Il était une fois
...une fillette qui allait grandir, devenir une jeune fille, puis DRH dans un groupe de produits cosmétiques et tout cela est bien triste alors nous revenons à la fillette, elle s’applique à l’école et obtient de bonnes notes et des appréciations plutôt élogieuses mais ses parents portent à peine attention à ses efforts et à ses résultats, ils semblent trouver ça parfaitement naturel et s’extasient bien peu. La fillette est morose, peu joueuse, elle s’habille comme les filles un peu plus vieilles, sauf celles qui déjà provoquent les garçons. Un jour, elle va dans la forêt on ne sait pas pourquoi, peut-être est-ce hormonal. Elle débouche dans une clairière et tout de suite elle s’y sent bien, elle a l’impression qu’elle est dans un conte, il était une fois une fillette, etc. Il y a la mousse, les fûts, les bruyères, une lumière qui habille les troncs de couleurs chaudes, des feuilles qui caressent le vent, et le murmure imaginaire d’un ruisseau. Elle s’assied et s’émerveille de ce qu’elle voit autour d’elle, et aussi de ce qu’elle ne voit pas mais qu’elle sent ou qu’elle devine. Elle revient quelques jours plus tard, elle s’émerveille encore. La fois d’après — elle commençait à un avoir un peu marre de s’émerveiller pour rien — peut-être s’est-elle assoupie, peut-être a-t-elle rêvé, en tout cas un, puis deux, puis plein de petits animaux du style lièvre, écureuil, ragondin, bichon, sont venus s’asseoir autour d’elle, à bonne distance, tous orientés vers elle comme si elle était le nord inhabituellement placé au centre d’un cercle et eux des aiguilles magnétisées retenues à sa périphérie. Comme elle s’est réveillée et que ça continuait ce n’était pas un rêve, quand elle s’est levée les aiguilles – pfuuiittt — se sont évanouies. Ensuite elle est revenue de temps à autre, et parfois un ou deux animaux apparaissaient, mais jamais tous ensemble et ils faisaient comme si elle n’était pas là. Et puis elle a grandi et est devenue la DRH que l’on a dit. Un dimanche, s’échappant d’une fête de famille, elle a recherché l’endroit dans la forêt : elle n’a pas trouvé l’endroit, elle n’a rien reconnu, elle a eu le sentiment que tout cela était bien petit et que les animaux maintenant étaient morts.
Il était une fois
...un homme descendu du singe pour se mettre à marcher et qui ne s’était plus arrêté, poursuivant vers l’est sans savoir pourquoi, dormant là où il pouvait, chapardant de quoi se nourrir, marchant tout le jour guidé par ses deux boussoles, attendant s’il le fallait quelques jours que leurs aiguilles s’alignent puis repartant vers l’orient, marchant et pensant, pensant chaque jour à la vieille dame aux fagots, toujours en éveil depuis sa mise en garde, se retournant sans cesse pour voir venir ce qu’elle avait annoncé, poursuivant sa route ensuite en imaginant ce qui à chaque instant pouvait se passer dans son dos. « Si un oiseau chante derrière toi, tu dois rebrousser chemin immédiatement », lui avait-elle dit. C’était il y a trois mois déjà. Il avait repris sa route chargé d’un poids nouveau. Il y avait eu des moments de lassitude infinie où l’homme descendu du singe aurait tant voulu entendre l’oiseau pour pouvoir s’en retourner, d’autres où au contraire le moindre bruit dans son dos le remplissait de terreur tant la marche était belle, il y avait eu des moments où un oiseau fut là mais où le chant ne vint pas, d’autres où le chant fut là sans l’oiseau et où l’homme s’en prenait avec soulagement à lui-même, il y avait eu des moments où la conscience oubliait mais où les sens veillaient, il y avait eu de longues traversées d’espaces mal habités où des heures durant l’oiseau absent et lui conversaient en silence, et maintenant l’homme était là, au bout du bout des terres de l’Orient, regardant le bateau qui enfin accostait en glissant, pensant à l’oiseau qui n’était pas venu. Il monta à bord, s’installa sur une rangée de sièges, au plus près des hublots. Le navire s’ ébranla. L’ homme s’ endormit. Il fut réveillé dans la nuit. L’oiseau avait chanté. Le navire vibrait. Oui c’est sûr l’oiseau avait chanté. L’ homme descendu du singe fut glacé. Il se retourna. L’ oiseau était là, immobile, tremblant de froid lui aussi, le regardant. L’homme le prit dans sa main et l’oiseau se laissa faire, il le glissa entre sa chemise et sa peau pour qu’ils se donnent une chaleur que seuls ils n’avaient plus, ils s’endormirent comme cela. Lorsque le navire aborda l’autre bord, il était mort.