pour que mon chant danse
Derrière lui n’oublie
Guitarre ni chance
Moins honnête le mien
Aura fait tout mon bien
Tout d’un seul coup le sien
Ne laissant que plume
D’où sur un bout de rien
J’écris le mien chagrin
Et redis posthume
À mon deuil ce vaurien
De justice a les mains
Voilà le juge feint
Plus faux que son copain
Qui de perruque peint
La Loi qu’il embrume
Offrant au plus vilain
Le prix de mon larcin
De bonne coutume
Prétend donner le teint
Et je plois sous l’enclume
Voilà que de ma mère
Médée et misère
Son Munch Mün
Mue commune
Son cold cchau
Chaud froid chaud
Et en sen
Dit pas zen
Lapin et visière
En chat de Schrödinger
Écho vain
Sans caillou en chemin
L’ont muée les Tribunaux
Vive mais au caveau
Dis-moi la compaigne
Si la vois quand l’emmènent
Jaunisse dans baleine
Et chemise de force pour toute gaine
L’appelant met chapeau
Bas devant le salaud
Tutelle appel enfin
Quatre-cent-trente-et-un
Article code shrink
À quoi tout cela sert
Sa pension pour l’État
Son péché les Euros
Son argent en Enfer
Mieux vaut n’en avoir pas
Si mourir veut chez soi
Si mourir veux chez toi
Et toujours le juge
Bon complice au parfum
Agite drapeau rouge
Et amende malin
Met pour taire témoins
Voir est vraiment louche
Dit à cent-quatre-vingt
Mieux vaut tourner là l’oups
Le choix impose l’us
Témoin ou vivre bien
La nuit le silence
Sont les apanages
De l’Aide aux Familles
À un certain âge
Le loup qui se lance
N’aime pas que brille
Le vampire en trance
Goûtant l’albumine
Rien qui l’illumine
Qui sommes-nous au fond
Pour regarder nos Dieux
Au Ciel lever les yeux
On ne demande pas
À Jéhova pourquoi
De l’UDAF la gestion
À la Cour de Poitiers
Raison des décisions
Du juge de Fontenay
Et ma mère je dis
Que je ne connais plus
Dans une boîte à Cannes
Existe comme Si
Algébrique inconnue
Immatérielle
N’ayant plus rien d’elle
Perdue dans son Flatland
Des Alpes Maritimes
Cannes Monte-Cristo
Quand n’était que Dantès
UDAF de Nice
Some nice in Nice
Une fin bien déliée
J’aimerais un peu digne
Mais l’administration
Que l’on dit française
Ne vit que de fiasco
Ne vit que de fiasco
PONT ET RENVOI
Chat de Schrödinger
Ou de Cheshire
Quand personne ne t’aide
Tu ne peux pas te donner
Le luxe de tomber
Alors je reste
Fidèle
Seul sur la planète
Firme et raide
Il n’y a pas de données
Et le futur
Est toujours
Après
Combray
Elle est tombée
Dans le trou du lapin
Blanc
Et le liquide de la fiole et de Skrymir le gant
Et diminuée elle a disparu
Puis ils l’ont brisée
Plus de demain
Et de la revue
La trompette a sonné
L’alizée
Elle s’est cassée
Humpty
Sur le mur
Et la Reine
De Coeur
Lui a coupé la tête
Qu’à présent elle traîne
Dummy
En deux dimensions
Cercle prison
Cône arête
Angle du Poème droit
Le Corbusier
Ils veulent te mettre
Pauvre bête
Sous tutelle
Te quitter ta liberté
Et ton argent
Pauvre gens
Les deux choses
Pauvre chose
Qui Daudet
Nous distingue des quadrupèdes
Idiot
Seul te sauve
Cour de Cassation
Toujours
À l’UDAF donne
La raison
Est la Mort
Le cas la cause l’action et l’instance tombés
Ou la puberté
Devenir adulte
Toi trop vieille
Seule t’indulte
L’insulte
À la vérité
De la Muerte
Tu as bu le poison
J’ai chanté la chanson
Verde verde que yo quería verte
Mais au téléphon
Y’a jamais person
Qui répond
OK
Je vais te chanter
Combray
Vieille morte
Femme Forte
Hippolyte ou Penthésilée
Et moi Hector
Triste chant
Pas de Tristan
Cordélie
Au bord de mon lit
Gît l’onde claire
De tes jours ensevelis
Et la belle mariée en ses fers
UN MALENTENDU
Au poète et ami Pierre Blavin,
Avec toute mon estime
’Le mieux est parfois, pour le narrateur, de se borner au simple exposé des événements. C’est ce que nous ferons dans nos éclaircissements ultérieurs sur la catastrophe qui vient de bouleverser la vie du général, puisque nous voici dans l’obligation absolue d’accorder malgré nous à ce personnage de second plan plus d’intérêt et de place que nous ne lui en avions réservé jusqu’ici dans notre récit.’
