La civilisation dans laquelle nous vivons est une civilisation de la technique. Les grandes réalisations techniques caractérisent en effet notre civilisation depuis l’ère industrielle. Cet aspect technique est inséparable de notre modernité. Pourtant, en tant que telle, la technique jouit d’une assez mauvaise réputation : elle est considérée comme répétitive, sans âme, et en quelque sorte manquant de regard réflexif sur elle-même. Par contagion, la science, qui est à la base de la technique, jouit également, dans les milieux littéraires, d’une image de matière creuse, sans substance, sans réflexivité, capable tout au plus de défigurer le monde sans le comprendre.
Il est clair qu’il existe une dichotomie entre deux catégories de populations intellectuelles : les scientifiques, chercheurs, ingénieurs d’une part, qui scrutent et manipulent le monde, et les professions littéraires, qui visent à le comprendre par des méthodes plus conceptuelles et réflexives.
Cette dichotomie, sans doute exagérée dans la présente description, je la trouve regrettable. Je crois qu’il faut jeter autant de ponts, de trajets, de chemins, de passerelles, entre ces disciplines, ces approches. Il faut rappeler que les scientifiques sont capables de s’analyser, que la "philosophie des techniques" est une discipline vivante ; il faut aussi rappeler que le meilleur discours réflexif sera celui qui comprend le réel dans ses multiples dimensions, et que la science a pour but, in fine, de fabriquer le réel.
Pour mettre en évidence, autant que possible, ces liens ; pour donner envie à ceux qui aiment les lettres et la réflexion, de mieux comprendre le monde des scientifiques ; pour rappeler comment le réel se construit et montrer en quoi la profession de chercheur est extrêmement particulière, je propose ici cette chronique. Je propose une vision de l’intérieur, une analyse subjective sur certains aspects de cette science et de cette technique qui créent notre monde moderne.