1/2 Moving Inside : Les vies bouleversées ↓ | Gare à l’urbanisme ↓
Les vies bouleversées ↑
Avertissement : L’autodéfense comme humanitésLes personnalités particulières qui assumèrent l’auto-défense desdits gauchistes pendant les années chaotiques furent au premier plan de ceux qui portaient en eux l’utopie comme une croyance. Pour la solidarité d’une société en commun, un dispositif politique humain, l’attention de l’autre, la solidarité protectrice militante dans les luttes anti-impérialistes et contre les fascistes, car aussi après les morts de Charonne, contre la police, et dans l’activité syndicale pour la protection des grévistes dans les usines et les universités. Visibles aux yeux de tous lorsqu’ils encadraient les manifestations de rue : les S.O. Mais bien davantage, des militants à part entière des micro-sociétés expérimentales dont ils étaient mandatés pour organiser la protection avec ces sociétaires, à savoir : les occupations organisées en communes. Avant l’avènement mondial du libéralisme — ses organisations supranationales, et ses post démocraties — a Révolution des œillets nous montrera comment une organisation militaire contre toute tradition de la dictature peut la renverser, vers une simple démocratie. Et peut-être aussi aujourd’hui même en Arménie. Nous verrons peut-être les nouvelles émergences et comment leur auto-défense n’est pas la guerre d’ingérence. Dans les années de 1960 à 1970 tous les partis de gauche, leurs mouvements de jeunesse, et les organisations gauchistes, avaient leur service d’ordre respectivement organisé par un chef charismatique. La guerre d’Algérie à peine terminée laissait dans son sillage une extrême droite colonialiste violente, active pour le soutien de la guerre américaine au Viet Nam, et la dernière guerre mondiale était assez proche pour que le corps de la police municipale contint encore des policiers vichystes en activité, de ceux qui venaient de commettre le massacre du 17 octobre contre les Algériens, à Paris, en 1961, ou de ceux qui le 4 février 1962 avaient assassiné des manifestants communistes contre l’OAS, en lançant sur eux des grilles d’arbre tandis que pour fuir la charge ils s’étaient entassés en bas de l’escalier de la station de métro malheureusement close. On connaît Pierre Goldman à cause de son procès pour un crime qu’il assuma sans l’avoir commis et à cause de son assassinat. Beaucoup plus jeune était le trotskiste Michel Recanati dont un film lui étant consacré, Mourir à 30 ans, raconte la tragédie. Roland Gengenbach s’impliquera physiquement et spirituellement dans tout ce qui se révolutionnera en France après 1968 et ne survivra pas à son aventurisme idéaliste forcené. Quant à Jacques Rémy, parce que son engagement heureusement n’interrompit pas sa vie, on ne le connaît pas : pour autant, une des plus hautes figures de l’auto-défense dans ces années. L’éclatement des gauchistes en groupes autonomes armés et leurs objectifs militaires mirent fin à la cause collective de l’autodéfense, notamment en Italie, en France, en Allemagne. L’issue des guerres impérialistes, la réhabilitation parlementaire de l’extrême droite en France, la fin de la guerre froide, et l’édification supra-nationale de l’Union européenne marquèrent le terme de la légitimité civile de l’auto-défense. Aujourd’hui, en France, la violence commune est entièrement du côté du pouvoir. On s’en est aperçus lors des occupations universitaires notamment à Montpellier et généralement lors des manifestations. Que reste-t-il de l’autodéfense et qu’aurait-elle à défendre aujourd’hui ? Il peut aussi s’agir de la défense d’un territoire de pratique sociale ou urbaine dont l’objet est à moyen terme ou dans la longue durée... En 1970 les militants de la Zingakuren organisés en armée venaient secourir les insurgés de plusieurs villages de paysans contre la construction de l’aéroport de Narita non loin de Tokyo (exploit immortalisé par Yann Le Masson et Bénie Deswarte dans le film Kashima Paradise, — où Yann inventa une technique de tournage en immersion à laquelle Samuel Fuller rendit hommage et à l’origine du steadycam. Changement d’époque et rien à voir : pourtant, comment ne pas penser à l’autodéfense (et au projet) des Zadistes de Notre-Dame-des-Landes, pour lesquels l’utopie qui ne s’écrit pas au futur colle au terrain, rejoints par des masses d’interposition bienveillantes ou solidaires dont la dispersion sur le territoire annihila finalement la puissance de la police ?