(Dostoïevsky, L’Idiot, IV-3)
I. Mon Explication nécessaire
’Mais nous voici fort loin de notre sujet, qui était de donner quelques éclaircissements sur la famille des Epantchine.’
(Dostoïevsky, L’Idiot, III-1)
Superbe, il me dit : ’Vous n’êtes pas vous-même.’
Il aurait pu me dire : ’Vous avez mauvaise mine’, ou bien encore : ’Vous semblez avoir passé une mauvaise nuit, vous n’avez pas l’air dans votre assiette’. Mais non. Il dit clairement : ’Vous n’êtes pas vous-même.’ Que faire ? Que dire après cela ?
Et il ajouta, après quelques secondes de réflexion, en me regardant comme attristé : ’Je ne vous reconnais pas.’
Évidemment, s’il s’agissait d’un texte russe, de Dostoïevsky par exemple,...
Précisément, précisément... Je me serais évanoui, et on n’en parlerait plus. J’aurais sans doute même pu trouver logement, temporaire, chez lui.
Il y aurait eu une suite d’actions, liées à la nationalité réelle, et l’esprit vraiment, dans ce cas, français (plus que russe), et de réflexions subséquentes sur le progrès, à travers de phrases dites à demi-exprimées, et de tensions psychologiques qui empécheraient de dire tout ce que l’on pense, l’idée était trop avancée pour la parole.
Mais je n’exposerai rien de cela.
Au milieu, se serait nouée une relation tragique avec une femme, extrêmement belle, et extrêmement pure, mais en même temps extrêmement méchante, et orgueilleuse, qui nous aurait tous perdus. Avec la figure, parallèle, d’une prude et simple jeune fille, peut-être soumise aux disgrâces qu’impose la misère, vouée par là même à mourir ou à être rejetée par le personnage principal, après que celui-ci l’ai convaincue qu’elle valait la peine que l’on s’attachât à elle. Mais, repenti, il se serait rendu compte que la société le rejetterait pour s’associer avec une femme perdue. En principe, ça n’aurait pas dû être un problème, puisqu’il est maladif, retiré du monde, vit enfermé entre ses livres et la boisson, et que tout le monde le méprise, mais il semble là aussi que l’idée du rejet soit plus forte, pour la trame narrative, que le rejet, qui en fait n’aurait que difficilement pu se donner, puisqu’il était déjà effectif, avant la rencontre.
Mais je n’aborderai aucun de ces détours dialectiques gratuits.
Je veux dire qu’il n’y a aucune raison psychologique aux circonstances que je vais décrire.
Le lecteur ne devra pas y chercher de seconde intention, ni de démonstration basée sur une fausse psychologie de caractères, comme les romanciers cherchent souvent à le faire.
Aucune pression externe, ni interne, on le verra, ne détermina l’enchaînement des événements - en réalité un seul, suffisant en lui-même - que je décrirai.
