« I will show you dust in a handful of fear. » Ce retournement d’un vers de T.-S. Eliot, qui fait titre à la postface de Poussière, pierre de touche du grand poète romain Carlo Bordini, pourrait bien servir de mot d’ordre, ou mieux de vanité, à l’effondrement rapide, et je le crois inexorable, de deux moments majeurs de la culture occidentale, l’Italie et la France. Force est de constater que, ces dernières années, l’élève a dépassé le maître dans l’indigence politique et la médiocrité télévisuelle qui l’alimente, servies l’une et l’autre par des siècles de domestication colbertienne et de cascade des mépris. La grande nation, après avoir fait grande école de la cour du grand Versailles, retombe aujourd’hui en farce -la tragédie, disons-le, n’aura jamais éveillé aucun dieu. Tel est le destin d’un pays endormi sur la gloire de quatre années de révolution et de deux siècles d’absolutisme, qui peine encore à se repentir d’avoir joint à sa République de citoyens « libre, égale, et fraternelle », un Empire d’autant de « sujets ». Il n’est pas près de le faire du reste pour le million de morts du Rwanda, étrangement oublié de nos belles maisons d’édition, spécialistes autoproclamées d’une découverte qui ne se présente plus guère aux lecteurs que par l’étalage obscène de son chiffre d’affaire. Tous ces « détails » qu’on oublie.
Pendant ce temps, du côté de la douceur de vivre, on se complaît dans le « laboratoire du pire ». Il y a peu, j’ai revu Une journée particulière d’Ettore Scola. J’ai découvert, à ma plus grande surprise, une Alessandra Mussolini de dix-sept ans, changée depuis en modèle pour la grasse égérie de l’extrême droite française. En plus décomplexée, cela va sans dire, car l’Italie a pour elle la grande facilité du verbe. Comment ne pas citer cette petite phrase à ceux qui connaîtront le film -et comme invite à ceux qui veulent le découvrir- une adresse à un député homosexuel de Rifondazione comunista : « Je préfère être fascite que pédé. »
Que s’est-il donc passé depuis le faux miracle des années soixante-dix, les golden seventies de l’émancipation. Cette suite de textes, je l’espère, pourra aider à comprendre, quand il est trop tard bien sûr et que les ours polaires peuvent désormais nager jusqu’au Tropique.
Olivier Favier
Index des articles choisis.
I will show you dust in a handful of fear, par Olivier Favier sur Poussière de Carlo Bordini.
Mensonges en-deça des Alpes, et mensonges au-delà. Entretien d’Olivier Favier avec Fred Vargas sur Cesare Battisti.
Quand la mémoire joue des tours, par Massimo Barone, traduction Juliette Gheerbrant.
Il y aura sûrement, par Andrea di Consoli, traduction Olivier Favier.
Histoire d’une goutte d’eau, par Ascanio Celestini, traduction Juliette Gheerbrant.
Poème à Trotsky, par Carlo Bordini, traduction Olivier Favier.