– Jacques Rémy
– Jean-Claude Bourgeois
– Roland - récits
Oui ! au fil de la narration qui ne préexiste pas à l’écoute, qui se forme, s’in-forme d’elle. Ici « le solide, le dur, le construit / est troublé par le léger, l’impalpable / L’Impérissable déplace, dément le mortel / Le Sublime éponge, dévaste le commun / Le Sublime hors du sanctuaire »
Vive le hors de… le à tort et à travers dans le vif du sujet… Il ne s’agit pas du « renversement de toutes les valeurs » en recréant une hiérarchie et du pouvoir. Il s’agit de vies capables de s’émouvoir, de vies bouleversées, touchées par la vie.Nathanaële Chatelain
Vendredi 1er juin, 22h
En présence de l’auteurJacques Rémy - entretien, Stéphane Gatti, 67’ (2008 ; 2018)
Un monde qui n’était pas celui de la non violence collective ne pouvait être celui où le peuple et ses militants restaient désarmés, où l’arme sans armes fut celle des arts martiaux et l’armement les manches de pioche. Alors les fascistes n’appartenaient pas à des partis parlementaires, ils étaient constitués en organisations miliciennes offensives contre les Comités Viet Nam et les étudiants de l’UEC et de l’UNEF, et intervenaient violemment dans toutes les facultés. Les anti-impérialistes constitués en services d’ordre n’hésitaient pas à aller affronter les colonialistes. Ce furent d’ailleurs les troubles à l’origine de mai 1968. Ainsi, toute l’importance militaire de l’autodéfense dans les mouvements d’avant et de mai 1968, au moment des dernières guerres dialectiques et luttes des classes révolutionnaires géopolitiques et politiques, est à comprendre à la fois comme la formation d’une ressource internationale solidaire, et une solidarité sociale locale auto-organisée, et comme la forme avant-gardiste de la défense de l’expression publique et de l’amitié constructive entre les exploités, les exilés, et les exclus. Tous formant une base régionale, unifiée par l’action d’un ensemble de marxistes et d’anarchistes solidaires de leurs marges, en rupture avec la ligne soviétique du communisme dans un seul pays tenue par le PCF et ses conséquences corporatistes advenues dans les bureaucraties des syndicats de classe, sont ceux que bien au-delà de Lénine les médias qualifièrent de "gauchistes". Pour combattre les fascistes puissants depuis la guerre d’Algérie Pierre Goldman avait appelé Jacques Rémy à former avec Roland Gengenbach le service d’ordre de l’UNEF de la Sorbonne. Mais les militants ayant été arrêtés, et Jacques Rémy étant blessé, ils ne furent pas sur les barricades, spontanément dressées par une masse d’étudiants solidaires inorganisés... Le service d’ordre à l’appel de son camarade Jean-Marc Salmon, faisant face l’incroyable brutalité des gardes mobiles à Renault Flins, en juin 1968, ce fut encore lui. Jacques Rémy évoque ces circonstances, et parlant des vies donne à comprendre le socle de l’évolution sociale parfois difficile de ses camarades, et les vies précaires parfois tragiques des « Katangais ». [2]N.B. Cet entretien fédère celui de Jean-Claude Bourgeois, tous les deux choisis parmi la sélection des 22 visuels du même auteur pour le cadre commémoratif du Centre Georges Pompidou, Assemblée générale (du 28 avril au 21 mai), ainsi que son film inédit Roland - récits, bio-documentaire qui sera présenté en avant-première à Bourges. [3]
Samedi 2 juin, 14h
En présence de l’auteurJean-Claude Bourgeois - entretien, Stéphane Gatti, 49’ (2008)
Katangais et de là : construire l’amitié l’amour, apprendre se cultiver exister. La vie de Jean-Claude Bourgeois est le roman de ses espaces intérieurs selon les trajectoires de son aventure chaotique, et d’autant plus constructive. Les rythmes. Sur un temps extrêmement court, Mai, l’avant et l’après, furent une période de décloisonnement intense. Le parcours de Jean-Claude en est le symbole. Fils d’ouvrier, tout juste muni d’un CAP d’ajusteur, il fuit l’usine pour tomber dans la délinquance à Orly. Il est condamné pour trafic d’armes. À sa sortie de prison, il rencontre la troupe turbulente du Chêne noir (1967) et le monde semble enfin s’ouvrir pour lui. Mai 68 arrive, le voici à la Sorbonne parmi les Katangais, puis il s’inscrit à l’université de Vincennes, en philosophie et en mathématiques, deux des départements prestigieux de la nouvelle université. Il est brillant, choisi sans délai pour devenir moniteur en Mathématiques. En même temps il milite au comité de base de la fac. Ses camarades le pressent de retourner s’établir à l’usine alors qu’il s’en était échappé. C’est la crise. Finalement, il accepte, s’embarque avec eux pour Rouen. Il est le seul qui sera embauché dans la forteresse ouvrière de Renault Cléon. Deux ans. La drogue. Il s’inscrira au cours du soir des Arts et Métiers. Il deviendra ingénieur spécialisé dans la reconnaissance des objets volants, il enseignera. Aujourd’hui, dans une campagne au sud de la France auprès des aimés retrouvés, il s’adonne à l’art de peindre. De tout cela Jean-Claude Bourgeois tente une évocation compréhensive.