Il n’y aura pas de concaténation entre des tempéraments, ni d’assomption douloureuse par aucun type de révélation.
Je décrirai les faits, incompréhensibles encore aujourd’hui pour moi, comme je les ai vécus.
Simplement.
Je ne tirerai non plus aucun Podkoliossine par la fenêtre.
Je ne ferai que rapporter les faits comme ils se sont passés.
Je ne me rabaisserai à aucun effet de manche, comme Lébédev, ni ne prétendrai rien de plus que représenter l’action telle qu’elle s’est produite.
Pour cela, je n’y introduirai aucun personnage secondaire d’importance, afin de dévier l’attention du lecteur, ni aucun narrateur qui ne soit pas moi-même, ni aucun personnage, ni aucun ménage à trois potentiel. Je me concentrerai donc, uniquement, en mon Ivan Matvéïtch, ni en Éléna Ivanova ni en son ami. Qui d’ailleurs n’apparaitront même pas dans cette narration, curieuse mais absolument véridique, j’en peux en donner absolument ma parole d’honneur, de la manière dont j’ai définitivement disparu.
On ne pourra, évidemment, pas me le reprocher, pas plus qu’à Matvéïtch, puisque cela fut contre ma volonté, et qu’au contraire de celui-ci, je n’y ai pris aucune part, je crois, ni active ni passive.
Je me suis contenté, comme simple spectateur, de tirer les conséquences d’un acte qui ne serait apparu dans aucun journal, même pas dans L’Indépendance belge.
Je passerai outre, sans doute, les métaphores grotesques entre les assassinats multiples de moines du Moyen Âge et les actuels temps d’Apocalypse que nous devons vivre. Je ne prétendrai rien sortir du fait que mon cas ne relève pas de la justice, et que, grâce à Dieu (qui n’existe pas), s’il en dépendait, elle ne pourrait rien y faire. On sait, en effet, que la justice, dernier échelon du système, après le crime, la police et la médiation, représente, dans cette excentricité propre qui est la sienne, l’intérêt que l’on a à ne pas y recourrir. Les juges sont méchants, on le sait, partisans et mal formés. Ce sont, dans la loi et la société actuelle, les Quasimodo de la cathédrale de papier et de ronds-de-cuir du système contemporain.
Mais commençons par le début.
II. Un rêve
’Un sentiment nouveau et pénible lui serrait le cœur ; il comprenait soudain qu’en ce moment, et depuis longtemps déjà, tout ce qu’il disait, tout ce qu’il faisait, n’était ni ce qu’il aurait dû dire, ni ce qu’il aurait dû faire...’
(Dostoïevsky, L’Idiot, IV-11)
Ce matin-là, je me suis vite réveillé.
Je venais de prendre le journal du matin, et relisais un article d’intérêt, qui commençait par cette phrase :
’Il se passe des choses étranges dans ce pays.../...’
Et qui terminait ainsi :
’C’était un vieux marchand barbu, qui n’avait pas d’enfants ; il laisse un héritage de plusieurs millions en belles espèces sonnantes, et tout cela passe à notre rejeton, à notre baron guêtré, naguère traité comme idiot dans une maison de santé helvétique ! Aussitôt changement de décors ! Autour de notre baron guêtré, qui s’était d’abord toqué d’une demi-mondaine célèbre, se réunit soudain une multitude d’amis, il se découvre même des parents ; bien plus, tout un essaim de jeunes filles nobles brûle de s’unir à lui en légitime mariage. Peut-on en effet rêver un parti plus avantageux ? Aristocrate, millionnaire, idiot, il a tout pour lui ! On ne trouverait pas son pareil même en le cherchant avec la lanterne de Diogène ; on ne se le procurerait pas, même en le faisant faire sur commande !…’
Je restais pensif un moment, car la cuisinière de ma logeuse, qui m’apportait tous les jours mon déjeuner à huit heures, ne sétait pas encore présentée.
Ce n’était jamais arrivé.
J’attendis encore un instant, puis, affamé et étonné tout à la fois, je sonnai la bonne.
À ce moment on frappa à la porte et un homme entra que je n’avais encore jamais vu dans la maison.
Ce personnage était svelte, mais solidement bâti, il portait un habit noir et collant, pourvu d’une ceinture et de toutes sortes de plis, de poches, de boucles et de boutons qui donnaient à ce vêtement une apparence particulièrement pratique sans qu’on pût cependant bien comprendre à quoi tout cela pouvait servir.
’Qui êtes-vous ?’ demandais-je, en me dressant sur mon séant.
Mais l’homme passa sur la question, comme s’il était tout naturel qu’on le prît quand il venait, et se contenta de me tendre un pli fermé et scellé.
Puis, gardant toujours le silence, il sortit avec lenteur, en refermant doucement la porte de mon logement derrière lui.
III. La main du Commandeur
’— Hum… Voyez-vous, ce n’est pas de cela que j’ai peur. Je suis ici pour annoncer et tout à l’heure le secrétaire va sortir. Ce serait seulement dans le cas où vous… Puis-je vous demander si vous ne venez pas chez le général comme besoigneux, pour solliciter un secours ?’
(Dostoïevsky, L’Idiot, I-2)
C’était une missive du Commandeur X. où il me faisait savoir en urgence qu’il m’attendait immédiatement pour que je me présente à lui dans son bureau en moins d’une demi-heure. Il m’invitait prématurément à la réunion que nous avions projetée la veille, chez Mme P., veuve du Prince de K.
Je connais le Commandeur depuis l’année ****, quand il gouvernait encore la province de D***, sous le régime de l’Ancien ***.
J’essayais en vain de comprendre pourquoi cette urgence, et l’insistance à une réunion que nous n’avions envisagée qu’en dernier recours.
Bien sûr, je m’imaginais que l’intervention, caractéristique, de Mme S*** de K. devait être à l’origine de ce brusque appel.
Je continuais en outre de penser à l’article du journal. Me demandant s’il avait quelque chose à voir avec ce brusque changement de plan.
Je déjeunais donc rapidement ce que je pus trouver dans la cuisine de ma logeuse, anormalement déserte, et m’habillais dans le moins de temps possible.
Il faisait froid et les rues étaient encore vides lorsque je m’acheminais enfin vers le Pont Bleu, qui traverse la Moïka, pour rejoindre l’appartement du Commandeur X., après avoir recommandé à ma logeuse que, s’il envoyait un nouveau messager pour moi, elle lui dise que j’étais déjà en route.
IV. Un fâcheux malentendu
’Mais s’il est si difficile et même tout à fait impossible de comprendre cela, se peut-il que je sois coupable parce que je n’ai pu concevoir une chose qui dépasse l’entendement ?’
(Dostoïevsky, L’Idiot, III-6)
Arrivé cependant devant la porte de l’imposante Résidence d’été de la famille du Commandeur, grand immeuble sombre de trois étages, sans style, dont la façade était peinte, le laquet qui m’ouvrit ne sembla pas me reconnaître, et, surpris, j’eu toutes les peines du monde à ce qu’il accepte enfin de me faire entrer dans l’antichambre, où, en silence et préoccupé, j’attendais d’être reçu par le secrétaire particulier du Commandeur, me demandant quelle excuse j’allais pouvoir invoquer pour ma présence si tôt le matin, et me préoccupant pour m’être trompé sur les intentions réelles du Commandeur, et m’être trop empressé de me rendre à un rendez-vous qui, au mieux, n’avait rien d’urgent. Je commençais à mettre la mauvaise volonté du valet à me recevoir sur une équivocation de ma part.
Mais ne sachant pas trop quoi faire dans la situation présente, je me contentais de marcher en rond dans l’antichambre, et de regarder la neige qui commençait à se répandre sur toute la ville à travers la fenêtre.