Samedi 2 juin, 15h
En présence de l’auteurRoland - récits - bio-documentaire, Stéphane Gatti, 67’ (2018)
Deux frères de Roland se sont suicidés Eric et Willy. Il a passé beaucoup de temps auprès de son frère Eric mais il n’a pu empêcher son geste. Le père de Roland s’inquiète et appelle son meilleur ami Michaël pour le prier d’accueillir son fils pendant quelque temps. Mais finalement Roland aussi se suicidera, après être entré en ascèse mystique pour intégrer l’abbaye bénédictine de Font Gombault et en être renvoyé par les frères, le considérant inapte à la communauté. Qui est Roland ? Le garçon des mille âmes pures ou des mille âmes perdues ? Si fort et fragile à la fois. A travers les gens qui l’ont connu sous l’un ou l’autre de ses aspects son camarade et ami Stéphane Gatti qui en fut proche tente un portrait de récits de Roland, sans portrait iconographique. Ainsi, l’idée, l’abstraction, contre la terreur de l’altérité. Roland, linguiste structuraliste et maître en Aïkido formant les militants à l’autodéfense, une rigueur politique rare, une attention et une écoute des singularités aussi, un repli par rapport à la séduction dans son activité à la fac, et tant de vies autour de lui et en lui, publiques ou privées, familiales et secrètes, intimement comprises par lui et incomprises ou inaperçues pour les autres. En 1972, il revient de son établissement comme tourneur, à Rouen. « C’est l’époque où chacun se cherche dans une redéfinition du politique : les moteurs en sont le mouvement des femmes, le FHAR front homosexuel d’action révolutionnaire, et le phénomène de masse que sont devenus les paradis artificiels : Roland est sur tous les fronts. Un soir il m’appelle. Il est dans un appartement rue Vanneau. Il me déclare qu’il est scorpion ascendant scorpion et pendant toute la soirée il va se livrer à des calculs pour me faire découvrir que je suis moi aussi ascendant scorpion ? Une sorte de complicité « ascendantale » sous l’égide de laquelle il essaye d’intégrer en réseau d’affinités électives les gens qu’il aime pour construire une puissance. Surtout une vocation pour l’autodestruction à laquelle ceux qu’il sollicite résistent. C’est aussi le moment où « Il rencontre Daniel Guérin avec qui il écrit un livre sur l’armée française. Guérin n’est pas seulement un historien et un militant de l’anarchie, il est aussi une grande figure militante de l’homosexualité. C’est à ce moment là que le nom de Roland apparaît dans un débat organisé par le FHAR, publié par la revue du CERFI ». [4]Gare à l’urbanisme ↑
– Gare à l’urbanisme, Daniel Guibert
– Construire ensemble la rue Auguste Delacroix
LA CRITIQUE DOIT SE MANIFESTER
La critique est ce qui manifeste ; telle est sa nature ; elle est cela même : être radicale. Sa manifestation n’est pas d’une sorte d’état qui peut être ou ne pas être, de façon que la critique serait toujours pensée, immanente à la conscience, sans parole, si elle ne se manifestait pas. Mais manifester c’est son être même.