J’aurais pu prendre l’un des nombreux livres de la bibliothèque qui était là à cet effet, mais je n’avais pas l’esprit suffisamment tranquille pour pouvoir canaliser correctement mes idées.
Finalement, le secrétaire m’appela, et peu après je fus mis en présence d’un Commandeur X. au teint frais, et au sourire aimable.
Toutefois, il me regardait sans sembler me reconnaître. Il me laissa lui exposer l’objet de ma visite, qui s’expliquait par la missive que j’en avais reçu ce matin, et qui je tenais à la main, comme gage de ma bonne foi, et du fait que je n’étais pas fou.
Le Commandeur et son secrétaire se regardèrent en silence durant un long moment, lorsque je finis mon entrecoupé et désordonné récit des événements désastreux qui m’avaient amenés, par erreur, à me présenter si tôt dans cette demeure, dérangeant ainsi induement un personnage d’aussi haut rang et, sûrement, des plus occupés, comme devait sans aucun doute l’être le Commandeur, j’en étais convaincu.
Comme je ne savais pas quoi faire, je me tenais sur un pied, me balançant un moment, puis, en me retirant posément, pour ne pas les obliger à se retourner vers moi, et en faisant le moins de bruit possible, je m’approchais à reculons d’une chaise dans laquelle je m’asseyais sans la faire grincer. J’aurais en effet considéré comme un sacrilège, étant donnée ma situation dans cette affaire, de me détourner, ne serait-ce qu’un seul instant, de l’attraction visuelle que me provoquaient le Commandeur et son secrétaire, ou de les interrompre dans leur silence méditatif sur l’affaire par un bruit inopportun.
Je crois que passèrent ainsi cinq ou dix minutes.
Moi qui les contemplais, et eux qui se regardaient mutuellement, sans savoir quoi penser.
Au bout d’un moment, le Commandeur se retourna vers moi, et me sourit doucement, en fronçant les sourcils, comme il aurait fait avec un enfant.
Il me dit qu’il ne mettait pas en cause ma bonne foi, mais qu’il doutait beaucoup que je fusse qui je disais être, puisque lui-même s’était séparé de moi tard dans la nuit d’hier, ou tôt ce matin, comme on voulait, et qu’il était matériellement impossible que la personne que j’étais et qu’il connaissait fort bien, depuis un certain temps, ait été dans la possibilité physique et spirituelle de venir, à pied - il insista sur cette formule qui semblait avoir quelqu’importance dans son esprit -, jusqu’à son domicile, sous un prétexte aussi confus que celui que j’avais prétendu lui exposer.
Il ajoutait qu’il me connaissait très bien, mais qu’il ne lui était pas permis de me présenter à moi-même, car il pensait sincèrement que cela serait un manque de tact, disons de bon goût, et qu’en outre, il s’en persuadait chaque fois plus, je ne serais pas de mon propre goût.
Tout d’abord confus et choqué, je restai à mon tour en silence quelques secondes, pour regrouper mes pensées et saboir comment répondre à cela.
Puis, je le remerciais de son obligeance, bien que je lui affirmais que j’étais convaincu d’être de mon propre goût - j’insistai à mon tour, offusqué, sur le terme -, si se présentait l’occasion de me rencontrer moi-même, ou si, dans une réunion ou une fête élégante comme il en donnait souvent, et dans lesquelles j’avais eu l’insigne honneur d’être parfois invité, je me trouvais, par hasard, face à mon Autre. En effet, raisonnais-je, je pensais que j’avais le charme suffisant, et, sans me vanter, que je dominais avec un certain talent, bien que général et en rien spécifique, plusieurs thèmes d’intérêt contemporains, suffisamment en tous cas pour plaire aux dames et intéresser les hommes à ma discution. Je ne voyais donc, objectivement, aucune contradiction, réellement, j’insistai à mon tour, pour que je ne puisse pas m’apprécier, si je venais à me rencontrer au détour d’une de ses fameuses célébration, dont la capital parlait plusieurs jours encore après qu’elles se soient terminées.
J’espérais en outre que mon imprudence de ce matin ne l’empêcherait pas, à l’avenir, de continuer à avoir la bonté de m’inviter dans son Palais, à moi, mais aussi à mon autre moi, que, pour lui reconnaître l’autorité qui, comme Éminence, lui correspondait de droit, il croyait bon de situer dans mon appartement.
Je lui assurais néanmoins encore que je ne croyais pas que ma logeuse me laisserait entrer, si le moi qui revenait chez elle n’était pas le même moi qui en était sorti, et j’affirmais pouvoir encore confirmer par moi-même, pour en être le principal témoin, que je n’avais laissé aucune partie de moi dans mon logement en venant chez lui, ce qui rendait impossible, d’autre part donc, que l’autre moi, dont j’étais sûr qu’il ne pouvait au moins pas être dans mon logement, s’y trouvasse pendant que je m’entretenais avec son Altesse Sérénissime. Ceci dit avec tout le respect que je devais à la sagesse de son Altesse, et je m’excusais si j’outrepassais en cela mes prérrogatives, limitées j’en avais bien conscience face à son Éminence, et si mes propos pouvaient l’offensait en quoi que ce soit. Mais je ne pouvais accepter de le laisser démunir sans plus de mon identité. Cela n’était pas naturel.
Je crois que ma logique ne le laissa pas indifférent, et je dois dire que j’étais assez fier d’avoir pu démontrer que n’ayant laissé aucune partie de moi chez moi, il était impossible qu’en y revenant j’en trouvasse aucune non plus. C’était le bon sens et la logique qui s’exprimaient à travers moi.
Profitant du silence que le Commandeur et son secrétaire gardaient encore, en me fixant, apparemment fascinés par mon pouvoir de raisonnement, j’ajoutai, en brandissant la missive que m’avait faite parvenir ce matin même au réveil le Commandeur à mon domicile, et qui était la cause de ma venue, inespérée je le comprenais bien, mais nécessaire, dans ce cas, que, si la preuve de mon identité ne pouvait être en soi ma présence en sa demeure, je le comprenais parfaitement, elle résidait dans ma possession de la lettre qu’il m’avait faite parvenir. En effet, l’on ne pouvait mettre en doute ma qualité d’être qui je suis seulement en assumant un vol, qui n’avait pas pu se faire puisque le porteur m’avait remis en mains propres la lettre, et que j’étais venu directement, ou en pensant, ce qui paraissait incroyable et simplement illogique, qu’un voleur donnerait plus qu’à l’argent de prix à une missive qui, d’une certaine manière n’étant qu’une lettre de change nominative, n’avait par conséquent d’intérêt que pour l’intéressé en pouvoir de démontrer son identité.
Mon excuse était donc la lettre du Commandeur, qui par la force de son pouvoir m’avait amené, malgré ma volonté et celle du Commandeur.
Je lui demandais seulement de ne pas me tenir rigueur d’avoir rempli mon devoir envers la missive qu’il m’avait envoyée, sans penser qu’au mieux j’aurais dû premièrement choisir une heure de visite plus propice pour me faire annoncer. Je comprenais bien que tout était de ma faute, et que ce sinistre malentendu, dont j’assumais l’entière responsabilité ne pouvais, dans ses conséquences les plus funestes, que retomber sur moi.
Je me permettais toutefois de rappeler à son Éminence la certaine estime dans laquelle il m’avait fait la bonté de me tenir jusqu’à ce jour, et le suppliais de ne pas l’oublier et de ne pas m’abandonner pour, remplissant mon devoir envers sa missive, avoir manqué au respect de sa personne.