CONTRIBUTION À LA CRITIQUE RADICALE
Guerre à l’urbanisme ! Évidemment ! Cette conception sociale est au-dessous du niveau de l’intérêt, elle est au-dessous de toute critique, mais elle n’en reste pas moins un sujet de la critique, tout comme le consommateur, qui est au-dessous de l’humanité, reste un sujet du commerçant. (...)Collectif, Urbaniser la lutte des classes, Paris, Utopie, décembre 1969, p. 1 (extrait). [5]
Samedi 2 juin, 16h 30
En présence de l’auteur et du protagonisteGare à l’urbanisme - Daniel Guibert - entretien, Stéphane Gatti, 15’ (2008 ; 2018)
On ne sait plus quel haut fonctionnaire de l’État se vanta vingt ans après 1968 d’avoir profité du mouvement de grève générale pour organiser imperceptiblement le contingentement de l’essence, en mai, afin de circonscrire les insurgés dans leurs lieux insurrectionnels et les grévistes dans les usines occupées sur le tas. Mais les accords de Grenelle étant signés le 27 mai, elle fut libérée dès le 31 pour décongestionner les bastions de la lutte des classes avec la complicité des syndicats, et pour que tout le peuple se mettant à circuler, selon l’expression « circulez, il n’y a [plus] rien à voir », les négociations ayant été favorables, les français ne fussent pas privés de leurs congés ordinaires cette année là, et furent même encouragés à partir sans devoir affronter l’augmentation des coûts. Car il fallait les faire taire, ainsi dans la réjouissance de la phase consumériste ultime du capitalisme de la production, dans ces mouvements de reflux et de flux, s’inscrit aussi la lutte des classes et une façon de la dominer sans violence.
Urbaniser la lutte des classes c’est aussi cela, de la pénurie à la profusion, de la rétention aux flux. Et aujourd’hui depuis les flux de la communication numérique du temps réel permettant de changer à vue les messages, jusqu’à la duplicité des réseaux entre liberté et surveillance, et à la novlangue instruisant les doubles contraintes de l’expression et du silence. Tout cela concerne également l’urbanisme dans sa forme virtualisée.
Gare à l’urbanisme est une plaquette écrite et publiée en 1969 par un comité d’action de jeunes architectes et urbanistes émergents de la revue Utopie, pour alerter les étudiants sur la préparation de la structure d’enseignement de l’urbanisme, qui innovait de nouvelles formes institutionnelles à produire de la ville et à la mettre en circulation, comme un moyen ultime de contrôle du territoire et de ses liaisons. Et d’en former les chiens de garde, imprégnés de sociologie humaniste, pour administrer la rentabilité des architectes de l’étage courant alimentant les caisses des partis politiques, et la rigidité exécutive des X Ponts des nouvelles voies européennes qui allaient ouvrir la destruction des territoires de la diversité climatique, en quadrillant d’autoroutes et de rond-points la France nouvelle, où avant le remembrement le bocage avait donné les merveilles bio-climatiques qu’enfants nous avions pu encore connaître. Certes la productivité agricole s’engagea dans une autre voie, l’industrielle, où les aides européennes allaient pleuvoir incitant à perdre la liberté de produire dans l’équilibre de l’assolement triennal.
L’équipement qui modifie rationnellement l’environnement et l’écologie au titre administratif de « gérer » le grand nombre des populations, et pas seulement leurs voitures qui s’y accumulent d’autant plus que les chemins de fer disparaissent, c’est encore cela, l’urbanisme ... Suite :Il n’y avait pas que l’étude militante dialectique des topographies du pouvoir et des luttes pour y accomplir l’insurrection urbaine. Il y avait les organisations exécutives du pouvoir ou même de certains corps intermédiaires de la transformation de l’espace. À l’instar de la création de l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR) en 1967, pour mener des opérations d’envergure sur les quartiers et créer les taxes afférentes, dont on sait aujourd’hui que le plus souvent elles défigurèrent non seulement le profil mais le corps social de la ville, les nouvelles institutions de formation récupéraient la théorie critique de la ville. Aujourd’hui c’est l’APUR qui administre le Grand Paris.
Le livre de rupture était l’ouvrage de Henri Lefebvre, Le Droit à la ville. Loin de l’urbanisme unitaire et de la dérive des Situationnistes, ce fut la proposition d’une organisation étatique bienveillante de l’espace en partage d’égalité sociale, l’extension des villes existantes et leurs mises en réseau plutôt que les villes dortoirs ou les conglomérats aux 4000 logements (La Courneuve, dix ans de construction entre 1956 et 1966) des prolétaires destinés à grossir la masse des chômeurs qui s’annonçait. Tout cela et ses solutions allaient produire d’étranges résultats sociaux, post-coloniaux et ségrégationnistes, l’injustice à tous les niveaux de la vie, et une grande délinquance.
Le problème sociologique n’était pas là mais bien celui des changements de paradigme économique et des délocalisations tant matérielles que virtuelles des zones de profits.
Tout cela, cette critique radicale y compris critique de ses grands référents, et donc critique d’elle-même, la revue Utopie s’était attachée à en penser sur l’histoire, sur la structure, sur la philosophie critique de la sociologie à la lueur de l’anthropologie sociale.
Daniel Guibert fut de ces militants volontaires, à la plume et aux happenings du discours public critique de l’exploitation sociale sur les sites mêmes (les Grands magasins par exemple, avec Hubert Tonka), où les étudiants étaient invités à se déplacer au titre des cours de sociologie urbaine pratique, et l’auto-défense était requise pour affronter les flics maison.
Après quoi il devint chercheur et professeur habilité à diriger des recherches. [6]
Samedi 2 juin, 17h
En présence de l’auteurConstruire ensemble la rue Auguste Delacroix, documentaire, Jacques Kébadian, 148’ (2016)
Un film en deux parties : La maison de Sophie ; À chacun sa maison.
Boulogne-sur-Mer, un quartier excentré constitué principalement d’une rue comme une courée, bordée de pavillons mitoyens au même profil et sans jardin, datant des années soixante-dix, qui se sont déglingués faute de maintenance, certaines maisons commençant à se ruiner. C’est la spirale d’un délaissement plus ou moins résigné sous l’effet de la misère des habitants et des gamins qui se vengent contre l’insalubrité ou la promiscuité en s’attaquant à ce qui reste debout. La plupart de cette population de blancs pauvres est marginalisée, ils sont précaires mais ont tissé des liens. C’est une grande famille, disent-ils. Avec ses conflits. Le monde extérieur, c’est le bailleur HLM, la municipalité, les caisses de retraite ou de chômage, l’école... Plutôt que déplacer la population en mal de pouvoir être relogée, une rénovation est envisagée avec un financement associatif et une participation de la ville et de la région, et la participation des habitants qui peuvent contribuer aux réparations de leur logement.
Le film est la chronique polyphonique caméra à la main sur ce chantier d’une rénovation incroyable qui dura trois ans à Boulogne sur Mer. Au cœur de la rue délaissée par la ville ségrégative, les habitants de l’hétérotopie sortant de leur stupeur et de leur désespoir décident de s’impliquer au renouveau de leur maison dans l’esprit d’un réaménagement de leur quartier par eux-mêmes, à la force de leur poignet, aidés par des petites entreprises qui interviennent sur les points délicats ou uniformisés. Ils sont accompagnés par une jeune architecte, qui assure et assume la coordination technique et participative du chantier. Sophie Ricard. Pour parvenir à organiser la rénovation avec l’assentiment et l’aide des habitants elle s’établit parmi eux dans une maison de la rue et partage leur vie. Une aventure humaine à la fois institutionnelle et militante à laquelle participe le cinéaste chaque fois qu’il les rejoint. C’est aussi l’histoire des habitants qui se raconte à travers celle de la rue grâce à quelques familles qui en évoquent la durée et se confient.
Mais rien n’est parfait, le bailleur public resurgit : puisque les maisons sont réhabilitées, pourquoi ne pas augmenter le loyer ? Une nouvelle lutte commence... [7]
Épilogue :
Si mai 1968 n’a pas donné lieu à des embouteillages sur les routes ce n’est pas la preuve d’une défaillance de l’activité car elle était intensément autre, mais à cause de la pénurie d’essence. Pourtant, chacun s’était organisé pour faire des réserves de carburant, et les événements d’abord largement diffusés par les radios s’étaient étendus, en suscitant une empathie solidaire qui avait inspiré une auto-coordination entre des personnes géographiquement éloignées. Ainsi elles se rendaient service en échangeant autour de tâches comme les approvisionnements pour les cantines autogérées des sites occupés et de leurs « crèches sauvages », ou encore le secours à des personnes en attente ou en danger.
Une grande autonomie sans État — sans doute la seule réussite quoique éphémère de mai 1968.
Il n’est jamais trop tard pour laisser se développer les micro solutions expérimentales. Rendre salubres les îlots insalubres plutôt que les détruire, s’ils sont à l’échelle humaine, à moins de chercher délibérément à en chasser les habitants, s’opposer au gel des territoires aménageables et les occuper activement. Partout on assiste au retour de la pratique urbaine, sauvage ou négociée.
Notre dame des landes ou la rue Auguste Delacroix, deux solutions différentes à un même problème : la misère, la pauvreté — des réalités d’auto-construire ou de construire en société ses propres conditions de vie. Vivre et ouvrager ensemble c’est autant respecter l’étrangeté ou l’intimité d’autrui, de celle ou de celui, de ceux, avec lesquels les liens s’échangent.Que vive la diversité des communes.