J’évoquais à continuation les efforts qu’avait représenté pour ma famille ma venue à la capitale, et les mérites que je croyais pouvoir considérés comme miens et que j’avais gagnés dans les cercles les plus élitistes grâce à mes attentions et mon intérêt pour servir le mieux que je pouvais les personnes au-dessus de mon rang, qui pouvaient m’être utiles. Je ne le faisais pas, réellement, par intérêt, direct dirons-nous, mais par intention d’un possible bénéfice futur. Je considérai donc ces attentions comme libres de tout soupçon de mesquinerie ou de petitesse.
L’attestait encore mon éloignement temporaire de la capital, qui expliquait peut-être en partie un possible changement de physionomie générale, pour l’air plus sec et plus chaud de la campagne, qui rendait plus difficile au Prince la reconnaissance de cet humble serviteur.
Le Commandeur m’écoutait attentivement. Il me coupa finalement d’un profond soupir, et m’assura qu’il n’avait aucune raison ni aucun désir de mettre un terme à ses relations avec mon autre moi, mais il s’excusa auprès de moi du fait qu’il ne pouvait me retenir plus longtemps, car il avait d’importantes affaires à traiter plus tard dans la matinée, mais, complémenta-t-il, bien que je lui semblais être un jeune homme en tout irréprochable et de bonne éducation, et aux manières des plus charmantes, il lui était totalement impossible de maintenir aucune relation avec moi, premièrement par respect envers moi, c’est-à-dire mon autre moi qui n’était pas là en ce moment, et aussi parce qu’il n’avait pas l’habitude de traiter avec des inconnus.
Je dus donc me retirer, ne sachant pas trop bien si me réjouir de sa permanence envers moi, bien que ce soit envers mon autre moi, ou me préoccuper et me désespérer de son insistance à ne pas vouloir me reconnaître comme étant moi-même le seul et l’unique moi que je me connaissais, et que, jusqu’où je pouvais en juger, il n’avait jamais connu, tout comme moi.
Je lui exposais, pour conclure, cette opinion catégorique, dont l’effet sembla beaucoup moins forte sur lui que ce que j’aurais voulu.
Je le remerciais encore pour m’accorder de manière si peu courtoise de ma part un peu de son temps si précieux, et, sans jamais lui donner le dos jusqu’à être mis définitivement à la rue par son secrétaire et son majordome, je me séparais de lui à reculons, comme les crabes.
Je crois qu’il fut touché par la délicatesse de cette attention, qui compensait un peu ma faiblesse antérieure.
Et voilà donc où j’en suis. Je revins chez moi, et fus reçu sans problème par ma logeuse, qui, je le lui demandais, me confirma qu’elle n’avait vu entrer ni sortir personne d’autre que moi, ni même moi, depuis que j’étais sorti ce matin pour me rendre chez le Commandeur X.
Soulagé, en un sens, d’avoir été reconnu par ma logeuse et de me m’être par rencontré avec mon autre moi, je me couchais sans manger, pris d’un horrible mal de tête, qui ne me quitta plus jusqu’au jour suivant.
Je ne peux rien dire de plus. Je ne sais pas ce qui provoqua ce triste malentendu.
J’ai beau lire et relire la missive que m’envoya avec caractère d’urgence le Commandeur X., je continue de croire que j’ai bien fait de me rendre tout suite chez lui, obéissant à mon devoir envers mon mentor.
Je ne sais pas pourquoi ce jour-là, précisément, ni sa domesticité ni lui ne voulurent me reconnaître, et je ne sais pas non plus ce qui passa ensuite, car je n’ai jamais pu remettre les pieds chez lui.
Il semble qu’il se soit obstinément décidé à ne plus recevoir que mon autre moi.
Parfois, caché derrière un porche, j’essaie de déchiffré entre tous les invités du Commandeur qui est moi et qui ne l’est pas.
Je sens aussi que j’ai perdu une partie de moi dans cette affaire, mais, ne l’ayant pas retrouvée, je ne saurais pas trop dire exactement laquelle.